Charles Picqué : “La crise de la démocratie est réelle”

Charles Picqué (PS), bourgmestre de Saint-Gilles, aurait voulu être biologiste. Il fera finalement des études d’économie. Dans cette crise, il a pu mobiliser toutes ses compétences et sa grande expérience même s’il reconnaît que personne n’était prêt à affronter cela.

Nous sommes en janvier 2020 et la Chine affronte un nouveau coronavirus. Dans quel état d’esprit êtes-vous?

Je me suis toujours intéressé aux maladies virales et aux pandémies. Pour mon anniversaire, j’ai eu un livre sur les causes de la chute de l’empire romain qui parlait notamment d’une maladie via les thermes. Quand c’était en Chine, je me disais que cela ne viendrait pas jusqu’à nous, que ce serait comme le virus H1N1. Quand c’est arrivé en Italie, là, j’ai été inquiet: j’ai pensé aux drames humains mais aussi à la catastrophe économique.

Quand Maggie De Block parlait de “grippette”, vous pensez alors qu’elle a raison?

On ne doit pas sonner le tocsin trop vite mais je trouve qu’elle a pris les choses à la légère. Avec la mondialisation, c’est évident que nous ne sommes plus dans les mêmes circonstances qu’il y a deux ou trois siècles. Se déplacer en masse allait logiquement, à un moment donné, amener à une globalisation de la menace. Nous avons écrit une page d’histoire en faisant un crash test de notre civilisation moderne. Très vite, j’ai pensé à notre hôpital. Allait-il tenir le coup? Avant la fermeture, j’ai fait la liste des services indispensables et de nos dépenses nouvelles.

Que faites-vous lorsqu’on annonce le confinement?

On a dû très vite prendre des initiatives pour le service à la population. Je ne suis pas un grand partisan du télétravail mais on a eu un contraste entre le dévouement de certains fonctionnaires qui ont révélé des personnalités très altruistes, et d’autres qui ont pris le télétravail comme excuse. Je ne l’oublierai pas. On a vu des manquements sérieux dans cette crise. Ce qui a été un moment fort, c’est la bataille des masques. Quand on a pensé que c’était important, il y a eu une effervescence partout. Nous avons été tentés d’acheter ce qui arrivait mais la compétition pour avoir des masques était terrible. On doit retenir cette difficulté de fourniture. Il faudrait mettre en place un centre général de commande et un stock stratégique. Je me souviens, je téléphonais partout pour trouver des masques et nous devions faire le tri entre les offres dont certaines étaient puantes.

Les maisons de repos sont particulièrement touchées lors de la première vague. Avez-vous le sentiment qu’elles ont été abandonnées?

Je ne veux pas dire du mal de personne, mais c’est grave ce qui s’est passé. Un jour, en Cores (Conseil régional de sécurité), Rudi Vervoort et Alain Maron reviennent du Codeco (Comité de concertation) et ils nous disent qu’ils ont pu obtenir la réouverture des maisons de repos. On se rend compte le lendemain qu’il n’y avait pas eu de contact avec le secteur. C’était d’un optimiste incroyable. On voit les fautes commises. Ce qui est aussi intéressant à analyser, c’est le fait que les pouvoirs locaux ont été décisifs.

Vous trouvez que la coordination entre les bourgmestres bruxellois a été efficace?

Les pouvoirs locaux doivent faire mouvement ensemble. Entre les 19 bourgmestres, nous avons eu beaucoup d’échanges, notamment sur le port du masque. Cela avait l’intérêt de se protéger et c’était un signal de vigilance. On porte un casque dans les tranchées. Bien sûr, nous avons eu des moments de flottement, surtout au début. Il y a eu des problèmes de coordination, mais je ne crois pas qu’ils aient été graves. Je pense que Rudi Vervoort était bien à sa place même si parfois nous avons dû réclamer la tenue de Conseils régionaux de sécurité. Il n’a pas fait de faute grave. Par contre, quelqu’un devra faire l’évaluation de la Cocom pour découvrir où il y a eu des courts-circuits. Pareil pour le Fédéral. Ce n’est pas notre dernière pandémie.

Le terrain a-t-il été assez écouté?

Les mesures prises par le Fédéral n’étaient pas adaptées aux grandes villes. Forcément, cela a créé des tensions surtout pendant le deuxième confinement. Philippe Close a eu de la patience à propos du bois de la Cambre. La résistance aux consignes n’est pas l’apanage des gens moins qualifiés. C’est plus diffus que ça. L’enseignement que j’en tire : en pareille crise, l’important, ce sont les canaux d’information vers les citoyens. La fracture numérique existe. Dans des communes très pluriculturelles, il y a un énorme déficit de pénétration de l’information. Un citoyen doit quand même disposer d’une relative connaissance des langues véhiculaires. Ce sont surtout les Polonais, les Roumains et les Brésiliens qui n’ont pas une maîtrise suffisante du français.

Croyez-vous que la relation avec le bourgmestre va changer?

Globalement, les bourgmestres ont fait leur boulot. Mais la mémoire est courte. Si des gens étaient morts dans la rue, les citoyens ne nous l’auraient pas pardonné. Notre société pourrait basculer vers l’autoritarisme. Pendant le confinement, j’ai entendu des gens demander qu’on mette en prison ceux qui ne portaient pas de masque. La crise de la démocratie est réelle.

Quel est votre état d’esprit aujourd’hui?

Il faut rester très vigilant. Le processus de mutation du virus a commencé l’été dernier et nous avons vu ce que ça a donné. Il y a 29.000 modifications possibles du génome du virus. J’ai tendance à dire qu’il ne faut pas s’enthousiasmer, être attentif aux avant-postes et très vite détecter la contagion d’un variant. On doit être prêt pour une nouvelle vague. Il ne faut pas baisser sa garde.

Avez-vous eu peur?

Je n’ai jamais eu peur pour moi. Je me suis fait engueuler par mon médecin car j’ai fait une leucémie voici quelques années après avoir été exposé à la radioactivité à Baïkonour. J’ai une immunité qui peut être plus faible. C’est peut-être de l’inconscience, mais ce dont j’ai eu le plus peur, ce sont des conséquences sociales et économiques. Cela ne peut pas durer des années. Les petits indépendants ont quand même beaucoup souffert. Si vous perdez votre emploi, ce n’est pas pour ça que vous ne croyez plus en l’Etat, mais si vous êtes malade et que l’Etat ne peut rien faire, vous ne croyez plus à la démocratie. Les gens ne croient plus au pouvoir public. Cela me fait peur.

Qu’est-ce qui a été le plus dur pour vous?

La peur d’être totalement discrédité pour un défaut d’efficacité. Pas parce que je dois remporter les élections puisque je ne me représente plus, mais pour les institutions. J’ai aussi des amis très proches qui sont passés tout près. Nous avons perdu un ancien échevin aussi. Je trouve aussi que de ne pas pouvoir aller visiter les gens à l’hôpital étaient très dur. Certains sont morts dans la solitude.

Qu’est-ce qui vous a le plus surpris?

C’est une découverte du degré de motivation des gens. Cela a été un test grandeur nature de la vérité des personnes comme en période de guerre. Pour moi, c’était une guerre puisqu’il y avait une menace. Le virus a plus tué que les attentats.

Qu’est-ce qui vous a manqué?

Mes enfants m’ont manqué. Au premier confinement, ils sont partis vivre dans une maison familiale à Ath et l’interdiction de déplacement est tombée le lendemain. Je ne les ai pas vus pendant plusieurs semaines mais je savais qu’ils étaient en sécurité là-bas. Et la convivialité de certains repas chez des amis. On va se rattraper (sourires).

Est-ce que cela a changé quelque chose en vous?

Honnêtement, cela n’a pas changé grand-chose. Je ne me suis jamais fait d’illusion sur la nature humaine. Ma vision parfois pessimiste a plutôt été compensée par quelques beaux exemples. Ceux qui se sont révélés négativement, je les soupçonnais déjà. (sourires)

 

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Vanessa Lhuillier