Le coup de Stromae, l’édito de Fabrice Grosfilley

Ce lundi, Fabrice Grosfilley évoque dans son édito le coup de communication de Stromae au JT de 20h de TF1.

C’est un coup qui fait l’unanimité. Le passage de Stromae au 20h de TF1 hier soir fut un buzz du tonnerre. 24h après, tout le monde en parle encore. Si vous avez raté la séquence, il s’agit d’une interview de fin de journal où le chanteur vient parler de son prochain album « Multitude ».  D’abord, un entretien classique de 7 minutes dans lequel Stromae parle de ses faiblesses, de son inspiration, de son besoin de prendre cette  pause dans sa carrière, qui aura quand même durée 7 ans. Entretien classique donc, sauf qu’en réponse à la dernière question, c’est une bande son qui part. Quelques notes de piano et Stromae qui se met à chanter.

Le titre s’appelle “L’enfer”. C’est le deuxième extrait de cet album à paraître. Chanté donc un direct et en exclusivité pour TF1. Le texte évoque les pensées suicidaires, la difficulté à les domestiquer, cette torture que peut être la réflexion, les pensées qui ne s’arrêtent jamais.

Bon, il est génial Stromae. Enfin, dire d’un artiste qu’il est génial, c’est un jugement de valeur.  L’esthétique justement, c’est quelque chose qui nous est propre à chacun. Il n’y a donc pas de honte à adorer ou à détester Stromae ou à dire que cela nous laisse indifférents. On peut aimer le rap, la musique classique, le jazz, ce n’est pas la question. On peut donc aimer ou ne pas aimer Stromae et sa manière d’aborder des thèmes graves au travers de chansons qui paraissent légères dans la forme mais ne le sont pas du tout dans le fond.

Ce qui est génial, ce n’est pas tellement Stromae. C’est la manière dont il instrumentalise les médias. Sa capacité à comprendre le fonctionnement de la machine médiatique qui a pourtant failli le broyer, et à la retourner à son avantage. Que ce soit cette fausse vidéo dans laquelle il titubait sur la place Louise pour “Formidable”, ce trucage avec le côté féminin et l’autre masculin  pour « Tous les mêmes »  sur le plateau de Canal+ et maintenant cette appropriation d’un journal télévisé pour dévoiler un nouveau single.

Cette appropriation pose malgré tout question. Parce que dans une interview, l’interlocuteur ne peut pas savoir à l’avance quelles questions lui seront posées. On peut se mettre d’accord par courtoisie sur les grands thèmes, pas plus. Un journaliste digne de ce nom n’acceptera jamais de se voir imposer une question ou refuser une autre.  Ce n’est Stromae qui est en cause, ce sont plutôt les journalistes qui lui ont donné la parole et qui ont accepté  de jouer le jeu.

Le fait que l’on se soit écarté à ce point des principes de l’entretien journalistique en dit beaucoup de la puissance de Stromae. Un artiste qui est donc en mesure d’imposer ses conditions au plus grand journal télévisé de France. Et cela en dit, hélas, beaucoup aussi du passage des artistes dans ces fins de journaux (quelle que soit la chaîne considérée) où l’on est beaucoup plus proche de la tournée promotionnelle que de l’exercice journalistique. Et peut-être qu’en ces temps de grande confusion, dire clairement ce qui est de l’info et ce qui est de la promo, cela nous aiderait peut être.

 

Edito par Fabrice Grosfilley