L’édito de Fabrice Grosfilley : duels de leaders
Donald Trump contre Xi Jinping, Georges-Louis Bouchez contre Ahmed Laaouej. Si l’on devait synthétiser l’actualité de ces derniers jours ou dernières semaines, ce sont ces deux affiches que l’on pourrait retenir : Trump contre Xi Jinping au niveau mondial, Bouchez contre Laaouej au niveau bruxellois.
Bien sûr, vouloir restreindre des enjeux complexes à des duels de personnalités est forcément réducteur. Donald Trump a commencé par vouloir imposer des droits de douane au monde entier. Georges-Louis Bouchez, lui, forme un étonnant duo avec David Leisterh. Les uns comme les autres ne représentent pas qu’eux-mêmes. Ils sont les porte-drapeaux d’intérêts plus larges, à la fois décideurs et représentants d’un collectif. À la tête d’une nation pour les uns, présidents de formations politiques pour les autres.
Leur pratique du pouvoir obéit à la fois à une pulsion personnelle — il y a une question d’ego, une volonté de peser sur la marche du monde — et à une stratégie collective : faire triompher les intérêts de ceux qu’ils représentent, le peuple américain ou chinois, les électeurs, le parti et son héritage historique. Il y a, dans ces joutes au plus haut niveau, des questions de personnes mais aussi des intérêts économiques et des conflits de valeurs.
Si je vous parle de ces duels de personnalités ce matin, c’est aussi parce que le style de ces dirigeants est en opposition frontale. On a donc un affrontement sur le fond et sur la forme. Et c’est sans doute cela qui rend ces duels si spectaculaires.
Donald Trump, tribun fantasque, difficile à suivre, complètement décomplexé par rapport à la morale et aux règles de droit, n’hésite pas à cabotiner devant les caméras : une grimace par-ci, un poing vengeur par-là. Xi Jinping, à l’inverse, affiche toujours le même visage, un demi-sourire en toute circonstance, les émotions soigneusement laissées au vestiaire. L’un est bouillonnant, et œuvre ouvertement pour une sorte de révolution conservatrice. L’autre incarne la maîtrise de soi en toutes circonstances. Il a imposé une ligne de réforme douce : campagnes anti-corruption, promotion de l’économie de marché, mais aussi contrôle politique très fort et un certain culte de la personnalité.
À Bruxelles, on retrouve un peu le même type d’opposition. D’un côté, un président de parti qui aime faire le buzz, sort une idée par jour, et vole d’interview en interview : un jour dans une gazette, le lendemain sur un plateau télé. Sans oublier les réseaux sociaux, les vidéos, les punchlines. Toujours partant pour le débat, avec une volonté de convaincre qui ne faiblit jamais. En face, un président de fédération qui s’est d’abord fait un nom comme spécialiste fiscal de son parti. On est dans le sérieux, pas dans le sexy. Une longue carrière de parlementaire avant de gravir un à un les échelons du pouvoir : député, puis chef de groupe, avant de conquérir un bastion communal qu’on pensait imprenable. Et enfin la présidence de la fédération bruxelloise de son parti.
L’un comme l’autre sont des hommes de pouvoir, qui ont conquis le leur à la suite de bras de fer personnels. Georges-Louis Bouchez a été contesté par Denis Ducarme lors de son accession à la présidence du MR. Il a dû affronter les résistances — et parfois la fronde — de certains barons du parti. Il en a ensuite écarté quelques-uns pour promouvoir une nouvelle génération plus conforme à son style et à ses idées. Ahmed Laaouej, lui, a dû affronter Rachid Madrane. Il a pris le pouvoir en s’affranchissant de la tutelle de Laurette Onkelinx. Il a marginalisé ceux qui lui étaient hostiles — Emir Kir ou Julien Uyttendaele — et joué des alliances, des clivages, entre un PS ULBiste et laïc et un autre PS plus axé sur l’inclusion et la diversité. Aujourd’hui, GLB et Ahmed Laaouej ne sont plus contestés dans leur camp. Ils ont conquis le pouvoir et réussi, chacun à leur manière, une forme de pacification interne.
Alors, où en est-on de ces face-à-face, de ces bras de fer, de ces duels ?
Dans la compétition internationale pour la domination mondiale, Donald Trump a sorti l’arme des droits de douane : les produits chinois sont désormais taxés à 145 %. 145 % ! Rien que ce chiffre nous ramène à la personnalité extravagante et agressive de Trump. La contre-attaque de Xi Jinping consiste à tirer profit des excès de son adversaire. Tous contre Trump, tous derrière Xi Jinping : tel est le message subliminal. Le président chinois entamera d’ailleurs la semaine prochaine une mini-tournée diplomatique en Asie, avec des déplacements prévus au Vietnam, en Malaisie et au Cambodge.
À l’échelle de la Région bruxelloise, les enjeux ne sont évidemment pas comparables. Mais l’antagonisme n’en est pas moins exacerbé. D’un côté, GLB tente de former un gouvernement sans le Parti socialiste, quitte à ce que celui-ci soit minoritaire dans le collège francophone. En face, Ahmed Laaouej tisse patiemment sa toile pour revenir dans la course. Il a marqué un point en obtenant le ralliement de la députée bruxelloise Latifa Aït Baala. Une parlementaire qui quitte le MR pour rejoindre le PS : dans le duel entre socialistes et libéraux, c’est un transfert qui compte double.
Voici donc où nous en sommes : Donald Trump contre Xi Jinping, Georges-Louis Bouchez contre Ahmed Laaouej. Le monde vacille, la région bruxelloise s’enlise. De ces deux gigantesques parties d’échecs, nous ne connaissons pas l’issue. Nous savons juste qu’elles sont en cours… et qu’on s’épargnera aucun coup.