Aisha et Masha, l’édito de Fabrice Grosfilley
Ce vendredi, Fabrice Grosfilley évoque dans son édito l’exclusion d’Aisha, Iranienne de 20 ans qui demande l’asile en Belgique.
Il y a des moments où des péripéties personnelles ou familiales rencontrent de plein fouet la grande histoire. Des moments où ce qui se passe à Bruxelles trouve un écho dans un mouvement lancé à l’autre bout du monde. Le retour forcé d’une jeune Iranienne qui pensait trouver refuge à Bruxelles est une illustration de ce télescopage.
Cette jeune Iranienne s’appelle Aisha. Aisha a 20 ans. Elle est arrivée en Belgique au mois de juillet. Elle explique qu’elle a voulu fuir l’Iran où elle est promise à un mariage forcé avec un homme qu’elle n’aime pas. Cette fuite se serait faite avec la bénédiction de son père pour échapper notamment à la violence d’autres membres de la famille. Son oncle notamment. Il faut dire qu’Aisha a un amoureux beaucoup plus jeune que le futur marié, et que cela n’a pas l’air de plaire à son entourage.
Le problème, c’est que le récit d’Aisha n’a pas convaincu le commissariat général aux réfugiés. Demande d’asile refusée, confirmation devant l’instant d’appel. Aisha a donc été placée en centre fermé et la Belgique a donc décidé de l’expulser, et de la renvoyer en Iran. Par 3 fois déjà, Aisha a été placée dans un avion. Et par trois fois, son expulsion a finalement été avortée parce qu’elle s’est violemment rebellée et que des passagers ou des militants anti-expulsions qui s’étaient glissé parmi les passagers ont violemment protesté.
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Alors bien sûr, il est possible qu’Aisha mente. Et qu’elle vienne à Bruxelles chercher une vie meilleure que celle qui s’offre à elle en Iran. Mais il est aussi possible qu’elle dise la vérité. Et que quand elle crie dans un avion “je ne veux pas retourner là-bas, ils vont me tuer“, ce ne soit pas du bluff. Cette vidéo où on l’entend crier, elle nous rappelle évidemment de mauvais souvenirs. Une jeune femme entre deux policiers dans un avion qu’on essaye de faire taire, c’est l’affaire Semira Adamu. La jeune nigériane qui avait l’objet de 6 tentatives d’expulsions, qui avait fini étouffée sous un coussin, avec à la clef la condamnation de 4 gendarmes et une reconnaissance de la responsabilité de l’état dans son décès.
Ce qui est plus troublant encore dans l’affaire d’Aisha c’est que ces tentatives interviennent alors qu’un vaste mouvement de protestation a vu le jour en Iran. Avec des Iraniennes qui arrachent leur foulard et se rasent les cheveux. Un mouvement déclenché par la mort dune autre jeune femme, Mahsa Amini, arrêtée et emmenée au commissariat parce qu’elle ne portait pas le voile comme il faut. « Tenue indécente » ont estimé les policiers. Mahsa avait 22 ans, c’est deux ans de plus qu’Aisha. Mais c’est bien vers ce pays-là qu’on veut renvoyer la jeune femme.
Pour l’instant, la secrétaire d’État se refuse à intervenir. Les décisions du commissariat aux réfugiés sont indépendantes du pouvoir politique. C’est justement tout le problème. La rigueur administrative d’une procédure qui reste aveugle et sourde aux soubresauts du monde. En Iran, la répression bat son plein. La police tire sur les manifestants. On parle de centaines de morts. Internet est coupé. Mais c’est bien vers ce pays-là qu’on veut renvoyer Aisha.
La république islamique d’Iran, c’est aussi le pays avec lequel la Belgique vient de signer un traité de transfert de prisonniers. Traité que nos parlementaires ont fini par voter en se raclant la gorge et en se bouchant le nez pour permettre d’échanger un diplomate iranien, condamné à 20 ans de prison parce qu’il fomentait un attentat des opposants politique à Paris, avec un travailleur belge humanitaire arrêté en Iran et détenu depuis 6 sans qu’on sache aujourd’hui de quoi il est accusé. Donnant donnant. C’est aussi dans ce pays où un professeur de la VUB arrêté pour espionnage a été condamné à mort et attend son exécution. Mais c’est bien vers ce pays-là, qu’on veut renvoyer Aisha.
■ Un édito de Fabrice Grosfilley