Procès de l’attentat du Musée juif : lors de ses auditions, Nemmouche exerçait son droit au silence
L’audience de vendredi devant la cour d’assises de Bruxelles est largement consacrée au visionnage des auditions de Mehdi Nemmouche.
Elle s’est ouverte vers 9h30 avec la projection de la première audition de l’accusé de l’attaque au Musée juif par les enquêteurs, qui a été retardée des problèmes de son. “Moi, je ne répondrai pas aux questions”, y déclare d’emblée un Mehdi Nemmouche en costume, qui semble peu impressionné par les enquêteurs. Une attitude qu’il va conserver tout au long de ses auditions face aux enquêteurs.
L’audition remonte au 31 mai 2014, à 3h00 du matin, soit quelques heures après son arrestation à Marseille en possession des armes de la fusillade. Selon les enquêteurs, Mehdi Nemmouche était ce jour-là “tout à fait courtois, détendu”. Il avait précédemment été entendu par les douaniers mais cette audition n’avait pas été filmée.
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“Nous étions dans un contexte avant tout sécuritaire, on craignait une reprise d’attentats. Sous le contrôle du magistrat, nous avons utilisé toutes les techniques d’interrogatoire: sympathie, provocation, déculpabilisation…”, a précisé un enquêteur vendredi avant la projection.
Ces auditions vidéo-filmées, comme le veut la loi française, constituent les seuls éléments de voix de Mehdi Nemmouche dans le dossier, l’accusé ayant refusé de se soumettre à un prélèvement. C’est sur cette base qu’a été effectuée une comparaison avec les vidéos de revendication trouvées sur son ordinateur portable.
Il ne déclare rien sur les armes
Lors de cette première audition filmée, Mehdi Nemmouche accepte néanmoins de décliner son identité, sa date de naissance, les noms de ses parents, sa double nationalité française et algérienne, son état civil, sa situation familiale et évoque le placement dont il a fait l’objet dans sa jeunesse. Il déclare également être sans domicile depuis sa sortie de prison et ne disposer d’aucun téléphone ni d’adresse e-mail. Interrogé sur ses déplacements à l’étranger, l’accusé invite les enquêteurs à consulter son passeport. Il indique n’avoir rien à déclarer sur les armes retrouvées en sa possession.
Mehdi Nemmouche ne paraît pas du tout impressionné par la situation, il est même par moments souriant. Le suspect articulant peu et le son des enregistrements étant de mauvaise qualité, certaines réponses sont peu compréhensibles. Le soir-même de cette première audition, vers 22h00, Mehdi Nemmouche est à nouveau interrogé, à Paris cette fois. Le principal accusé rigole à force de répéter “je ne répondrai à aucune question”.
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“Je m’expliquerai le moment venu”
Après son transfert de Marseille à Paris, lors duquel il avait spontanément évoqué avec les enquêteurs certains de ses centres d’intérêt comme les sports de combat ou la chanson française, Mehdi Nemmouche s’est à nouveau muré dans le silence.
Lors de sa deuxième audition, le 31 mai 2014 vers 22h15, il se met d’ailleurs plusieurs fois à rire à force de répéter qu’il exerce ce droit. “Est-ce une attitude cohérente pour une personne accusée ‘à tort’ selon lui de quatre assassinats à caractère terroriste ?”, a interrogé l’avocat général Yves Moreau. Quelle que soit l’attitude de Mehdi Nemmouche, ce sera “toujours interprété à sa charge par le procureur et les parties civiles”, a répondu l’avocat de l’accusé, Me Laquay.
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Interrogé sur le djihad, il dit n’avoir “aucune réponse” à ce sujet, en haussant les épaules. La seule ébauche de réponse qu’il donne concerne les armes trouvées en sa possession lors de son arrestation à Marseille. “Je m’expliquerai le moment venu”, dit-il à ce sujet. Une formulation qui évoque la voix off des vidéos de revendication, dans laquelle l’auteur indique qu’il annoncerait “le moment venu à quel groupe il appartient”, avait relevé une partie civile la semaine passée.
“Les médias, par définition, ne disent que des conneries”
“Les médias, par définition, ne disent que des conneries”, avait réagi lors de son audition du 1er juin 2014 en matinée Mehdi Nemmouche, interpellé par les enquêteurs sur le fait que son nom était évoqué dans la presse comme suspect de la fusillade. “Ils pourraient même dire que je suis Hitler, si c’est un média qui le dit, cela ne me dérange pas. Une connerie de plus ou de moins… (…) Moi, de mon point de vue, si quelqu’un prend pour agent comptant ce que disent les médias, c’est qu’il est suffisamment con”, ajoute encore le principal accusé de l’attentat au Musée juif de Belgique.
Durant cette audition, Mehdi Nemmouche répond systématiquement, en riant, “droit au silence” aux questions posées, résumant même cette réponse en acronyme: D.A.S. Il n’attend même plus la fin des questions pour répondre et souligne qu’il n’a pas à justifier son recours à ce droit. “Je suis tout sauf idiot”, insiste-t-il encore face aux enquêteurs.
La seule réponse qu’il donne survient à la question de savoir s’il a bénéficié de complicités pour obtenir ces armes. “Aucune”, dit-il dans un sourire. “La réponse est cent pour cent sincère. Je n’ai pas de complice.” Lors de cette audition où il éclate de rire à de nombreuses reprises, l’accusé évoque aussi Mike Tyson, l’un de ses héros qui a aussi été confronté à la justice.
Dans le box, Mehdi Nemmouche est le plus souvent tête baissée, occupé à se gratter le front. Une pause a eu lieu après ce visionnage des premières auditions pour autoriser les premiers commentaires des différentes parties.
“La maîtrise” de Mehdi Nemmouche
L’avocat général Yves Moreau a souligné “la grande maîtrise” de Mehdi Nemmouche lors de ses auditions. “Il y a des moments de franche rigolade, puis il se reprend, il se maîtrise”, note le procureur. Yves Moreau a également tenu à attirer l’attention des jurés sur quelques phrases “interpellantes”.
Lorsque les enquêteurs lui font remarquer que s’il continue d’invoquer son droit au silence, les auditions seront inutiles, Mehdi Nemmouche répond : “Si c’est inutile, je peux retourner en cellule faire ma sieste moi, pas de problème”. “Sieste. Chacun appréciera ce mot”, poursuit l’avocat général. “Ça ne lui fait rien que son nom soit associé aux faits de Bruxelles. Il se dit innocent mais ça ne lui fait rien”, pointe encore Yves Moreau. “Il est même tellement à l’aise qu’il dit à un enquêteur: ‘droit au silence, mon ami’.” Par ailleurs, le principal accusé de la fusillade, remarquant qu’il porte des menottes d’un vieux modèle, répondra : “c’est dans les vieilles marmites qu’on fait les meilleures soupes”, relève le procureur, rappelant qu’il est, au moment où il prononce ces mots, accusé de quatre assassinats terroristes.
Me Masset, avocat du Musée juif de Belgique, a à nouveau insisté sur l’expression “le moment venu”, entendue tant lors d’une audition que dans la vidéo de revendication de l’attentat. Des paroles prononcées, selon lui, “par une seule et même personne”, comme une “signature”. “Avez-vous ne serait-ce qu’une seconde l’impression qu’il avait peur de qui que ce soit, ou de quoi que ce soit ?”, a de son côté déclaré Me Bodson, avocat de la famille Riva, à l’attention des jurés. Une référence à un argument déjà avancé par la défense de l’accusé, selon lequel il était armé parce qu’il aurait eu peur des “véritables auteurs”.
Me Courtoy est ensuite intervenu pour souligner que son client avait été précédemment interrogé jusqu’à 4h00 du matin, ce qui explique selon lui sa fatigue et le fait qu’il parle de “sieste”. Le conseil du principal accusé a enfin invité le jury à regarder “quand rigole Mehdi Nemmouche et quand il ne rigole pas : quand il est face à l’enquêteur, il rigole. Quand l’enquêteur tape à l’ordinateur, il est plongé dans la plus grande perplexité”. L’apparente sympathie des policiers constitue une stratégie d’enquête, a souligné l’avocat, qui n’a pas été démenti à ce sujet par l’inspecteur de la DGSI présent dans la salle.
“DAS”
“Si M. Nemmouche pense qu’on ne peut pas tirer une culpabilité d’un droit au silence, il se trompe”, a encore commenté Me Masset, avocat du Musée juif de Bruxelles, à l’issue du visionnage de la fin de la quatrième audition du principal accusé de la tuerie. Ce dernier aura répété “DAS”, acronyme de son cru pour invoquer son droit au silence, à près de 60 reprises durant cet entretien avec les enquêteurs.
Mehdi Nemmouche a dit qu’il réservait ses explications au jury, a rappelé le pénaliste, déplorant toutefois que ce moment “n’est pas encore venu”. “Il répond par trois lettres : DAS. Pourquoi n’en invoque-t-il pas trois autres : ADN ? En disant : relevez les traces ADN au Musée, ce n’est pas moi !”, s’interroge Me Masset, pour qui la technique de défense de Mehdi Nemmouche est “un écran de fumée”.
“Les enquêteurs ont eu raison de l’avertir, en présence de son avocat, des conséquences de choisir lui-même d’avoir recours à son droit au silence. En plaidoirie, j’invoquerai des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme prouvant qu’on peut tirer du droit au silence une culpabilité, lorsque les preuves sont accablantes”, a ajouté l’avocat du Musée juif. “Ces auditions puent la mauvaise fois et transpirent la culpabilité.”
L’avocat de l’accusé a immédiatement réagi. “Son ‘DAS’, il le maintient pendant près de cinq ans, ce n’est pas tous les jours qu’on voit ça”, a déclaré Me Courtoy. Lorsqu’on lui a demandé pourquoi il s’était laissé interpeller, Mehdi Nemmouche avait une “occasion en or de dire ‘parce que je ne suis pas un terroriste’ et pourtant il a continué à se taire”, a fait remarquer son conseil.
Nemmouche, intéressé par les images de la tuerie
À l’exception de son traditionnel “droit au silence” opposé à l’ensemble des questions, l’accusé de la tuerie au Musée juif Mehdi Nemmouche a montré de l’intérêt pour les images de vidéo-surveillance des faits, est-il ressorti de sa cinquième audition devant les enquêteurs français, projetée dans l’après-midi.
Lors de cette audition, les enquêteurs ont souligné la similitude des éléments trouvés en possession du suspect avec ceux de l’homme qui a commis les faits du Musée juif, ainsi que la ressemblance entre sa voix et celle du revendicateur sur les vidéos découvertes dans son ordinateur. “DAS”, pour “droit au silence”, a une énième fois opposé Mehdi Nemmouche.
La seule réponse différente qu’il apporte survient lorsqu’on lui propose de voir les images de la tuerie. Mehdi Nemmouche a, lors de cette audition, nuancé l’intérêt qu’il portait pour les articles de presse concernant la tuerie. Son avocat commis d’office avait, à la fin de la précédente rencontre, demandé à ce que son client puisse en consulter.
Avant cette projection, son avocat Me Courtoy avait assuré que son client ne “jouissait pas d’être la nouvelle star en Belgique”. Le conseil de l’accusé a aussi indiqué que si Mehdi Nemmouche persistait dans son mutisme, c’était pour protéger sa grand-mère “qu’il appelle maman” et pour laquelle il avait très peur. Pour l’avocat du Musée juif Me Masset, cet argument ne constitue qu’un nouvel “écran de fumée”.
Un complot ? Pas de commentaire
Lors de sa sixième audition au siège de la DGSI, près de Paris, les enquêteurs ont présenté plusieurs articles de presse concernant la tuerie à Mehdi Nemmouche, toujours retranché derrière sont éternel “DAS”, pour “droit au silence”. La projection des images à l’audience vendredi après-midi a montré que le principal accusé les avait consultées avec un intérêt manifeste. Il déclare pourtant lors du même interrogatoire que les médias disent “90% de conneries”.
Mehdi Nemmouche, très concentré, se plonge littéralement dans ces articles, durant une dizaine de minutes. En guise de commentaire, il note que la presse oublie de préciser qu’il a voyagé à Hong Kong durant son voyage asiatique, ou d’avoir écrit qu’il avait fréquenté une mosquée radicale à Londres. “Je n’ai jamais été en Angleterre. J’y ai juste fait escale, je ne suis même pas sorti de l’aéroport”, précise-t-il, ajoutant que “la presse, c’est de la fiotte”.
Lorsque les enquêteurs lui demandent pourquoi il consomme tout de même cette presse, l’accusé se justifie : “c’est comme la télé-réalité : tout le monde dit que c’est de la merde mais tout le monde la regarde”. Il ne se dit “pas du tout” flatté de faire la Une des journaux qu’on lui présente. Interrogé sur un éventuel complot ou sur l’implication du Mossad dans la tuerie, une hypothèse déjà avancée par certains médias belges à l’époque, Mehdi Nemmouche ne fait aucun commentaire.
Deux témoins expliquent ce qu’ils ont vu de la scène de crime
La cour d’assises de Bruxelles a ensuite entendu deux des témoins directs des faits, vers 16h30. Ceux-ci ont expliqué avoir vu un homme portant deux sacs et paraissant calme sortir du musée. L’un d’eux s’était ensuite approché des victimes gisant dans le couloir. “Je n’ai pas pris le pouls car j’ai immédiatement vu qu’elles étaient décédées”, a-t-il déclaré.
Les témoins, un couple de Français qui vivaient dans le quartier du Sablon à Bruxelles au moment des faits, ont réaffirmé ce qu’ils avaient déjà déclaré. Un homme portant deux sacs et paraissant calme est sorti du musée. Il ne s’est pas retourné et a commencé à courir en direction du palais de justice de Bruxelles, avant de prendre une rue à droite. L’un des deux témoins s’était ensuite approché des victimes gisant dans le couloir d’entrée du musée. “Je n’ai pas pris le pouls car j’ai immédiatement vu qu’elles étaient décédées”, a-t-il déclaré.
Celui-ci avait décrit le suspect comme étant un homme de type européen d’environ 1m70 voire 1m75, “entre deux âges, environ 45 ans”. Il a précisé cependant qu’il ne pouvait être formel concernant l’âge. À ce propos, le procureur Yves Moreau a tenu à faire un commentaire. “Il faut se rendre compte que la plupart des témoins ont été entendus dans les minutes après les faits. Je vous demande de prendre ça avec un minium de réflexion”, s’est-il adressé aux jurés. Me Adrien Masset, avocat de la partie civile, a surenchéri. “C’est la relativité des témoignages. Il faut en être bien conscient. Il n’y a pas une seule preuve. Des éléments viennent en corroborer d’autres. Il faut voir l’ensemble des preuves.”
Me Sébastien Courtoy, conseil de Mehdi Nemmouche, a réagi à son tour : “Je tiens à préciser que le témoin avait déclaré ne pas avoir reconnu Mehdi Nemmouche à la télé. Et lorsqu’il dit qu’il ne peut être formel, dans la bouche de l’avocat général ça devient ‘on ne peut s’y fier'”.
Avec Belga – Photo : Belga/Igor Preys
■ Duplex de Camille Tang Quynh et Manon Ughi.