Contrer la grande criminalité, l’édito de Fabrice Grosfilley
Ce jeudi, Fabrice Grosfilley évoque dans son édito le manque de moyens de la police fédérale.
Le royaume de Belgique, est-il en passe de devenir un espace acquis à la grande criminalité ? Trafic de drogue, racket, traite des êtres humains, délinquance financière : les policiers ont-ils encore les moyens de s’attaquer à tout cela ? Ces questions sont graves. Mais ce sont celles que les magistrats posent désormais au monde politique.
Cela fait quelques mois que les responsables de la police judiciaire, mais aussi les juges d’instruction ou les responsables des différents parquets du pays tirent la sonnette d’alarme. La grande criminalité se développe. La Belgique est devenue une plaque tournante pour de nombreux trafics, notamment au départ du port d’Anvers. Pour y faire face, on a besoin de plus de policiers, mais aussi de policiers mieux formés et mieux équipés. Et c’est tout l’inverse qui se produit. Il manquerait aujourd’hui au moins un millier de policiers dans les rangs de la police judiciaire. C’est la conséquence d’un désinvestissement progressif qui a commencé, il y a près de 10 ans, lorsqu’on a voulu rogner sur le train de vie de l’état au nom de l’équilibre budgétaire. Mais c’est aussi la conséquence d’une opération de police sky ECC qui a ouvert les yeux de nos services sur la réalité du crime organisé et son implantation chez nous.
Sky ECC est l’intrusion de la police dans un système de messagerie cryptée utilisée notamment par les trafiquants de drogue. En perçant les secrets de cette messagerie, la police judiciaire a lancé pas moins de 459 enquêtes différentes. Cela mobilise plus d’un millier de policiers. Mais c’est du lourd. Hier à la Chambre, le procureur fédéral Frédéric Van Leeuw a expliqué que sky ECC avait permis d’élucider 28 meurtres. Ils avaient été commis en Serbie, mais concernaient des trafiquants de drogues actifs en Belgique. Plus d’un millier de personnes ont été interpellées dans le cadre de cette gigantesque enquête, mais il en reste trois fois plus identifiées, mais pas encore sous les verrous. 92 tonnes de drogue et 72 millions d’euros ont été saisies.
Cette gigantesque enquête est prioritaire. Parce qu’on est face à de la très grande criminalité. Mais en captant une part importante des ressources policières, elle a comme conséquence que d’autres enquêtes, sur la criminalité financière, le trafic d’œuvre d’art ou de la petite criminalité, ne sont désormais plus traités. Pour étayer leurs propos hier à la Chambre, les magistrats ont diffusé quelques photos chocs aux députés. Des corps abattus, des personnes torturées, des armes de guerre. Ils ont révélé que la grande criminalité avait réussi à infiltrer les services de police ou l’administration fiscale. Que les locaux de la police judiciaire étaient surveillés et que les plaques des équipes spéciales avaient été photographiées.
Tous ces ingrédients ressemblent à un scénario de blockbuster. Mais ici ce n’est pas de la fiction. Il faut un plan marshall pour la police, plaidait hier le président du collège des procureurs généraux. Le monde politique face à cette requête a deux options. L’entendre et faire le nécessaire. Ce qui veut dire délier les cordons de la bourse. Ou bien rester sourd et reconnaître que le Royaume de Belgique accepte de perdre le contrôle de son propre territoire. Et que dans le face-à-face perpétuel entre les gendarmes et les voleurs, chez nous, ce sont les voleurs qui ont gagné.
■ Un édito de Fabrice Grosfilley