La colonisation en face, l’édito de Fabrice Grosfilley
Ce mardi, Fabrice Grosfilley évoque dans son édito les excuses à l’égard du régime colonial.
Comment faire face au passé colonial de la Belgique ? En condamnant le régime colonial et en présentant des excuses. C’est la recommandation que formule aujourd’hui le Président de la commission parlementaire qui s’est penché sur la question.
Condamner et présenter des excuses, c’est une formulation que recommande le Président de cette commission, l’écologiste flamande Wouter De Vriendt. “La Chambre condamne le régime colonial en tant que système fondé sur l’exploitation et la domination, qui reposait sur un rapport d’inégalité injustifiable caractérisé par le paternalisme, la discrimination et le racisme et qui a donné lieu à des humiliations” écrit précisément ce président dans cette proposition.
“La Chambre présente ses excuses aux peuples congolais, rwandais et burundais pour la domination et l’exploitation coloniales, les violences et les atrocités, les violations individuelles et collectives des droits humains durant cette période ». Elles n’ont l’air de rien ces deux phrases, mais elles sont peut-être le point final d’un travail qui aura duré deux ans et demi. Avec 300 auditions, un voyage sur place, et aussi le renfort de trois experts. La commission spéciale consacrée à la question coloniale doit théoriquement remettre son rapport à la fin de l’année.
Ces propositions ne sont pour l’instant que les seules propositions du Président de cette commission. Il va falloir que les autres membres de la commission marquent leur accord et que le texte final soit ensuite approuvé en séance plénière. Le débat sera compliqué, on le sait d’avance, entre ceux qui veulent reconnaître une responsabilité historique dans les atrocités coloniales, et ceux qui estiment que la page est tournée et qu’on ne peut pas ou qu’on ne doit pas s’excuser au nom des générations passées.
Toute la difficulté dans ce dossier, c’est quand même de donner un poids aux mots que l’on emploie. Du côté des colonisés, le poids est celui des morts, des tortures et des pillages. Et pour le Congo, ce sont des millions de morts qu’il faut mettre dans la balance. Il ne suffit pas de dire qu’on a eu tort, que cela ne se faisait pas et qu’on exprime ses profonds regrets pour reprendre une formule consacrée. Il faut évidemment aller plus loin. Trouver les mots justes, et faire en sorte de trouver les gestes qui leur donne une certaine consistance. Les Congolais, les Rwandais, les Burundais attendent cela. Et peut-être que, nous aussi, en Belgique, il est temps que nous puissions mettre un mot et des sentiments sur ces événements plutôt que de continuer de les cacher sous le tapis.
Dans ses propositions de recommandation, le Président de cette commission propose ainsi d’instaurer une journée de commémoration et d’y dédier une série de monuments. Un monument à la mémoire de Patrice Lumumba, le Premier ministre de l’indépendance assassiné en 1961. Un monument aux victimes des zoos humains qu’on montrait dans les expositions universelles. Ou encore un changement de nom pour l’ordre de Léopold II.
On notera que dans sa forme actuelle, le texte estime que cette reconnaissance de responsabilité n’implique aucune responsabilité juridique et ne peut donner lieu à une réparation financière. Ce sera une réparation par statuts interposés. Probablement une manière intelligente de sortie du débat sur le déboulonnage des statues coloniales, qui consisterait à leur opposer des statues en mémoire des victimes. Et même si cela paraît sage, voir un peu modeste au regard des millions de morts, on s’attend à ce que ces propositions provoquent beaucoup de remous dans les semaines ou les mois à venir. On aimerait appeler chacun à la retenue et à l’examen de conscience. Black Lives Matter, c’est aux États-Unis, c’est vrai. Regarder le passé colonial, c’est un problème belgo-belge en revanche. Ce serait bien dommage que le devoir de mémoire soit entravé par de vulgaires considérations politiques.
■ Un édito de Fabrice Grosfilley