Le secteur musical entre précarité et solidarité
« Si la crise du Covid a du positif, c’est dans la mise en place de liens forts entre les musiciens. On s’est intéressé aux métiers des autres », a pointé l’organisateur de festival Florent le Duc qui, avec 70 autres professionnels de la musique, a participé au Colloque que les Octaves de la Musique organisaient par zoom le 15 décembre au sujet de l’avenir du secteur musical sous Covid.
Les artistes se sentent perdus dans cette situation d’incertitude. Blanche : « Rien n’est clair, ma situation est floue, je me sens bloquée dans ma création. Je fais de la promo pour un nouvel album, mais à quoi bon ? J’espère juste que la demande pour de la culture sera énorme à la sortie du Covid ». Ce sont par ces paroles touchantes que le colloque a démarré mardi. Sept panélistes ont témoigné à des degrés divers de la situation des travailleurs du secteur musical. Le claveciniste et baryton Nicolas Achten qui sort diminué par le Covid-19 durant deux mois, a détaillé les mesures innombrables prises pour protéger les chanteurs et les musiciens à coup de plexis et de masques.
Chloé Andries a réalisé pour le mensuel « Médor » un excellent état des lieux du secteur qui traduit « une situation de précarité banalisée et normalisée ». Les cachets sont faibles et les salles peu nombreuses : « Pour 118 centres culturels en Fédération Wallonie Bruxelles, seuls cinq sont consacrés à la musique. Le théâtre représente un budget dix fois plus élevé que le budget consacré aux musiques actuelles. Le secteur est peu structuré et les aides financières confinent à du saupoudrage. »
Florent le Duc, fondateur du FACIR et organisateur du festival Francofaune, reconnaît qu’il a eu de la chance que son festival ait lieu entre deux vagues. Cela lui a permis « de tricoter, détricoter et retricoter son organisation » et de se rendre compte de la « grande solidarité dans un secteur musical fragile ». Les réalités sont différentes au sein du secteur culturel et « le seul élément positif du Covid, c’est qu’on s’est intéressé aux métiers des autres, en créant des associations et des fédérations qui n’existaient pas auparavant. »
C’est justement ce que Pierre-Alain Breeveld, manager de « Step In Live », a réalisé en lançant « Your culture, our future » puis la plateforme « Nope » qui défend les oubliés du secteur non subsidié. « Il y a plusieurs lignes, précise ce prestataire technique. La première ligne, ce sont les artistes. La deuxième ce sont les loueurs de salle, les managers, … Et la troisième ligne, c’est nous, les prestataires techniques, régisseurs et autres. Sans compter une quatrième ligne formée d’intermittents. » Pierre-Alain Breeveld reconnaît qu’il a dû licencier dix personnes dans son entreprise, la mise au chômage économique ne stoppant pas les frais fixes en période de chiffre d’affaires nul.
Redémarrage à l’automne 2021
« Ce qui complique la gestion politique », reconnaît Bernard Clerfayt, ministre bruxellois de l’emploi (DéFI), « c’est un manque de visibilité et de prévisibilité dans le chef de tous. La crise a révélé l’éclatement des statuts dans le milieu culturel. En période de crise, on ne peut pas réinventer quelque chose tout de suite, mais les partis s’y attèlent. Si les aides sont plus faibles à Bruxelles qu’ailleurs, c’est parce que la Région a moins de moyens. Mais on a pu aider les sans statuts et ce n’est pas fini ».
Pour Marc Agboton, chargé de la gestion du Palais 12 et de la Madeleine chez Brussels Expo (BE), il faudra attendre l’automne 2021 pour espérer un redémarrage des concerts et spectacles. Il table sur une bonne utilisation de la purification d’air et des systèmes d’aération pour donner confiance. D’après une étude menée par BE auprès des habitués des concerts, deux tiers d’entre eux sont prêts à revenir dans les salles si des mesures sanitaires sont prises.
Pour conclure, « il faut réseaux garder », assène Florent le Duc qui a le sens de la formule. « La solitude fait des dégâts. On attend un grand plan d’investissement sur le commun. » « S’unir, être solidaire pour tous s’en sortir, subsidiés et non subsidiés », lance Pierre-Alain Breeveld. Pour le ministre Clerfayt, « il faut une perspective claire, un statut d’artiste qui doit évoluer et surtout une relocalisation du secteur musical ».
Les participants espèrent bien avoir l’opportunité de revenir sur ce dossier. A l’occasion peut être de la prochaine édition des Octaves de la Musique en mai prochain à la Madeleine… si les mesures sanitaires le permettent.
Jean-Jacques Deleeuw – Photo : BX1