Rue de la Loi : les libéraux bruxellois préparent déjà l’après Reynders (J+94)
Autant décevoir tout de suite les parlementaires de l’opposition : oui la désignation de Didier Reynders au poste de commissaire européen est légale et logique, et ils ne pourront pas s’y opposer. Légale car il appartient bien au gouvernement fédéral, fut-il en affaires courantes, de proposer un commissaire européen, cette prérogative ne relève pas du parlement. Bien sûr comme le parlement contrôle le gouvernement, il peut demander au pouvoir exécutif de s’expliquer (ce qui sera fait ce vendredi en commission des relations extérieures), mais sans majorité alternative il est illusoire de penser que les parlementaires pourraient faire plier le gouvernement de Charles Michel ou l’amener à revoir sa proposition. Logique, la décision l’est car elle redonne le poste au rôle linguistique francophone (le principe de l’alternance n’est écrit nulle part mais fait partie des bonnes mœurs linguistiques) et que jusqu’à preuve du contraire le MR est le seul parti francophone au gouvernement. Bref, le débat est purement partisan. Même l’idée d’un débat sur la feuille de route du commissaire belge est une hérésie d’un point de vue européen : dès qu’il est nommé le commissaire ne représente plus son Etat mais se met au service de l’idéal européen. Ce ne sont pas les Etats membres qui fixent le cap de la commission (ils ont déjà bien assez de pouvoir au Conseil). Que ce soit pour ses compétences ou la politique qu’il entend défendre, si la candidature de Didier Reynders devait être contrariée, cela ne viendrait pas du niveau belge, mais du niveau européen.
“Les candidats désignés ne seront pas nécessairement les nouveaux commissaires“, a d’ailleurs rappelé à l’Agence France Presse l’entourage de la nouvelle présidente qui succédera à Jean-Claude Juncker le 1er novembre. Ursula von der Leyen, qui a reçu Didier Reynders ce mardi, peut très bien demander à un gouvernement de désigner une autre personnalité, et le Parlement européen peut aussi recaler certains candidats à l’issue de leur audition. Cela peut concerner la personne ou le portefeuille qu’on pensait lui confier. Jean-Claude Juncker a confié récemment avoir refusé six candidats pendant la constitution de sa Commission en 2014, et le Parlement l’a ensuite contraint à remanier son équipe pour lui accorder l’investiture.
Si la désignation de Didier Reynders se transforme en investiture cela ne sera pas pourtant sans conséquence sur la politique intérieure. D’abord au niveau fédéral : Didier Reynders et Charles Michel partis, les bancs gouvernementaux du Mouvement Réformateur risquent de se trouver bien dégarnis. Dans l’hypothèse (plausible) où une nouvelle majorité fédérale n’avait pas vu le jour début décembre il faudra renforcer l’écurie bleue. Sophie Wilmes prendrait logiquement le leadership gouvernemental, au minimum avec le titre de vice-première ministre, mais il faudra faire monter au moins deux nouvelles têtes pour respecter la parité francophones-néerlandophones et savoir qui prend la casquette de premier ministre (le CD&V et l’Open VLD auront-ils la volonté de se disputer le poste ou Sophie Wilmes mettra-t-elle tout le monde d’accord ?).
Mais c’est surtout au sein du MR bruxellois que la secousse européenne risque de provoquer des répliques en chaîne. Didier Reynders préside la régionale de Bruxelles depuis 2013. Sophie Wilmes, qui s’est affirmée comme ministre sûre d’elle et maîtrisant ses dossiers, aurait sans doute la carrure pour reprendre cette fonction qui donne la main sur les affaires internes. Problème : elle habite Rhode-Saint-Genèse et il se susurre qu’elle n’a pas l’intention de déménager. Ce qui ne pose aucun problème pour les élections législatives (les communes à facilités peuvent voter avec l’arrondissement de Bruxelles) est plus délicat dès qu’on aborde les questions régionales (au niveau des instances du MR, ça passerait, les communes de la périphérie relevant de la régionale bruxelloise, mais au niveau du débat public ce serait plus compliqué de commenter la politique d’une région qu’on n’habite pas et les opposants ne manqueraient pas de le souligner). Sophie Wilmes ne se présentant pas, la route semble dégagée pour une candidature de Boris Dillies, le bourgmestre d’Uccle pouvant incarner une forme de modernité et de renouveau du discours libéral. Reste à voir si d’autres candidats se déclarent.
L’autre poste sensible concerne la présidence du groupe MR au parlement bruxellois. Actuellement détenu par Françoise Schepmans, il a bien été précisé que cette désignation se faisait à titre provisoire. L’ancienne bourgmestre de Molenbeek-Saint-Jean est certes forte de ses 16 800 voix et peut se targuer d’être une des seules à avoir un ancrage dans des quartiers populaires, elle n’a pas caché pendant la campagne électorale son souhait de s’investir en Fédération Wallonie-Bruxelles. Si son parti exauce ce vœu, elle pourrait être ministre ou présidente de parlement… et libérer une place de choix pour celui ou celle qui incarnera la relève bruxelloise. Si Vincent De Wolf (8000 voix, deuxième score de la liste) n’a pas dit son dernier mot (il refuse de s’exprimer publiquement sur ces questions), plusieurs jeunes parlementaires estiment qu’il serait opportun de propulser l’un des leurs, avec l’ambition d’incarner un MR modernisé, soucieux des questions de mobilité et d’environnement et ouvert à la diversité. Alexia Bertrand (3ième score de la liste, 6 000 voix) semble prête à relever le défi mais le consensus n’existe pas encore sur son nom, le débat interne n’ayant pas encore vraiment eu lieu. Certains libéraux se demandent même si c’est vraiment le bon moment de tout chambouler et de voir s’il ne faut pas d’abord permettre au groupe parlementaire (largement renouvelé) de prendre ses marques pour voir si un leadership naturel de l’un(e) ou l’autre peut s’installer. Le débat ne tardera plus. Il pourrait faire des dégâts. Cela pourrait ressembler à un tweet de Didier Reynders : dans le ciel bleu bruxellois, il y a aujourd’hui de la place pour les ambitieux.