La neutralité appartient-elle au passé ? L’édito de Fabrice Grosfilley
Ce mercredi, Fabrice Grosfilley évoque dans son édito le statut neutre de certains pays.
Faire de l’Ukraine un pays neutre, c’est en substance la nouvelle proposition de Moscou. Une proposition rejetée par l’Ukraine, mais qui mérite sans doute qu’on s’y attarde quelques minutes.
« Le statut neutre de l’Ukraine fait l’objet de discussions sérieuses, il y a des formules très concrètes et je pense que nous sommes proches d’un accord ». C’est la déclaration, ce matin, de Serguei Lavrov, le Ministre russe des Affaires étrangères. Dans un même temps, le chef des négociateurs russes qui discutent avec la délégation ukrainienne prenait l’exemple de la neutralité à la Suédoise ou à l’Autrichienne. On avait le sentiment que les négociations avançaient. Mais quelques heures plus tard, la présidence ukrainienne rejetait ou en tout cas nuançait cette idée. « L’Ukraine est maintenant en état de guerre directe avec la Russie. Le modèle ne peut être qu’Ukrainien. Nous demandons des garanties de sécurité absolue ».
La neutralité est un concept de droit international qu’observe effectivement un certain nombre d’États. Le pays neutre s’abstient de participer à des actions de guerre à l’extérieur. Il n’a pas le droit de faire partie d’une alliance militaire, mais il a le droit de se défendre contre une agression contre son territoire. La Suède, la Finlande, l’Autriche, Malte, mais aussi la Moldavie, l’Irlande, le Costa Rica sont des pays considérés comme neutres.
En proposant à l’Ukraine de devenir un pays neutre, la Russie veut d’abord et avant tout empêcher tout rapprochement avec l’OTAN. Si elle devenait neutre, l’Ukraine devrait se protéger par elle-même de toute attaque belligérante. Le fait d’appeler à l’aide vous fait perdre votre neutralité. Cette position est à double tranchant. Si la Suisse par exemple a utilisé sa neutralité pour accueillir le siège de grandes organisations internationales et faire affaire avec le monde entier. Les Finlandais ou les Suédois ont adopté une politique de neutralité plutôt dans l’idée de ne pas froisser leur grand voisin russe. On pourrait parler d’une neutralité voulue pour les uns, et d’une neutralité par défaut, voir d’une neutralité subie pour d’autres.
Le paradoxe de cette proposition est qu’elle intervient bien tard. On ne peut pas s’empêcher de suspecter que cette suggestion de neutralité va s’accompagner d’exigences comme l’annexion du Donbass et de la Crimée, voire de prétentions économiques sur l’utilisation de la mer Noire ou de la mer d’Azov qui vont rendre la proposition imbuvable pour les Ukrainiens. Dernier élément à tenir à l’œil. L’actualité de ces dernières semaines amène des pays neutres comme la Finlande ou la Suède à eux-mêmes douter de l’intérêt de leur neutralité. Leur opinion publique est désormais majoritairement favorable à une entrée dans l’OTAN. Comme si l’agression de l’Ukraine par la Russie obligeait à présent tous les pays d’Europe à choisir leur camp. Et que le concept neutralité, très en vogue au moment de la guerre froide, dans les années 60 ou 80, appartenait dorénavant au passé.
■ Un édito de Fabrice Grosfilley