“Une prison qui craque de partout” : Forest-Berkendael sous la loupe de la Commission de surveillance
Vétusté des bâtiments, personnel insuffisant, conditions de détention : l’état des prisons bruxelloises s’est aggravé avec la pandémie. Et la préparation du déménagement vers la future prison de Haren n’arrange rien. Cet énorme dossier pèse sur les épaules de directeurs déjà débordés. Le manque d’effectif a aussi pour effet de priver certains détenus des aménagements de peine auxquels ils auraient droit. Le dernier rapport de la Commission de surveillance de Forest-Berkendael, publié en mars 2022, est alarmant.
Le manque de personnel pénitentiaire est un problème chronique, mais il a été renforcé par la crise sanitaire. À Berkendael, la situation est particulièrement critique : « On compte durant toute l’année de 30% à 35% du personnel absent », indique le rapport de la Commission de surveillance de Forest-Berkendael. Avec des conséquences à la fois sur les conditions de travail des agents et sur les conditions de détention des détenus. Suppression de préaux, de visites, limitation du temps au téléphone, impossibilité de respecter le régime “porte ouverte”, relations tendues avec le personnel… Le manque d’effectifs touche également la direction des établissements.
Des détenus libérables, mais pas libérés
Le rapport met en lumière les répercussions du sous-effectif sur les aménagements de peines (comme la surveillance électronique ou les libérations conditionnelles) dont peuvent bénéficier certains condamnés. Les retards de plus en plus lourds et fréquents dans la constitution des dossiers rendent ce droit trop souvent inopérant, dénoncent les commissaires. Car ce n’est évidemment qu’une fois complets que les dossiers seront examinés par les organes de décision compétents, l’administration pénitentiaire ou le Tribunal de l’application des peines.
Ainsi, à Forest, la majorité des détenus prestent des peines peu longues et seraient donc éligibles aux sorties anticipées. Mais beaucoup n’en bénéficient pas, alors même qu’ils sont dans les conditions, dénonce Olivia Nederlandt, présidente de la Commission de surveillance. Le cas des prisons bruxelloises est particulièrement problématique à cause du manque de directeurs, confirme pour sa part Jean-François Funck, juge au Tribunal de l’application des peines. « Vu le manque de directeurs, les juges du Tribunal de l’application des peines ne reçoivent plus aucun dossier des prisons bruxelloises », explique le magistrat. Une situation qui dure depuis près de six mois. « On avait annoncé la nomination d’un nouveau directeur pour le 1er avril. Nous l’attendons toujours », constate-t-il.
Délais démesurés
Un autre élément se combine au manque de personnel, pour expliquer les délais interminables, selon la Commission de surveillance : la direction exige de manière systématique, pour chaque dossier, un rapport du service psychosocial de la prison, alors qu’au regard de la loi, ce document n’est obligatoire que dans certains cas (détenus condamnés pour faits de mœurs, terrorisme, profils extrémistes). Cette étape rallonge singulièrement la durée de préparation des dossiers, à tel point que « la préparation du dossier commence souvent alors que le condamné est déjà dans les temps pour se voir octroyer des modalités, ce qui est source de grandes frustrations dans le chef des condamnés. Dès lors que le personnel administratif et de direction de la prison est submergé, les rapports et avis ne sont pas rendus dans les délais permettant aux condamnés de solliciter les modalités lorsqu’ils atteignent la date d’admissibilité à celles-ci », peut-on lire dans le rapport.
Il arrive même que le service psychosocial invite les détenus à se désister de leur demande. Inacceptable, pour la Commission de surveillance qui recommande que les investigations du service psychosocial ne soient plus exigées systématiquement. Certes, le rapport n’est pas obligatoire, « mais dans 99% des demandes qui nous parviennent, il figure bien dans le dossier et il nous est nécessaire pour vérifier que les conditions d’octroi d’une libération conditionnelle sont remplies, qu’il n’y a pas de risque de récidive, qu’un projet de réinsertion existe, etc. », explique Jean-François Funck. « Plus on reste en prison, plus le risque de récidive augmente », répond Olivia Nerderlandt.
Ouverture de Haren en perspective
Le quotidien des équipes est d’autant plus compliqué que « les directeurs doivent tout gérer, depuis les problèmes de chaufferie en panne ou de dépotoirs bouchés, jusqu’aux dossiers d’aménagements de peine », commente Olivia Nederlandt. Mais ils doivent aussi préparer le déménagement vers la prison de Haren, qui doit accueillir ses premiers détenus au mois d’octobre prochain. Cela prend un temps considérable. Pour Olivia Nederlandt, il faudrait prévoir une équipe à 100% sur ce dossier. Cela dans un contexte d’augmentation de la population carcérale et de grève répétées du personnel pénitentiaire, souligne encore la Commission. « La situation est intenable », s’alarme-t-elle, « et donne l’impression d’une prison qui craque de partout. »
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Le rapport dénonce aussi les difficultés d’accès aux soins de santé : les soins dentaires ont été suspendus pendant trois mois faute d’un local ad hoc, les rendez-vous médicaux sont souvent annulés en dernière minute, la norme minimale d’une heure de consultation annuelle d’un généraliste n’est pas toujours respectée à cause du manque de médecins, les quantités et la qualité de la nourriture laissent à désirer. Une situation qui résulte en partie de moyens défaillants : manque de médecins, de psychologues, psychiatres et infirmiers, matériel souvent défectueux. Il est prévu de transférer le service médical des prisons du SPF Justice vers le SPF Santé publique. Un projet que soutient la Commission de surveillance, car il devrait permettre d’améliorer la situation. Annoncé depuis longtemps, il n’est toujours pas effectif.
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Toilettes de chantier
Enfin, l’état de la prison de Forest est toujours aussi critique. Plusieurs locaux et cellules, trop dégradés ou instables, ont été condamnés durant l’année 2021, indique le rapport. Les douches de deux des trois ailes opérationnelles de l’établissement sont vétustes : « humidité très importante, extracteurs hors service, salpêtre et champignons, murs effrités, manque d’étanchéité de la plomberie, maçonnerie gravement altérée, infiltrations… », constate la Commission de surveillance. Certes, des travaux de rafraîchissement ont été effectués en octobre dernier, mais ils ne suffisent pas, ajoute-t-elle. Les cuisines sont « dans un état déplorable », « des rats et des souris circulent dans et autour des bâtiments. » Même les petites réparations s’avèrent insuffisantes. Fin 2021, des toilettes de chantier ont dû être installées dans la zone de détention en remplacement des dépotoirs bouchés…
Forest nécessite une rénovation profonde et durable qui n’est plus à l’ordre du jour, puisque le bâtiment sera désaffecté, en principe d’ici à cinq ou six mois. La Commission appelle néanmoins à des réparations urgentes, de manière à rendre la vie des détenus supportable : assurer une température correcte dans les cellules et les douches, assainir certains locaux, traiter l’humidité. « Il n’y aura plus de gros investissements à Forest, compte tenu de l’imminence du déménagement », nous confirme Johan Vanderborght, le porte-parole de la Régie des bâtiments. Et sans doute plus beaucoup de petits investissements non plus. Mais pour les détenus, et pour les agents, six mois dans de telles conditions, c’est encore long…
Le rapport de la Commission de surveillance est disponible sur le site du conseil central de surveillance pénitentiaire.
S.R. – Photo : Belga/Nicolas Lambert