Rue de la Loi : repasser par les élections n’est plus un tabou (J+263)
Vous l’avez peut être senti, compris, décodé : nous sommes dans un moment de basculement, une période où l’on passe d’un état à un autre. La fin d’un cycle où on essayait de négocier par tous les moyens, en affirmant être de bonne volonté. Le début d’un autre où l’on reconnait que la situation est bloquée, inextricable, sans issue, et qu’il faut donc se préparer à des élections. Ce basculement est subtil, lent, progressif, mais il a bel et bien lieu. Désormais, interview après interview, les représentants politiques n’excluent plus de devoir retourner devant les électeurs. Alors évidement, tout le monde précise que ce n’est pas le premier choix. Mais plus personne ne balaye l’hypothèse d’un revers de main. Le fait que les présidents de parti multiplient les interviews, que l’on soit très ferme sur ses convictions, qu’on commence à ressortir des formules slogans, des punchlines, qu’on produise des clips vidéos, qu’on investisse de la publicité sur Facebook sont autant d’indices que nous sommes entrés dans une phase de campagne électorale larvée.
Pour l’instant, le doute est encore permis. Les négociations sont sous assistance respiratoire, le corps du malade reste immobile mais son cerveau fonctionne encore. Les partis politiques jouent donc sur deux tableaux : se mettre en position électorale est un moyen de faire pression sur vos partenaires et de leur signifier que vous ne ferez pas un accord à n’importe quel prix (stratégie de négociation). Si jamais on n’y arrive vraiment pas, vous aurez marqué l’opinion et pris un peu d’avance sur la campagne (stratégie de communication). Deux stratégies en une : se préparer aux élections, c’est gagnant-gagnant.
Depuis quelques jours, la presse essaye donc de démêler le vrai du faux : ce qui relève de la posture, ce qui indique qu’on veut vraiment aller aux élections. Vos journaux sondent les mandataires, les bourgmestres, les membres influents des bureaux de parti. Il en ressort que le CD&V ne se séparera pas de la N-VA, que les bourgmestres N-VA croient encore dans un accord avec les socialistes, mais que les socialistes, eux, n’y croient pas vraiment. C’est toute la difficulté. Pour faire passer un accord de gouvernement, il faut ensuite le faire approuver par ses instances. Dans les statuts de la plupart des partis politiques, c’est le président qui négocie, mais ce sont les congrès de parti qui votent. Il faut revenir avec du biscuit, du concret, des avancées. Devant l’opinion, on peut bien dire qu’on veut sauver le pays, devant ses militants, ça ne suffit pas vraiment.
Quand le blocage persiste et que l’enlisement devient patent, vouloir en revenir aux urnes, en ayant dans l’idée qu’après il faudra bien se lancer dans une véritable négociation, et qu’on aura vraiment plus d’autres choix que de faire des concessions, cette idée-là, n’est peut être pas farfelue. Certes on peut craindre une montée des partis aux tendances séparatistes ou extrémistes. Mais ce ne sont que des sondages qui les donnent gagnants. Si on a inventé la démocratie parlementaire, ce n’est pas pour gouverner par sondages interposés. Rien ne dit que les électeurs se comporteront comme les sondages l’indiquent aujourd’hui. Et même si c’était le cas, c’est le jeu de la démocratie. Quand les négociations nous semblent à ce point faire du sur place, redonner la parole au peuple ne devrait pas être perçu comme un danger mais comme le passage à une autre étape. Revoter quels que soient les résultats, c’est donc changer de séquence. Une manière de sauter l’obstacle pour sortir de la crise. C’est peut-être même la seule solution censée et crédible qui est aujourd’hui sur la table.