Rue de la Loi : la note secrète qui ne tranche rien (J+228)

C’est un travail d’enquête, de recoupement, de reconstruction : quand les responsables politiques sont dans des phases de négociations cruciales, ils essayent de négocier à l’abri des regards. Un accord de gouvernement ne se négocie pas sur la place publique : les arbitrages, concessions et petits échanges qui aboutissent aux grands accords ne peuvent se faire que dans la discrétion. Depuis trois jours, Georges-Louis Bouchez et Joachim Coens sont dans cette phase délicate : soumettre un document écrit aux autres présidents de parti pour essayer de lancer enfin de vraies négociations, en s’assurant que ce document ne se retrouve pas sur la place publique parce qu’inévitablement, cela pousserait l’un ou l’autre partenaire, sous pression de sa base électorale, de ses militants, de ses alliés naturels, bref sous la pression de l’opinion, à refuser ce document, qui par nature éloigné de son programme électoral ne manquerait pas d’être considéré comme imbuvable.

Pour éviter ce scénario, Georges-Louis Bouchez et Joachim Coens ont décidé de ne pas distribuer le document en question aux présidents de parti qu’ils reçoivent. Chacun en prend donc connaissance en séance, pendant une réunion qui dure, suivant les cas, de trente minutes à une heure. Pas question de faire une copie. Mais les présidents prennent des notes en même temps qu’on discute du document pour demander des éclaircissements sur tel ou tel passage. Le boulot des journalistes, puisqu’il ne peuvent pas avoir une copie de ce texte, est donc, pour vous informer, d’essayer d’en avoir une idée la plus précise possible. Depuis 48 heures, mes confrères et moi, nous passons des coups de téléphone, nous envoyons des SMS, nous rencontrons des interlocuteurs qui ont vu cette fameuse note ou qui en en ont entendu parler de manière précise. Des sources bien documentées comme on dit. C’est notre boulot, notre mission même, ce qui permet de vous informer. Ce n’est pas une science exacte. On risque bien sûr de se faire intoxiquer ou manipuler et c’est pour cela qu’un journaliste sérieux s’assure d’avoir plusieurs sources qui lui racontent la même chose avant d’écrire son papier en presse écrite ou de vous en parler à la radio ou à la télévision.

Alors, qu’y a-t-il, ou pas, dans cette note de 25 pages, dont certains passages sont en français et d’autres en néerlandais et que peut-on en dire ? Ce matin, plusieurs quotidiens en dévoilent un certain nombre d’éléments. À première vue, cette note met un coup de barre à droite. Ce n’est pas une surprise, les informateurs avaient estimé que la note précédente, rédigée par Paul Magnette, était trop à gauche, et que même s’ils ne repartaient pas de zéro, ils n’étaient pas liés par ses conclusions. Ce coup de barre à droite, on le constate par exemple sur la pension à 1500 euros… on parle d’après ce que j’ai pu moi-même recouper d’une pension minimale à 1500 euros mais en brut, somme qu’on atteindra rapidement par le biais de l’inflation. Le budget des soins de santé n’augmenterait que de 1,5% en fin de législature alors qu’il était prévu qu’il augmente de 2,5% dans la note de Paul Magnette. Et il n’y a pas un mot sur une augmentation du salaire minimum, alors que c’est une demande pressante des syndicats. Tout ceci, ce n’est pas une invention des journalistes, n’en déplaisent aux informateurs, même si une note n’est qu’une note, et que ce qui compte, c’est la formulation précise. Un exemple : la sortie du nucléaire. Certains journaux disent que la note entend prolonger l’existence de nos vieilles centrales. Ce n’est pas tout à fait exact. La note dit qu’on prolongerait les centrales si on décidait d’aller au-delà d’une réduction de 55% de nos gaz à effet de serre. 55% c’est le plafond haut évoqué par la nouvelle présidente de la Commission européenne, pour l’instant la Belgique est en dessous. On pourrait donc en conclure que les centrales ne seront pas prolongées, mais c’est de nouveau une question d’interprétation.

Il y a une chose qui est sûre en tout cas, c’est que la note ne déplaît pas à la N-VA. Bart De Wever lui-même a affirmé que cette note allait dans le bon sens. Et le bon sens de Bart de Wever va plus vers la droite que vers le centre-droit. Pour les partis de gauche, la pilule est donc plus difficile à avaler. Pour résumer, on pourrait dire que Georges-Louis Bouchez et Joachim Coens ont proposé une note qui se rapproche du programme de leurs partis. Avec quand même un petit problème, c’est que leurs deux partis ont perdu des sièges aux dernières élections.

La vérité, c’est que cette note est inaboutie. C’est une étape. Mais ce n’est pas sur base de cette note-là qu’on va pouvoir proposer une coalition qui tient la route lorsqu’on fera rapport au roi lundi prochain. Ce n’est pas sur base de cette note-là que la N-VA partira. Ce n’est pas sur base de cette note-là que les écologistes ou les socialistes prendront le risque de claquer la porte et porter le valet noir. Si Georges-Louis Bouchez et Joachim Coens veulent faire une proposition de coalition lundi, il faudra donc qu’il se passe autre chose d’ici-là. Qu’ils essayent par exemple de mettre certains partis autour de la table. Qu’ils affinent leur note, qu’ils la précisent, l’amendent dans un sens ou dans un autre. Qu’ils choisissent s’ils vont dans une coalition à droite avec la N-VA, ou au centre avec les socialistes et les écologistes. Ne pas le faire revient à rechercher l’alliance de la carpe et du lapin. Et depuis sept mois maintenant, on a bien vu que cela ne servait à rien. La note est sur la table, avec des fuites partielles, très bien. On sait que ce n’est que le début de la négociation. On veut maintenant savoir qui va vraiment s’asseoir à cette table.