L’édito de Fabrice Grosfilley : cette instabilité qui sape la démocratie
Instabilité. C’est le terme le plus évident pour décrire la situation politique française ce matin, après la rocambolesque marche arrière de Sébastien Lecornu.
Sébastien Lecornu, c’est le nouveau Premier ministre nommé le 9 septembre par Emmanuel Macron. Depuis un mois, celui-ci tente donc de former un gouvernement pour succéder à François Bayrou, renversé par une motion de censure de l’Assemblée nationale française.
Un mois pour tenter de trouver une majorité… qui n’existe pas, tant l’Assemblée française est désormais divisée en blocs inconciliables.
Dimanche soir, fumée blanche (croyait-on) : après un mois de réflexion, Sébastien Lecornu annonce une première vague de nominations — dix-huit ministres, dans un premier temps.
Son gouvernement ressemble très fort à celui de François Bayrou : douze ministres de l’ancienne équipe sont ainsi reconduits. Bruno Retailleau, Gérald Darmanin, Rachida Dati sont toujours là. Seule nouveauté dans le casting : le retour de Bruno Le Maire, ancien ministre de l’Économie, qui se voit confier le département de la Défense.
Côté Républicains, le parti de Bruno Retailleau, c’est le tollé. On estime que Bruno Le Maire est responsable du dérapage budgétaire. Bruno Retailleau menace alors de quitter la majorité.
Lundi matin, à 9 h 42, Sébastien Lecornu annonce sa démission. Son gouvernement n’aura tenu qu’un peu plus de douze heures.
Les déclarations et les commentaires s’empilent. Certains appellent au sursaut et ciblent les ambitions personnelles de leurs adversaires. D’autres appellent à s’ouvrir vers la gauche pour trouver une majorité. Et même Gabriel Attal, ancien Premier ministre, indique qu’il ne comprend plus les décisions du président Emmanuel Macron : « Il a essayé trois fois la même chose depuis un an. Je pense qu’on peut essayer autre chose », glisse-t-il à l’encontre de son ancien mentor.
« Autre chose », ce serait donc nommer un Premier ministre qui arrêterait de chercher une majorité à droite. Ou alors dissoudre l’Assemblée nationale — avec le risque d’une victoire de l’extrême droite.
Car, pour beaucoup d’observateurs, les grands gagnants de cette séquence calamiteuse se trouvent parmi les partis protestataires : le Rassemblement national, à l’extrême droite, et La France insoumise, à la gauche de la gauche.
Bien sûr, vu de Belgique, nous serions tentés de nous gausser : trois Premiers ministres en l’espace d’un an, dont l’un qui met un mois à former un gouvernement qui explose avant même d’être installé… cela pourrait nous faire sourire.
Nous aurions tort. L’instabilité de la politique française, cette incapacité à gouverner, handicape l’Europe tout entière. Quand la France et l’Allemagne peinent à être gouvernées, c’est l’Europe qui avance moins bien.
Ce blocage français est aussi un signe des temps, qui doit nous alerter — et alerter tous les démocrates.
La nouvelle manière de faire de la politique, avec des positionnements à court terme, les querelles de personnes, la lutte permanente entre familles politiques qui pourraient être idéologiquement proches mais apparaissent de plus en plus morcelées et incapables de faire alliance ; la polarisation des débats, qui consiste à diaboliser celui qui ne pense pas comme vous, et qui rend le dialogue impossible — tout cela dresse les électeurs les uns contre les autres, dans une atmosphère de rejet et de simplification toujours plus grande. Il faut avoir très peu de recul pour ne pas constater la violence grandissante des propos, sur les réseaux sociaux et ailleurs, et ne pas comprendre qu’une violence en ligne légitime les violences physiques.
Cela conduit certains citoyens à se détourner de la démocratie, et à préférer l’idée d’un pouvoir fort aux jeux subtils d’un système parlementaire qui paraît aujourd’hui obsolète, moins en phase avec les besoins de l’époque.
Nous sommes entrés dans une période de l’Histoire où les citoyens plébiscitent les Donald Trump, les Geert Wilders, les Boris Johnson. Giorgia Meloni ou Viktor Orbán ne sont pas des accidents ni des anomalies : ils et elles sont l’illustration d’un monde occidental qui revient à la case du populisme et du pouvoir autoritaire.
Ceux qui font du bruit, qui jouent la carte populiste, qui usent et abusent du blocage à chaque négociation — sur le budget ou sur tout autre sujet —, quitte à prendre le bon fonctionnement des institutions en otage, sont aujourd’hui nombreux, très nombreux : en France, mais aussi en Belgique, et dans tous les pays d’Europe.
La recette fonctionne. Elle repose sur un principe simple : pour prendre le pouvoir, il faut crier plus fort que les autres, et s’autoriser toutes les outrances, même les moins nobles.
Et, au final, c’est bien la démocratie qu’on abîme.
Une démocratie à laquelle nous finirons, si nous n’y prenons pas garde, par tourner le dos.
Fabrice Grosfilley





