L’édito de Fabrice Grosfilley : pas de gouvernement ? Alors préparez le budget !

C’est donc la pause en Région Bruxelloise. Les négociateurs politiques s’accordent quelques jours de déconnexion, pendant lesquels on ne parlera plus de tractations, de veto, de bras de fer ou de solutions créatives. Une pause mal comprise par le citoyen lambda, qui, sur les réseaux sociaux, affiche son incompréhension : comment les hommes et femmes politiques peuvent-ils prendre congé et laisser la Région bruxelloise en plan, alors qu’ils continuent à toucher leur salaire ? L’interrogation n’est pas aussi légitime qu’il n’y paraît : les élus sont payés par le citoyen pour siéger dans un parlement (ce qu’ils font)… Le fait d’être impliqué dans des négociations se fait en plus, le plus souvent à titre gracieux.

Cette pause — qui n’empêche nullement de réfléchir ni de passer l’un ou l’autre appel — s’impose donc, ne serait-ce que pour calmer les esprits et recharger les batteries. Mais la bonne question que tout le monde doit désormais se poser, c’est de savoir vers quoi nous repartirons à la mi-août ?  La direction des opérations appartient théoriquement au MR (ce qui a presque toujours été le cas depuis juin 2024, à l’exception d’une brève mission Engagés-Groen), où l’on a pu observer que les impulsions venaient désormais autant de Georges-Louis Bouchez que de David Leisterh. C’est donc aux libéraux qu’il appartient de dire quelles initiatives ils seront en mesure (ou non) de prendre à la rentrée. Ils devraient théoriquement le faire en concertation avec Elke Van den Brandt, qui a le lead du côté néerlandophone.

À ce stade — mais c’est peut-être parce que nous avons nous-mêmes besoin de vacances — on ne voit pas trop ce qui pourrait changer dans les deux ou trois semaines à venir. Il n’y a pas de miracle à attendre, et la situation ne pourra se débloquer que si au moins l’un des points de blocage suivants est levé :

  • Que le PS consente à gouverner avec la N-VA ;

  • Que l’Open VLD consente à gouverner sans la N-VA ;

  • Que le CD&V accepte de monter dans une majorité pour remplacer la N-VA ;

  • Que la N-VA accepte de soutenir l’installation d’un gouvernement sans en faire partie ;

  • Que le MR et l’Open VLD lèvent leur exclusive contre Team Fouad Ahidar ;

  • Que Vooruit accepte de monter dans une coalition de gauche avec le PTB.

On pourrait encore allonger la liste, mais vous avez ici quelques-uns des mouvements envisageables qui permettraient de doter la Région bruxelloise d’une majorité parlementaire opérationnelle dans les deux collèges linguistiques.

On observera que les points de blocage sont à la fois communautaires et idéologiques. Les crispations autour des nationalistes flamands de Cieltje Van Achter, ou de la liste Team Fouad Ahidar, ne relèvent pas uniquement de principes communautaires : elles appuient  aussi un affrontement droite-gauche. En imposant la N-VA à bord, l’Open VLD (et le MR, même s’il s’en défend) assure à la famille libérale une politique régionale  plus à droite — à laquelle, en miroir, le PS s’oppose. De même, en empêchant la coalition de gauche, le Vooruit de Conner Rousseau révèle que son projet politique s’est fortement recentré et éloigné de ses racines historiques.

Dépasser ces logiques antagonistes sera d’autant moins aisé que les projets très concrets à trancher rapidement s’amoncellent : la trajectoire budgétaire, le « stop ou encore » du métro 3, le financement des politiques sociales et du secteur associatif, la construction de logements sociaux, la réforme des administrations régionales, la politique de mobilité, la quête de nouvelles rentrées fiscales — y compris via la fiscalité automobile —, l’encadrement ou non des loyers… Et on voit bien ce que les uns ou les autres peuvent perdre auprès de leur électorat sur chacun de ces dossiers.

Pourtant, l’immobilisme n’est pas une option. Il reste un chemin que les négociateurs n’ont pas encore voulu emprunter, mais qu’ils ne pourront plus négliger : celui du budget. Si l’on n’arrive pas à former un gouvernement faute de double majorité, rien n’empêche en revanche de s’attaquer au budget de la Région.

Le budget, c’est le nerf de la guerre en politique. Une majorité simple suffit pour les matières régionales. Une double majorité est théoriquement nécessaire pour les matières bicommunautaires, mais il est possible de la contourner.

Des majorités existent, on l’a vu ces derniers mois :

  • Une majorité typée à droite, qui a par exemple retiré le droit aux allocations familiales des étudiants étrangers (avec MR, Engagés, Open VLD, Groen, N-VA, CD&V et Vooruit, soit 41 sièges, auxquels on pourrait ajouter DéFI) ;

  • Une majorité nettement plus à gauche, qui a adopté l’intensification de la lutte contre les loyers abusifs (avec PS, PTB, Ecolo, Groen, Vooruit et Team Fouad Ahidar, soit en théorie 49 sièges).

  • Et toute une gamme de propositions intermédiaires… Si l’on arrive à associer MR et PS, cela permet déjà de disposer d’un socle de 37 élus (la majorité est à 45).

Une fois ce budget voté, il reviendrait au gouvernement en affaires courantes de le faire appliquer. Ce n’est pas la solution idéale. Ce serait inconfortable pour le MR ou les Engagés qui pourraient voter un budget sans bénéficier de la visibilité gouvernementale qui va avec. Ce le serait tout autant pour les ministres Ecolo en affaires courantes de devoir appliquer des mesures avec lesquelles ils pourraient être en désaccord fondamental — idem pour Sven Gatz, ministre du Budget et des Finances. Mais on n’ose pas imaginer, vu la situation politique, que les ministres en poste soient déloyaux au point de ne pas appliquer ce que le Parlement aura démocratiquement décidé. Et osons un brin de machiavélisme : quitte à prendre des mesures impopulaires autant les faire porter par l’équipe ministérielle sortante qui a son avenir électoral derrière elle.

Insistons auprès de nos élus. Il ne sert à rien de continuer à dépasser les échéances les uns après les autres : en juillet 2024, à la rentrée de  septembre, après les communales, en fin d’année, pour le printemps 2025,  avant le rapport des agences de notation, pour le 21 juillet, maintenant pour le 15 août … Si vous n’arrivez pas à lancer rapidement une négociation gouvernementale en revenant de votre pause estivale, soyez assez lucides et responsables pour vous attaquer à la question budgétaire. Il est encore possible de corriger (à la marge) le budget 2025 avant  la fin de l’année, et de revoir les choses en profondeur pour 2026 et les années suivantes.

Fabrice Grosfilley 

Nota Bene : un lecteur attentif et instruit me signale que le dépôt d’un projet de budget est une prérogative du gouvernement… ce qui impliquerait donc d’office les partis de la coalition sortante… Mais le parlement  bruxellois pourrait malgré tout envoyer à ce gouvernement un signal fort en votant une “résolution à caractère budgétaire” lui indiquant la marche à suivre… C’est le chemin qui avait été emprunté pour prolonger les primes rénolutions jusqu’à la fin de l’année 2024.

BX1
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