L’édito de Fabrice Grosfilley : l’espace parlementaire
Dans son édito de ce lundi 19 février, Fabrice Grosfilley revient sur la sourate prononcée par un imam au Parlement bruxellois.
C’est une polémique dont le Parti Socialiste se serait probablement bien passé. La diffusion d’une vidéo d’un imam récitant une sourate à la tribune du Parlement bruxellois a fait le tour des réseaux sociaux tout le week-end, déclenchant une avalanche de réactions et de demandes d’explications. Le genre de débat qui, en Région bruxelloise, provoque à coup sûr des échanges enflammés qui oscillent entre des interrogations sur la neutralité de l’État, la place du religieux dans la vie de la cité ou des accusations de communautarisme.
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Pour relativiser un peu, ayons conscience que cette vidéo, qui sort le jour-même de l’ouverture de la période de prudence, remonte à une cérémonie qui a eu lieu à la mi-janvier, donc un mois plus tôt, et qu’il s’agissait d’une cérémonie non-officielle, puisque l’enceinte parlementaire servait à une réunion organisée par l’association « Friends of Brussels ». Cette association avait donc eu accès à l’Hémicycle à la demande d’Hassan Koyuncu. Ce député socialiste, tête de liste du PS à Schaerbeek pour les communales d’octobre et candidat à sa réélection au Parlement bruxellois, figurera en 9e position sur la liste socialiste aux prochaines élections régionales. Précisons qu’il ne s’agissait pas d’une prière collective, que l’imam Muhammad Ansar Butt a juste récité une sourate, qu’il ne s’agissait donc pas d’un prêche, qu’il n’a, d’après les premiers éléments dont nous disposons, pas tenu de propos litigieux à la tribune et que des représentants d’autres religions se trouvaient à cette occasion dans l’hémicycle.
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Il n’empêche que cette présence à la tribune fait mauvais genre. Que la secrétaire d’État Nawal Ben Hamou, qui était présente, a d’ailleurs préféré sortir de la salle à ce moment-là. Et que Rachid Madrane, président du Parlement, a immédiatement rappelé que le Parlement était le temple de la démocratie et de rien d’autre. Au minimum, on pourra dire que la présence de cet imam à la tribune est une maladresse. Suivant les appréciations de chacun, on pourra parler de faute ou de bévue. L’opposition n’a pas laissé passer l’occasion. Elle réclame des explications. Le MR veut une Commission parlementaire. Son président Georges-Louis Bouchez a même été plus loin en demandant au PS de sanctionner Hassat Koyuncu. Du côté des Engagés, on demande que le règlement du Parlement soit modifié pour ne plus permettre ce genre d’utilisation de l’hémicycle. Cieltje Van Achter, pour la N-VA, a écrit à Nawal Ben Hamou pour lui demander des explications et faire la transparence. La N-VA demande des sanctions et condamne ce qu’elle appelle “une ingérence religieuse dans le Parlement”.
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Des explications, il y en aura donc. Rachid Madrane a annoncé qu’il mettait le point à l’ordre du jour de la réunion de bureau du Parlement bruxellois ce lundi midi. On va donc débattre de l’incident. Il est probable qu’on sortira de cet épisode avec une réécriture du règlement intérieur du Parlement régional. Histoire de préciser que, non, le perchoir de l’Assemblée n’est pas le lieu approprié pour des propos religieux quels qu’ils soient. Faut-il aller plus loin ? On laisse les parlementaires répondre. Pour le Parti Socialiste, le mal est fait. Cette image a marqué les esprits, elle continuera à circuler, elle insinue le doute sur la capacité du PS à séparer le fait religieux de son action politique. Signal du malaise, à l’exception de Rachid Madrane (et ce lundi matin de Karine Lalieux), tous les ténors politiques gardent le silence sur cette question depuis vendredi. Surtout, ne pas désavouer Hassan Koyucu qui en 2019 avait récolté 6.000 voix de préférences et qui s’est profilé comme le nouvel émissaire du PS auprès des électeurs issus de l’immigration turque.
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Alors, bien sûr, on a le droit d’être fier de ses origines. Être bruxellois, ce n’est pas être belge depuis 15 générations. On a le droit aussi d’embrasser une religion, de la pratiquer avec ferveur même si on le souhaite. Dire le contraire relève de l’intolérance et du racisme. Cela n’empêche pas d’avoir aussi la conscience que la Belgique est un État neutre et que Bruxelles est riche de sa diversité. L’expression de cette diversité passe par le respect de toutes les nuances philosophiques. Les parlementaires ne sont pas neutres, ils portent tous un projet politique, des valeurs, une histoire. L’espace parlementaire, lui, en revanche, doit l’être. Il ne peut pas être confisqué par l’un ou l’autre si l’on veut que l’un et l’autre s’y sentent chez eux. L’espace parlementaire doit servir au débat politique et à rien d’autre. On peut d’ailleurs s’interroger sur sa privatisation régulière au gré des animations patronnées par l’un ou l’autre député ou groupe politique. Y permettre une expression religieuse revient à dévoyer sa fonction première et à permettre de douter de sa neutralité. L’oublier, à la veille d’une campagne électorale, est une faute politique.
Fabrice Grosfilley