La ministre et les militants : l’édito de Fabrice Grosfilley
Dans le langage courant, c’est ce qu’on appelle une boulette. Dans le langage politico-diplomatique on va parler de propos inappropriés. Et pour vous et moi , qui sommes des observateurs attentifs de la vie politique, attachés au bon usage des deniers publics, à la transparence, à l’intérêt général, c’est clairement ce qu’on peut appeler un dérapage.
Mercredi dernier , lors d’une réunion interne du parti socialiste bruxellois, Karine Lalieux a donc tenu des propos interpellants lorsqu’elle a fait le bilan de son action au gouvernement fédéral. Evoquant Beliris, ce programme de financement dont elle a la charge , elle a évoqué « un bonheur, une enveloppe d’investissement avec laquelle elle pouvait faire plaisir à l’ensemble des communes, et en particulier aux communes socialistes. » Et pour étayer son propos la ministre de l’action sociale a cité en exemple la rénovation de logements sociaux et la construction de salles de sports à Evere et Koekelberg.
Alors on imagine bien sur le clin d’œil aux militants socialistes qui étaient dans la salle. Ce passage de son intervention aurait du rester entre oreilles socialistes. Après tout, Karine Lalieux faisait un rapport destiné aux camarades convaincus. Il s’agissait de les persuader que les socialistes obtiennent du concret, que ça vaut donc la peine d’être dans un gouvernement. Et par contraste avec Beliris dont elle a la charge, Karine Lalieux a aussi souligné combien le PS au fédéral ne pouvait compter ni sur le MR qui brille dit elle par “des positions ultraconservatrice et antisociales”, ni sur les écologistes qui sont “totalement absents des débats quand il ne s’agit pas de leurs compétences”. Des propos de meeting donc. Sauf qu’on est pas en campagne électorale et qu’ils se sont retrouvés dans la Libre Belgique. Et qu’ils ont donc déclenché une vague d’indignation.
Premiers à réagi, les écologistes qui dans un communiqué évoquent « une vision clientéliste insupportable » et demandent un audit des projets financés par Beliris. Puis le MR par la voix (les tweets) de Georges-Louis Bouchez « l’argent public mérite mieux que le copinage ». Et enfin la N-Va qui estime que l’argent de Beliris doit d’abord aller au métro et qui glisse au passage que MR et Ecolo siègent quand même au gouvernement fédéral qui cogère ce fonds.
Les propos de Karine Lalieux sont-ils choquants ? Oui, Évidement oui. Surtout que la ministre ne les a pas démenti, même si elle précisé dans un communiqué qu’elle défendait des projets pour l’ensemble du territoire bruxellois, donnant l’exemple d’un stade de hockey à Uccle, du parc Tournay-Solvay à Watermael-Boitsfort ou d’une piscine à Schaerbeek… trois communes où le PS est effectivement dans l’opposition.
Il n’empêche que ces propos créent malgré un certain malaise. Ils font écho à un mal typiquement belge qui veut qu’on attribue des financements suivant une logique de saupoudrage, en s’efforçant de respecter une forme de clef de réparatition qui permet à chaque parti de s’y retrouver. Le fonds Beliris pour rappel c’est une enveloppe de 125 millions par an. On est par exemple étonné que cet argent qui doit aider Bruxelles à être plus ambitieuse et plus agréable à vivre serve à financer … un terrain de hockey à Uccle, ce qui n’est peut être pas la priorité absolue. Et on est plus étonné encore quand la ministre parle de “faire plaisir à des communes en particulier”. Parce que non l’argent de Beliris ne doit pas faire plaisir, cet argent doit servir. Servir l’intérêt collectif, servir un projet au profit des bruxellois, quelle que soit la croix qu’ils cochent sur leur bulletin de vote. L’incident est typique d’ un “problème de casquettes”, que Karine Lalieux, mais ça concerne aussi sans doute de très nombreux autres ministres dans toutes les formations politiques, a un peu tendance à mélanger. En prêtant serment, un ministre se met au service de tous. Il ne privilégie pas ses électeurs et travaille au profit de toute la population. Cette posture oblige à certain devoir de réserve. Et à mettre le plus possible sa casquette militante, et son drapeau, au fond de sa poche.