Coronavirus : que sont devenues les promesses vis-à-vis du personnel soignant ?

Pendant des semaines, il a été applaudi tous les soirs. Le personnel soignant espérait voir ces marques de reconnaissance traduites en acte. Des engagements avaient en effet été pris. Revalorisation salariale, effectifs renforcés, des primes avaient été évoquées également. Qu’en est-il aujourd’hui, huit mois après le début de la première vague du coronavirus, en plein cœur d’un rebond d’une virulence inouïe ?

« Il y a eu un élan de solidarité en mars et avril. On nous a promis des tas de choses. Primes, revalorisation salariale. Mais sur le terrain, rien. On se sent trahis. » Anna Simula, infirmière en neuro-revalidation à l’hôpital Erasme et déléguée du Setca est en colère. Comme ses collègues, nous dit-elle. Pour résumer l’état d’esprit qui règne parmi les troupes : « En mars et avril, on nous applaudissait à 20h. Six mois plus tard, le 13 septembre dernier, ce sont les gaz lacrymogènes des policiers qui nous attendaient alors qu’on manifestait pour le refinancement des soins de santé. »

Si les gouvernements fédéral et des entités fédérées ont bien pris des engagements financiers, ils n’ont pas encore de traduction concrète. Certains ont d’ailleurs été tout simplement oubliés, telles cette prime pour les professions médicales, évoquée début avril, le chiffre de 1450 euros avaient été avancés. « Sur le terrain, on est interpellé par le personnel qui ne voit toujours rien venir. Dans les hôpitaux aujourd’hui il n’y a pas de perspectives suffisantes de sortie de crise. », résume Yves Hellendorff de la CNE.

Emplois, salaire

Des budgets ont bel et bien été débloqués. Un milliard d’euros a été mobilisé au niveau fédéral. Précisons que ce montant était en négociation bien avant la crise du coronavirus. Il ne s’agit donc pas d’un budget de crise. De ce milliard, 400 millions constituent le fameux fonds blouses blanches, adopté au mois de juin. 400 millions, structurels, versés annuellement, destinés à soutenir l’emploi dans les hôpitaux, pour soulager les équipes soignantes. Mais à l’heure actuelle, ces sommes ne sont toujours pas disponibles.

Le 28 octobre dernier, le ministre des Affaires sociales et de la Santé publique, Frank Vandenbroucke (SPA) annonçait l’intégration dans le financement hospitalier d’une tranche de 290 millions d’euros, dans le cadre du fonds blouses blanches (assortie de 11 millions supplémentaires destinés au soutien psychologique du personnel hospitalier). Cet argent est disponible dès maintenant, nous confirme son cabinet. « Cela n’est pas correct », répond Yves Smeets, directeur général de Santhea, fédération d’institutions de soin wallonnes et bruxelloises : « Pour des raisons de techniques budgétaires, l’argent ne sera versé qu’au 1er janvier. Aujourd’hui, en plein cœur de la crise, nous ne pouvons pas engager de personnel. » « Par ailleurs, ajoutent-il, ce n’est pas parce que nous avons des budgets pour engager que nous trouverons du personnel disponible. Pour l’instant il n’y en a pas. Donc cela pourra nous aider à long termes, mais pas dans l’immédiat.» Or c’est aujourd’hui que les besoins sont criants.

« Nous insistons pour que ce ne soit pas un fonds de crise mais bien un montant pour un soutien structurel au personnel soignant ! Notre crainte ? Que cet argent soit utilisé pour couvrir des frais supplémentaires liés au Covid. », commente Yves Hellendorff, secrétaire permanent CNE, qui regrette que le ministre Vandenborucke n’ait pas encore rencontré les organisations syndicales.

A côté du fonds blouse blanches, l’ancien kern a validé en juillet dernier un budget de 600 millions, en vue de la revalorisation salariale du personnel hospitalier. En détail : 500 millions pour les salaires. Et 100 millions affectés à l’amélioration des conditions de travail. Que prévoit l’accord ? D’appliquer les échelles salariales à 100% et d’harmoniser les salaires entre le public et le privé. Les compétences acquises ailleurs devront aussi être reconnues, une évaluation des salaires sera mise en place. De l’espoir donc, pour une revendication capitale du secteur. Pour quand ? Probablement pas avant 2022.

« Le problème c’est que ce sont des procédures longues et complexes, et le gouvernement veut répartir le budget dégagé en deux tranches de 250 millions, l’une en 2021 et l’autre seulement en 2022. Nous proposons d’appliquer à 100% les nouveaux barèmes en juillet 2021. », indique Yves Smeets de Santhea. De son côté Yves Hellendorf relève que les négociations avec les fédérations patronales « patinent ». « Après six réunions, on n’a pas encore pu entamer la discussion sur aucune des conventions collectives. »

“Des cacahuètes”

A côté du personnel hospitalier, bien d’autres professionnels de première ligne attendent une amélioration de leur situation. Aides à domicile, aides familiales, travailleurs de centres de santé mentale, du secteur sans-abri, ou encore des maisons de repos. Le gouvernement bruxellois vient de débloquer un budget de 46,5 millions d’euros. 16 millions pour le secteur hospitalier public, et 30 millions « pour la revalorisation barémique progressive » du personnel du secteur non-marchand. Cela concernerait, selon l’exécutif régional, quelques 20.000 travailleurs dépendant de la COCOF et de la COCOM. « Des cacahuètes», s’étranglent les organisations syndicales en front commun.  «Les syndicats ont déposé il y a des mois un cahier de revendication visant à transformer les applaudissements de la première vague en véritable reconnaissance pour le personnel de première ligne », regrette Yves Hellendorff. « Selon nos calculs, cela reviendrait à une revalorisation de … 4 euros par jours de travail par personne. » Par ailleurs, interroge-t-il : comment cet argent va-t-il être utilisé, à quoi sera-t-il affecté et quand ? « Nous n’avons même pas été informés officiellement du dégagement de ces budgets et du détail de sa mise en application. » Nous avons sollicité les cabinets du ministre-président Rudi Vervoort (PS) et du ministre bruxellois de la Santé, Alain Maron (Ecolo). Nous attendons leur réponse.

En attendant, les professions du soin sont toujours sur le front. Dans des conditions de plus en plus difficiles.

S.R (Photo : Arch.- BX1)