Rue de la Loi : comment le PS est entré en négociations avec la N-VA (épisode 2)

Bart De Wever Paul Magnette - Formation Gouvernement fédéral - Belga Nicolas Maeterlinck

Une négociation enfin enclenchée, une intervention royale qui donne du poids, une période estivale caniculaire qui incite à la torpeur et adoucit les critiques, et un bureau du PS qui semble avoir donné son feu vert… a priori ça se présentait pas trop mal cette affaire. Paul Magnette et Bart De Wever, les deux présidents champions de leur communauté respective mouillaient leurs chemises et donnaient le sentiment de travailler de concert. Mieux même, leur entourage fit rapidement état d’une note de négociation épaisse d’une dizaine de pages dont on assurait qu’elle entrait dans le vif du sujet, évitait enfin les formules creuses et allait pouvoir servir de base à une véritable négociation en vue de former une coalition. La note ne sera toutefois pas distribuée. Paul et Bart la présenteront oralement aux présidents des autres formations. En face chaque président (ou chaque duo suivant les cas de figure) essaye de décoder le non-verbal et de saisir les subtilités : qui de Paul ou Bart s’exprime sur quel chapitre, quels sont les non-dits, les nuances, ce qui pourra être renégocié ou pas, y-a-t-il vraiment un accord entre eux sur tout ce qui est présenté ? A l’issue de ce premier round le SPA, le CD&V et le CDH conviennent de poursuivre les discussions. Ce sera la bulle des 5.

Alors, cette bulle, quelle est sa solidité ? Dans les rangs socialistes on veut croire qu’elle résistera. “Les masques sont tombés, le mouvement du CD&V qui est passé en quelques jours de l’Arizona à ce nouveau scénario est définitif, ils ne pourront plus revenir en arrière” dit l’un. “La dynamique mise en place avec le SPA et le CD&V est désormais très solide” glisse l’autre. Décodage : CD&V et N-VA ont lié leurs destins (ils ont reconstitué un cartel disent même les mauvaises langues), et la famille socialiste formerait désormais un axe en béton, et la mayonnaise prend. Il faut dire que malgré les apparences et le coup de l’Arizona, les présidents du SPA et du PS se sont beaucoup vus ces derniers mois. Que Conner Rousseau milite depuis le début pour un rapprochement entre socialistes et nationalistes. Que Paul Magnette a aussi beaucoup parlé avec Bart De Wever et que leurs principaux conseillers (les “sherpas”) se sont vus aussi. De là à penser que la pièce était cousue de fil blanc, que l’Arizona était une ruse de sioux et qu’il suffisait d’attendre le bon moment pour rapprocher PS et NVA, il y a un pas que seuls les fans de Machiavel (on ne parle pas du groupe de Marc Ysaÿe ici) franchiront. Pourtant la machine va rapidement se gripper. Sur le fond d’abord, parce qu’il y a de premières fuites sur le chapitre institutionnel. Le menu semble difficile à avaler pour les francophones. Maxime Prévot, qui n’a pas réuni son bureau de parti avant d’entrer en négociation,  va prendre la précaution de s’en distancier à plusieurs reprises. Dans une interview à la Libre, puis sur Twitter,  le président du CDH rappelle en substance qu’il a juste accepté de discuter et qu’il n’ y a pas d’accord sur une note dont en l’occurence il ne possède pas de copie. Le CDH se méfie et ne tient pas à se faire embarquer trop loin. C’est une bulle certes, mais comme toutes les bulles, elle peut éclater à tout moment.

Car Paul Magnette et Bart De Wever sont tombés sur un os. Ils n’arrivent pas à élargir leur bulle des cinq, et ce n’est pas pour respecter les recommandations des meilleurs épidémiologistes du pays. Les écologistes et les libéraux ont refusé d’y entrer. Il faut dire que Bart De Wever n’a pas facilité les choses en déclarant à VTM que “plus personne ne veut du MR dans le gouvernement fédéral”. La déclaration a eu le don de ressouder la famille libérale. C’est que derrière la question de personne (c’est si facile de pointer la personnalité de Georges-Louis Bouchez que personne ne s’en prive) les libéraux ont désormais un nouveau positionnement :  plaider pour un retour rapide à l’équilibre budgétaire. La stratégie, surtout portée par l’Open VLD, a pour but de se distancier de la N-VA, et de faire comprendre à un électorat de droite que Bart De Wever est  en train de se compromettre avec des partis de centre-gauche. Elle s’exprime ouvertement dans une contre-note qui a mis le feu aux poudres, mais elle complique de facto toute discussion. Décrocher les libéraux flamands c’est devoir réécrire le chapitre économique et social.  Rappeler les libéraux francophones c’est avaler une couleuvre supplémentaire difficile à faire passer aux militants rouges “se taper  la N-VA et le MR de Bouchez ce serait la double peine” glisse un socialiste bruxellois. Mais du coté Ecolo le niet est également catégorique. Jean-Marc Nollet et Rajae Maouane y ont mis les formes avec une discussion de près de 4 heures et en soulignant les acquis sociaux de la note qu’on leur présentait. Mais ils ont aussi évoqué l’indigestion que leur provoquait le chapitre institutionnel et le manque d’ambition climatique en concluant, sans appel que cette note n’était pas écrite pour gouverner avec les verts. En réalité personne n’a jamais cru qu’Ecolo monterait dans l’attelage du premier coup. Même si l’un ou l’autre mandataire vous glissera qu’il est “déçu de l’attitude d’Ecolo qui ne se mouille jamais, appelle à la vertu pour les autres mais ne prend jamais de risque pour lui”. Et qu’un élu influent siffle, perfide : “ c’est très injuste pour Paul qui a tellement fait pour Jean-Marc au moment de l’opération coquelicot“. Pour ne pas perdre espoir certains s’accrochent à l’idée que Groen pourrait être plus N-VA compatible que son alter-ego francophone. A ce stade, ce n’est qu’un fantasme.

La situation semble de nouveau bloquée et la grogne monte. En réalité, elle ne s’est jamais vraiment éteinte. Tout ceux qui sont à la gauche du parti, en contact avec les mouvements associatifs, actifs sur le terrain du vivre ensemble, ainsi que la grande majorité des élus bruxellois ont du mal à s’imaginer en coalition avec la N-VA. La position a été exprimée à plusieurs reprises par Ahmed Laoueej, chef de groupe à la chambre et président de la fédération bruxelloise, qui du coup, apparaît comme le chef de file des anti-participation. Mais certains élus wallons la partagent, même s’ils se font plus discrets ou sont moins en vue. Et beaucoup de militants pensent que l’électorat de base ne pardonnera pas cette alliance encore plus contre-nature que celle du gouvernement Verhofstadt (copyright Laurette Onkelinx). Pour de nombreux bruxellois l’objection est d’abord idéologique pour ne pas dire éthique : le N-VA n’est pas un parti comme les autres, ses déclarations sur l’immigration  l’ont rendu infréquentable, point final. Ils soulignent que le parti s’est engagé à plusieurs reprises à ne pas gouverner avec Bart De Wever et que les socialistes n’ont pas été tendres avec Charles Michel, accusé de parjure et de collusion avec les nationalistes, et qu’inverser les rôles coutera cher en crédibilité. Il y a aussi des objections programmatiques et des craintes institutionnelles. Ce qui a été divulgué de la note Magnette-De Wever ne rassure pas. Et parait d’un point de vue bruxellois fort déséquilibré. “Si on touche aux droits des francophones en périphérie alors il faut oser reparler de la représentation garantie des néerlandophones à Bruxelles qui complique notre vie parlementaire” se crispe un élu quand il découvre le menu des discussions dans la presse. “Nous, nous sommes demandeurs d’une simplification de nos institutions, et l’objectif doit être de déplacer le centre de gravité vers la région, pas vers le bi-communautaire”. Un mandataire local évoque ses craintes d’une fusion des zones de police qui serait imposée de l’extérieur pour faire plaisir à la N-VA “ça doit rester un choix des Bruxellois” et s’interroge à voix haute, “si on va vers une gestion par communautés interposées, autorisera-t-on les flamands à mettre en cause notre école de police, parce qu’elle est régionale et bilingue au lieu d’être seulement flamande et unilingue ?”.  Un insider nous glisse qu’il croit savoir qu’une note bruxelloise est en préparation sur les questions institutionnelles. Bref, dans la capitale, les socialistes sont remontés. Excessivement ? ” Je ne crois pas. Si Philippe Moureaux était encore là, le débat serait bien plus violent que ça”.

Les Bruxellois ne sont pas les seuls à ruer dans les brancards. Une centaine de militants socialistes ont ainsi pris la plume pour dire à Paul Magnette tout le mal qu’il pensait de la situation. Ce courrier interne qui s’adresse directement à Paul Magnette n’y va pas par quatre chemins : ‘’l’ouverture de négociations avec la N-VA, parti de droite nationaliste flamingante et néolibérale, suscite chez nous de vives inquiétudes. Tu le sais : si la N-VA est actuellement le plus grand parti élu en Flandre, elle n’est pas pour autant un parti démocratique comme un autre.” Et le courrier d’énumérer une longue liste des errements de la N-VA, façon catalogue des horreurs avant de conclure : “si nombre d’entre nous ont soutenu ta candidature à la Présidence du Parti, c’est avec la conviction que tu ne t’engagerais jamais sur la voie de l’alliance avec les nationalistes flamands. Une décision aussi critique ne peut être prise sans l’accord de la base.” Les signataires demandent donc que la décision ne soit pas soumise à un simple congrès de participation vu l’enjeu, mais à une consultation directe où chaque membre à jour de cotisation pourrait voter selon le principe un homme-une voix, comme c’est le cas pour l’élection à la présidence du parti. Tous ceux qui ont signé ce courrier se présentent comme simples militants, mais on peut y lire les noms de quelques cadres intermédiaires, des parlementaires, des mandataires communaux. Et précision importante : s’il y a bien des Bruxellois dans la liste, il y a beaucoup de Liégeois aussi car si “les dirigeants de la fédération  (la plus importante numériquement) sont pour une participation, les militants, eux, ne le sont pas forcément“. Réaction dans le camp d’en face  quand on évoque ce courrier : “On est pas chez Ecolo ici. La politique c’est l’art de s’adapter à une situation qui change. Ils n’auront qu’à pas voter pour Paul la prochaine fois”. 

Cet appel à un vote des militants exprime bien la tension qui règne au sein du Parti Socialiste. Il a fort peu de chance d’être entendu. Les statuts du parti balisent la procédure et il est peu probable qu’on les adapte pour faire plaisir aux contestataires. La règle est donc la suivante. L’accord de gouvernement, s’il existe un jour, est envoyé aux sections locales, qui organisent un débat en leur sein. Chaque fédération (il y en a 14)  convoque alors un congrès où l’on désigne des délégués de fédération à la proportionnelle. Ce sont ces délégués qui, après avoir entendu les rapports, votent (ou non) la participation. Le tout doit pouvoir tenir en une semaine. Vu les circonstances sanitaires le parti pourrait demander à former des délégations réduites (un seul représentant serait ainsi porteur de plusieurs bulletins) pour rester sous la jauge des rassemblements autorisés, d’autres imaginent une possibilité de vote à distance, mais les règles ne changeront pas : plus la fédération est importante, plus elle dispose de délégués (un délégué pour 200 militants en ordre de cotisation).  Liège, Charleroi, Mons, sont donc les bastions à convaincre (plus que Huy-Warremme ou le Luxembourg sans être désobligeant).  Ce qui fait dire à un observateur du Mouvement Réformateur qu’il ne faut pas trop attendre de surprises de ce débat interne aux socialistes : “Paul Magnette a sûrement déjà fait ses calculs et il sait déjà que ça passera”. 

Reste la capacité des négociateurs à conclure un accord et à trouver une majorité. “Entrer en négociation et le faire sérieusement et aboutir à un accord sont deux choses différentes” rappelle un de nos interlocuteurs. Et là, à ce stade, on est sûr de rien”.