L’édito de Fabrice Grosfilley : des militaires, pour quoi faire ?
Dans son édito de ce mercredi 27 mars, Fabrice Grosfilley revient sur la proposition de mettre l’armée dans les rues.
Faut-il ou pas mettre des militaires dans les rues de Bruxelles ? La situation est-elle devenue à ce point critique qu’il faille envisager cette extrémité ? Plus de bleu dans la rue et du kaki aussi ? La question sera débattue ce matin au cours d’un Conseil National de Sécurité. Un “CNS”, dont la réunion était prévue de longue date, mais auquel l’actualité récente entre l’attentat de Moscou, le plan Vigipirate en France et les fusillades à répétition dans les rues de Bruxelles donne un relief particulier.
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Cette idée de mettre des militaires en rue pour renforcer la sécurité est ardument défendue par le Mouvement Réformateur. David Clarinval et Georges-Louis Bouchez l’ont fortement et publiquement appuyée ces dernières 24 heures. Il faut avoir l’honnêteté de dire que d’autres élus d’autres partis ont également envisagé cette option. Sur notre antenne par exemple, Marc Jean Ghyssels, député bruxellois socialiste, a estimé que des gardes statiques d’ambassades ou de bâtiments à risques pourraient être confiés à des militaires. Mais, dans l’ensemble, les autres formations politiques (hors MR et N-VA) ne sont pas réellement favorables à cette mobilisation militaire.
Paul Van Tigchelt, ministre de la Justice, l’expliquait d’ailleurs à un de nos reporters hier : si les militaires peuvent effectivement effectuer des gardes statiques, ils ne peuvent pas poursuivre des personnes ni procéder à des contrôles d’identité. C’est d’ailleurs ce qui se passe à Anvers, plus précisément à Doel, où les militaires participent à la sécurisation d’une centrale nucléaire.
Est-ce que cela veut dire que déployer des miliaires n’a aucun sens ? Non, si on considère qu’en effectuant ces gardes statiques, ils libèrent des policiers, qui peuvent participer à des patrouilles ou à d’autres opérations de police.
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Dire qu’on veut mettre des miliaires en rue, c’est donc avant-tout un slogan. Si on veut être honnête avec le citoyen et donc l’électeur, il faut préciser que cela aura un impact limité. On récupérera quelques dizaines de policiers, peut-être une centaine. Ce n’est sûrement pas la formule magique. L’ambiguïté du message repose sur ce qu’on peut parfois voir à l’étranger et qui imprègne l’imaginaire collectif. En France notamment, où dans le cadre du plan Vigipirate ou du plan Sentinelle, l’armée est très présente. Mais ce qu’on voit en France, le plus souvent, ce sont des patrouilles mixtes qui sont organisées avec policiers ET militaires. Il a fallu d’ailleurs préciser les règles d’engagement, le rôle précis des soldats placés sous l’autorité de l’officier de police. Il arrive aussi aux militaires de mener des patrouilles sans policiers à leurs côtés. Il s’agit alors de missions de surveillance pour assurer une présence dissuasive, en complément des dispositifs de la police. Mais en aucun cas les militaires ne sont autorisés à intervenir pour interrompre une scène de deal par exemple. Pour cela, il faut des policiers. Investir dans la police est donc la bonne réponse. La première priorité des formations francophones devrait être de faire plier la ministre de l’Intérieur pour qu’elle libère des effectifs. Et on ajoutera qu’investir dans les services sociaux, dans la prévention, dans le suivi médical et les programmes de sevrage est une partie de la réponse qu’on ne doit pas négliger, or ce volet-là passe à la trappe. Élargir le débat aux causes profondes de la toxicomanie (la précarité, l’absence d’avenir, la pression de productivité dans le cadre professionnel) devrait aussi être possible.
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Notre débat actuel manque de précision. À quelle menace faisons-nous face actuellement ? Le recours à des militaires, comme on l’a connu dans un passé récent, répondait à une menace terroriste imminente. C’était la période des attentats. Il fallait se préparer à des individus qui s’en prenaient directement à la population civile et visaient des cibles symboliques, représentant l’État ou la collectivité (des commissariats, le Palais de Justice, des ambassades, des salles de concerts, des gares). Le but de ce déploiement miliaire permettait d’envoyer le signal d’une mobilisation générale à des agresseurs potentiels et aussi à rassurer une opinion publique en proie à une angoisse compréhensible après le choc des attentats. Avec le trafic de drogue, ce n’est pas du tout la même chose. La menace est pernicieuse, mais elle ne s’en prend pas directement aux personnes et aux bâtiments. Des militaires qui ne peuvent pas intervenir (ils ne vont pas ouvrir le feu sur un dealer qui s’enfuit sur un scooter) ne feront pas peur aux trafiquants. Des policiers, des magistrats, un cadre juridique renforcé peuvent les gêner davantage. Proposer une réponse qui ne serait pas la bonne flatte peut-être l’électeur. Cela ne protège pas le citoyen.
Fabrice Grosfilley