L’édito de Fabrice Grosfilley : exaspération, suite
On va taper sur le même clou. Ou battre le fer tant qu’il est chaud.
Il y a deux jours, je vous faisais part de ma colère face à l’impasse dans laquelle se trouvent les négociations bruxelloises. Une forme d’exaspération, non pas face à l’impasse elle-même ou à la difficulté qu’il y a à trouver une majorité à Bruxelles, mais bien une colère dirigée contre l’apathie du monde politique bruxellois, qui ne semble pas vouloir se donner la peine de se sortir de cette impasse.
« L’imagination au pouvoir », disait un slogan de Mai 68. À Bruxelles, en 2025, c’est la résignation qui a pris le pouvoir. Depuis 16 mois, on semble très bien se satisfaire de l’immobilisme. «On est coincé, on est coincé. Et si on essayait autre chose, chef, pour se décoincer ? Ah non, pas autre chose… Attends, j’y retourne. » Et on recommence, une fois, deux fois, trois fois.
Quarante-huit heures après cette chronique de la colère, que vous êtes quelques-uns à avoir partagée sur les réseaux sociaux, merci pour cela, on aurait aimé pouvoir vous parler d’un frémissement dans les négociations. On n’a, hélas, pas le droit de vous donner de faux espoirs. Les négociations continuent. Une réunion plénière a eu lieu hier après-midi.
Côté positif, on discute. Il semble même qu’il se soit dit, hier, qu’il fallait désormais avancer plus vite. Une nouvelle plénière aura donc lieu demain. Georges-Louis Bouchez devrait y déposer un nouveau tableau budgétaire. Et si ce tableau n’est pas trop mal accueilli, le formateur envisage même de réunir un conclave pendant le week-end. Un conclave : comprenez une réunion où l’on entre sans savoir à quelle heure on ressortira. Cela pourrait donc durer tout le week-end, par exemple.
Hourra, une accélération ! On serait presque enclin à applaudir.
Et puis il y a un côté moins positif, voire franchement négatif. C’est le constat que la confiance n’est toujours pas là. Le MR et le PS, qui devraient être à cette négociation bruxelloise ce que le couple franco-allemand fut à la construction européenne, continuent de se regarder en chiens de faïence. L’Open VLD reste également très radical dans ses demandes budgétaires.
Mettre la famille libérale et la famille socialiste d’accord sur les économies à réaliser, et sur la manière de les réaliser, reste un Himalaya à gravir — et, pour l’instant, les négociateurs n’ont jamais dépassé le camp de base. Même leurs sherpas, ces conseillers qui les accompagnent et débroussaillent le chemin, ne trouvent pas la voie médiane qui permettrait d’aboutir.
Dans cette négociation budgétaire bruxelloise, beaucoup de décisions restent donc entre crochets : comprenez, ce n’est pas réglé, on verra plus tard. Et sur les gros montants — ceux qui concernent la dotation aux communes ou le financement des emplois ACS, par exemple — on est loin de s’être mis d’accord.
Sur le chemin des négociateurs se dressent désormais deux échéances.
La première, fin novembre, lorsque le Parlement bruxellois va devoir à nouveau voter les douzièmes provisoires. Les six partis de la négociation vont devoir les voter, car sans eux, la Région s’arrête de fonctionner. Jusqu’à présent, le MR s’y est refusé. Se présenter une fois de plus désunis face à cette échéance parlementaire sera le constat implacable que les négociations n’avancent pas et que les six partis ne sont toujours pas alignés. Si, à l’inverse, ils votent tous ensemble cette nouvelle prolongation, ce sera le signal qu’il y a peut-être un espoir.
La seconde échéance, ce sera début décembre. Le 2 décembre, si mes calculs sont justes. Ce jour-là, la Région bruxelloise atteindra les 541 jours sans gouvernement. Il y aura des articles, des interviews, peut-être des éditions spéciales. Il y aura la presse étrangère, qui s’interrogera sur ce drôle de pays qu’est la Belgique, et qui se demandera peut-être s’il est bien raisonnable de laisser la capitale de l’Union européenne dans une ville qui n’est même pas capable de se doter d’un gouvernement.
Ce jour-là, il y aura peut-être un sentiment de honte qui s’imposera à l’ensemble de nos négociateurs. Oui, on espère encore et toujours un sursaut de leur part. Oh, sans doute pas un gouvernement pour le 2 décembre, mais au moins un budget — ou une nouvelle donne — qui nous permettrait de penser que les négociations ne vont pas, pendant des mois encore, continuer de gentiment tourner en rond.
Alors oui, en prévision de ce nouveau record de l’apathie politique, on va continuer de taper sur le clou.
Non, ce qui se passe en Région bruxelloise n’est pas normal. Cela relève de l’incurie politique. Et que Bruxelles décroche une médaille d’or dans ce domaine, ça continue de nous exaspérer.





