L’histoire coloniale de la Belgique à l’école: les nouveaux référentiels sont attendus pour… 2027
L’enseignement de l’histoire de la colonisation belge n’est toujours pas obligatoire dans les écoles de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Plus d’un an après les manifestations du mouvement Black Lives Matter, les débats sur la présence des symboles coloniaux dans l’espace public, et alors que la Commission spéciale Congo s’apprête à présenter son rapport, les professeurs se retrouvent trop souvent peu outillés pour aborder ce sujet complexe. Les référentiels ad hoc sont toujours en cours de révision. En principe, ils seront prêts pour les élèves de 2ᵉ secondaire… en 2027. Et d’ici là ?
L’incident peut sembler anodin. Il est pourtant révélateur. Dans un cours d’éveil de 4e primaire consacré à la dynastie, chaque élève était chargé de réaliser un exposé sur un membre de la famille royale. Pour les y aider, l’institutrice fournit aux enfants un petit texte de présentation sur « Léopold II et le Congo ». Dans ce texte, soumis à des enfants de 9-10 ans, on peut lire notamment : « Léopold envoie (dans l’État du Congo) des officiers belges pour mettre en fuite les Arabes qui vendaient les Africains comme esclaves ». Ou encore : « Les Belges restent au Congo jusqu’en 1960. Certains aident les Africains à se développer et les respectent, d’autres les méprisent et les considèrent comme inférieurs. »
“Propagande coloniale”
Julien Truddaïu s’étrangle. Papa d’un petit garçon de la classe, il est aussi spécialiste des questions postcoloniales et coordinateur du mouvement PAC (Agir par la culture). « Ces phrases sont choquantes. On ressasse les vieilles recettes de la propagande coloniale s’agissant de parler de Léopold II », dénonce-t-il dans une publication sur Facebook. Il apparaît aussi, après discussion avec son fils, que les concepts abordés dans le texte n’ont pas été explicités en classe. « Je ne jette pas la pierre à l’instituteur. Les enseignants ne réalisent pas les polycopiés eux-mêmes. Ils les puisent sur des sites de ressources, qui fournissent du matériel pédagogique. Celui-ci n’est pas toujours de qualité, loin de là. ».
Cet exemple est éclairant. L’enseignement de l’histoire de la colonisation belge n’est toujours pas obligatoire dans les écoles de la Fédération Wallonie-Bruxelles. « Certains professeurs essaient d’aborder ces questions, mais manquent de formation et ne disposent pas des outils nécessaires pour le faire. Je ne critique pas les enseignants. Cet exemple montre à quel point on est loin du compte et qu’il reste beaucoup de travail », remarque Romain Landmeters, doctorant FNRS en histoire et professeur invité à l’Université Saint-Louis. Spécialiste de l’histoire de la colonisation belge, il est intervenu comme expert au sein du groupe de travail interuniversitaire « Passé colonial de la Belgique ». Ce dernier a présenté récemment ses conclusions et recommandations, tout comme la Commission parlementaire spéciale Congo, chargée d’examiner le rôle de la Belgique au Congo, Rwanda et Burundi durant la période coloniale, remettant au cœur de l’actualité la question de la transmission de cette période de notre histoire.
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Référentiels dépassés
Les référentiels d’application aujourd’hui datent de 1999. Ils ont certes été revus pour les filières techniques et professionnelles, ce qui a changé la donne, mais pas pour les humanités classiques. En clair, ils n’imposent pas d’aborder la colonisation spécifiquement belge, du Congo, du Rwanda et du Burundi. Ils prévoient deux heures, facultatives, dans le deuxième degré du secondaire, pour aborder la colonisation en général. « Si un professeur veut traiter de la question par le prisme du conflit israélo-palestinien ou de la conquête espagnole de l’Amérique latine, libre à lui », explique Romain Landmeters. « Du coup, beaucoup d’enseignants préfèrent aborder l’histoire de la colonisation d’autres pays que la Belgique. » « On n’a aucun chiffre officiel », ajoute Julien Truddaïu, « mais on se rend compte selon les petits coups de sonde que l’on a effectué que le sujet passe trop souvent à la trappe, et que finalement de nombreux élèves n’étudient pas la colonisation belge à l’école. C’est une énorme carence, identifiée depuis longtemps. »
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La ministre de l’Éducation de la Fédération Wallonie-Bruxelles s’est bien engagée à revoir de manière globale les référentiels concernant l’apprentissage de la colonisation belge, et se montre volontariste sur la question. Cet engagement figure dans la Déclaration de politique communautaire 2019-2024. Mais pour ce qui concerne le degré supérieur du secondaire, la révision des référentiels n’est pas pour tout de suite. Le cabinet de la ministre Caroline Désir (PS) nous le confirme. Or c’est fondamental, insiste Romain Landmeters, car dans les grandes classes, les jeunes ont atteint la maturité nécessaire pour être à mêmes d’intégrer cette matière.
Des retards suite à des discussions politiques
En revanche, un autre référentiel qui concerne l’enseignement de l’histoire coloniale est aujourd’hui en cours de correction : le référentiel des Sciences humaines (histoire, géographie, économie, sciences sociales), dont la révision, entamée sous la législature précédente, s’inscrit le cadre du Pacte pour un enseignement d’excellence. Il concerne cette fois l’ensemble du tronc commun, qui s’étend de la 1re primaire à la 3e secondaire. Il a été présenté deux fois en gouvernement, mais n’a toujours pas été validé. « La majorité bloque sur un certain nombre de points, qui ne sont pas liés à la question coloniale, mais à d’autres sujets notamment la place du genre ou de l’écologie dans ce référentiel, qui va donc devoir être retravaillé », indique Kalvin Soiresse (Ecolo), député au parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Ce que confirme le cabinet de la ministre Caroline Désir, qui affirme que sur la question coloniale, il n’y a aujourd’hui plus de discussion. Les contenus relatifs à l’histoire de la colonisation seront proposés aux élèves de 2e secondaire à partir de 2027.
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Le sujet reste néanmoins sensible. Consulté à titre d’expert, Romain Landmeters précise : « Mes collègues experts et moi avons dû nous battre pour que des éléments de base sur l’histoire de la colonisation belge se retrouve dans le référentiel, notamment la référence claire et nette, dans le cadre de la colonisation, au Congo belge, au Rwanda et au Burundi. Nous avons finalement obtenu gain de cause, mais c’est extrêmement basique ! ». Et c’est insuffisant ? Il faudrait aller plus loin. Selon les experts, de manière générale, l’ensemble du référentiel présente une vision purement linéaire et téléologique de l’histoire, sans perspective critique. Sans compter une vision très européo-centrée de la discipline. La ministre souhaite y travailler. Reste à voir comment les réseaux traduiront dans les programmes les contenus fixés dans les référentiels.
Et d’ici à 2027 ?
Six ans, c’est long. En attendant, « d’autres actions et projets plus rapides doivent être mises en place », plaide Caroline Désir. De nombreux professeurs enseignent déjà cette histoire, affirme-t-elle. Des outils existent, mais sont peu connus, et doivent être valorisés et développés.
S.R. – Photo : illustration Belga