L’édito de Fabrice Grosfilley : jouer le gouvernement bruxellois à la roulette russe
Forcer la chance. Ça peut réussir et on criera au génie. Ça peut aussi rater et on hurlera aux apprentis sorciers. Elke Van den Brandt et David Leisterh ont décidé de forcer la négociation en vue de former un gouvernement. Les deux coformateurs de la Région bruxelloise ont organisé hier une réunion associant francophones et néerlandophones. La première réunion du genre depuis les élections du 9 juin. Il aura donc fallu 77 jours pour réussir à mettre sur pied une première réunion. Et accoucher d’une déconvenue majeure. Il n’y avait hier que 6 partis autour de la table.
Côté francophone, donc MR, socialistes et Engagés. Côté néerlandophone, Groen, Vooruit et l’Open VLD. Le CD&V, qui avait été invité, ne s’est pas présenté. Et c’est là tout le problème. Ces 6 partis prêts à négocier ont une majorité dans le collège francophone. Ils ne l’ont pas dans le collège néerlandophone. Depuis 77 jours, ou presque, Elke Van den Brandt et David Leisterh tentent de convaincre le CD&V de Benjamin Dalle de se joindre à eux. Et depuis 77 jours, ou presque, Benjamin Dalle refuse. Les pressions via l’étage fédéral et Sammy Mahdi (son président de parti) n’y changent rien. Le CD&V n’est pas intéressé pour gouverner à Bruxelles. Il estime être un des perdants de l’élection et ne voit pas pourquoi il dépannerait une majorité minoritaire. Et ce d’autant plus qu’il n’y a que 3 postes de ministres néerlandophones, il ne serait donc même pas assuré de pouvoir siéger à la table du gouvernement.
Peut-on commencer à négocier sans le CD&V dans l’espoir qu’il se joigne à la coalition un peu plus tard, une fois par exemple que les négociations à la Région flamande auront abouti ? Ou peut-on tenter le coup de présenter une équipe minoritaire dans le collège néerlandophone et voir si l’un ou l’autre membre de l’opposition ne s’abstiendrait pas au moment du vote sur l’installation ? C’est prendre le risque d’un bricolage constitutionnel. Un bricolage que serait prêt à tenter une partie des négociateurs tant la situation leur semble bloquée. Pourtant, il existe des alternatives. Appeler la N-VA à rejoindre les discussions, deux députés. Ou Fouad Ahidar, qui en compte 3. Cela offrirait plus de stabilité juridique. Mais pour des raisons politiques, les négociateurs aujourd’hui autour de la table s’y refusent. Ils préfèrent continuer à miser sur le CD&V, à croire que celui-ci pourra changer d’avis. Pour rappel, le CD&V a obtenu 5102 voix lors des élections du 9 juin. Il n’a décroché qu’un siège de député. Mais c’est ce siège de député qui peut faire réussir ou capoter la négociation qu’on essaye de lancer.
Aujourd’hui, il y a un constat qui s’impose à tous. C’est le dysfonctionnement structurel des institutions bruxelloises. Ce système de double collège et de représentation garantie de la minorité néerlandophone ne fonctionne plus. Et pire, c’est devenu un facteur de blocage. Il ne fonctionne plus parce qu’on voit très clairement que les candidats qui se présentent dans le groupe linguistique néerlandais ne sont pas toujours néerlandophones. Certains candidats de la liste Team Ahidar ou la liste Viva Palestina auraient pu se présenter du côté francophone. En 2019, c’était la liste Agora ou la liste DierAnimal. Les électeurs eux-mêmes passent d’un collège linguistique à l’autre. Une partie du score d’Elke Van den Brandt, par exemple, provient sans doute d’électeurs francophones. Ce système est aujourd’hui un facteur de blocage, puisqu’il faut au moins le soutien de 9 des 17 élus néerlandophones du parlement régional pour pouvoir former une majorité. C’est donc une évidence sur laquelle il va falloir se pencher dans les prochains mois ou les prochaines années : le système de représentation garantie doit être repensé, et il faut trouver autre chose que ce double collège où, avec un seul élu, on est en mesure de tout bloquer. La démocratie bruxelloise mérite mieux que cela. On ne peut pas s’empêcher d’écarquiller les yeux quand on voit que des négociateurs actuels, qui représentent quand même six partis qui ne sont pas les plus petits, sont désormais tentés ou contraints de jouer la négociation d’un gouvernement à la roulette russe.
> Un édito de Fabrice Grosfilley