Maisons de repos : des contrôles dans les établissements Orpéa avant une réforme complète du secteur
Depuis une semaine, le livre “Les Fossoyeurs” défraie la chronique en France. Victor Castanet y dénonce de multiples maltraitances dans les maisons de repos du groupe Orpéa. En Belgique, la société cotée en bourse est également un acteur important. À Bruxelles, des plaintes sont régulièrement déposées, mais cela concerne tous les établissements. Une réforme du secteur est en cours.
Des repas de piètre qualité. Peu de produits frais. Des toilettes non réalisées. Des résidents laissés seuls toute la journée. Des couches changées uniquement lorsqu’elles sont pleines. Les faits décrits dans l’ouvrage “Les Fossoyeurs” font froid dans le dos. Malheureusement, ce sont des plaintes qui reviennent régulièrement dans le secteur des maisons de repos.
Suite à ce scandale français, la ministre en charge des maisons de repos en Wallonie, Christie Morreale (PS), a lancé plusieurs contrôles inopinés dans les maisons détenues par le groupe. À Bruxelles, le ministre Alain Maron (Ecolo) a fait de même. Dans la capitale, le groupe Orpéa a racheté de nombreux établissements qui étaient autrefois isolés. En tout, on compte 22 établissements, dont une résidence-services, qui sont répartis dans les communes d’Anderlecht, Woluwe-Saint-Lambert, Auderghem, Forest, Schaerbeek, Etterbeek, Ixelles, Watermael-Boitsfort et Uccle. Les prix varient entre 39,69 euros et 102,38 euros la journée. Cela comprend les services de base, à savoir le logement et les repas. Les soins ou les services comme la laverie sont en supplément. “Ce sont des prix qui ont été cassés après la pandémie, explique Amandine Kodeck, directrice d’Infor-Homes. Ces promotions sont faites pour attirer les familles, mais je ne sais pas comment les directions font pour s’en sortir. C’est impossible d’assurer une bonne qualité de service à ce prix-là. Certaines maisons sont aussi dans un triste état avec des bâtiments très anciens. Cependant, ce n’est pas parce que c’est plus cher que la qualité est meilleure.”
En 2021, 7 maisons de repos du groupe Orpéa ont fait l’objet de plaintes. Quatre ont fait l’objet d’inspections. À la demande du ministre, sur base du rapport de l’administration concernant ce groupe, ces 4 institutions vont à nouveau être contrôlées dans les plus brefs délais.
La question de la maltraitance des seniors est une thématique particulièrement suivie à l’ASBL Infor-Homes. En 2021, 360 dossiers ont été ouverts pour une interrogation concernant des actes inappropriés. Un tiers se déroule à domicile, le reste en institutions. “Nous n’avons pas plus de plaintes concernant Orpéa que les autres maisons de repos privées, explique Amandine Kodeck, directrice d’Infor-Homes. Cela me semble proportionnel aux parts de marché détenues par chacun. Lorsque des institutions du secteur privé commercial ont été le théâtre de situations d’atteinte à la dignité, ces institutions appartenaient à différents grands groupes. Je ne pense pas pouvoir dire qu’elles ont été observées plus dans un groupe que dans un autre.”
En Région bruxelloise, les maisons de repos privées représentent 64% des lits, le public 20% et 16% par l’associatif.
Une hausse des contrôles
À Bruxelles, les contrôles sont pour le moment effectués de manière inopinée par les inspecteurs qui dépendent du Collège réuni de la Cocom. Au 1er janvier 2023, la compétence sera transférée chez Iriscare qui, dans le cadre de la 6e réforme de l’État, a reçu les compétences sur le secteur des maisons de repos. Depuis la création d’Iriscare en 2019, 220 plaintes contre des institutions ont été enregistrées et elles concernent aussi bien les maisons de repos privées que publiques ou associatives. Les thèmes restent invariables : qualité des repas, soin, manque de personnel et depuis la pandémie, non-respect des règles covid.
Les contrôles, eux, sont effectués dans deux cas de figures : le renouvellement de l’agrément qui se fait tous les trois ans et la réception de plaintes. Il est prévu d’augmenter le budget pour engager des contrôleurs. En 2021, 66 maisons de repos ont été contrôlées par une équipe d’une douzaine d’inspecteurs.
La seule sanction que peut recevoir une maison de repos est le retrait de l’agrément. Une décision difficile à prendre, car elle entraînerait la fermeture de l’établissement et cela n’arrange personne. “Il n’existe pas de sanction intermédiaire pour le moment, précise Vincent Frédéricq de Femarbel, la Fédération de maison de repos de Belgique. En Wallonie, il est possible qu’une maison ne puisse plus recevoir de nouveaux résidents le temps de se mettre aux normes. C’est aussi prévu dans le nouveau projet d’ordonnance bruxellois.”
Dans l’avant-projet, il est prévu des sanctions intermédiaires pour obliger les directions à effectuer les changements rapidement. Il sera par exemple possible d’accorder un agrément pour un laps de temps très réduit.
Un projet de réforme en deuxième lecture
Depuis plusieurs mois, le gouvernement bruxellois travaille à une réforme du secteur des maisons de repos. Plusieurs aspects doivent être modifiés et notamment la répartition du nombre de lits. Actuellement, en Région bruxelloise, on compte la possibilité d’ouvrir 15.000 lits pour les maisons de repos (MR) et les maisons de repos et de soins (MRS). Le taux d’occupation au 2e trimestre 2021 remonte et 11.335 lits étaient occupés. 64% d’entre eux sont dans des maisons de repos privées.
Le ministre en charge des maisons de repos, Alain Maron, souhaite que les maisons privées ne puissent détenir plus de 50% des lits. Pour y arriver, le projet d’ordonnance prévoit que les lits existants, mais non occupés depuis plus d’un an, soient détruits et que les maisons de repos privées ne puissent plus prendre en charge de nouveaux résidents tant que le quota n’est pas atteint. Les lits seraient alors redistribués avec l’associatif et le public dans des projets de qualité. Une dizaine de critères seront pris en compte pour déterminer la qualité du projet de vie.
“C’est pour nous une déclaration de guerre, commente Vincent Frédéricq. Selon nous, cela ne respecte le droit ni belge ni européen. C’est très brutal comme réforme et cela entraînera des fermetures d’établissements. C’est inévitable. En plus, si on ajoute comme prévu, une réforme des normes d’encadrement, cela va remettre en question tout le système financier.”
Aujourd’hui, les normes d’encadrement dans les maisons de repos dépendent de la dépendance du patient. Seul le médical compte, comme au temps des hospices. Or, la société souhaite aller vers de lieux de vie. Le personnel soignant est souvent en surplus dans les maisons par rapport aux normes fixées, mais cela ne suffit pas pour améliorer la qualité des soins et de l’encadrement. Le financement de l’INAMI pour les lits occupés n’est pas suffisant et une hausse du personnel se répercutera forcément sur le prix du séjour. Or, déjà actuellement, de plus en plus de retraités ne peuvent se payer une maison de repos.
Les normes doivent aussi être revues, mais cela ne sera pas dans l’avant-projet d’ordonnance sur la table du gouvernement ce jeudi. Iriscare étudie encore le secteur pour les fixer.
Le public aussi en difficulté
Dans la plupart des communes, les homes des CPAS sont en déficit structurel. De plus, ils ne répondent pas aux normes et fonctionnent avec des dérogations. Cela peut être à cause de la taille des chambres, d’un manque de sanitaire, de problèmes de mise aux normes de l’électricité. Ce n’est donc pas forcément mieux dans ce secteur. Dans le projet de réforme, il est aussi prévu de revoir l’attribution de ces dérogations et en tout cas leur maintien dans le temps. Il ne serait plus possible de rester dix ou quinze ans avec une dérogation pour une absence de sanitaire dans les chambres.
“Le problème est que souvent, les familles mettent leurs parents en maison de repos après un accident, une maladie ou un décès, explique Amandine Kodeck. L’âge d’entrée est aussi de plus en plus tardif et la dépendance plus importante. Certaines pathologies ne sont d’ailleurs prises en charge par le public. Il faudrait pour améliorer le secteur que les familles s’en occupent avant et puissent en visiter plusieurs. Le bouche-à-oreille reste le meilleur critère de sélection.”
Vanessa Lhuillier – Photo : BX1