Procès des attentats de Bruxelles : dernier jour de témoignage pour les victimes

La cour d’assises doit se réorganiser pour les prochaines audiences, en raison de l’absence du vice-président Marc Vanwelkenhuyzen.

La cour d’assises de Bruxelles chargée du procès des attentats du 22 mars 2016 entend ce lundi les ultimes témoignages de victimes. Six derniers témoignages sont prévus.

La journée a toutefois démarré avec l’annonce que le vice-président de la cour Marc Vanwelkenhuyzen doit être remplacé. L’audience de mardi est donc d’ores et déjà annulée et l’interrogatoire croisé des accusés est reporté à mercredi.

Face à ces nouveaux problèmes de calendrier, la présidente de la cour d’assises a déjà annoncé que le procès se déroulera certainement “les prochains vendredis” pour rattraper ces nouvelles journées perdues.


10h28 – Le vice-président de la cour n’est plus en état de siéger

Le vice-président de la cour d’assises de Bruxelles Marc Vanwelkenhuyzen, au procès des attentats du 22 mars 2016 à Bruxelles, n’est plus en état de siéger et doit être remplacé pour le reste des audiences, a annoncé la présidente de la cour Laurence Massart.

C’est le deuxième juge assesseur, Thibaut de Sauvage, qui a dès à présent repris le rôle du magistrat Vanwelkenhuyzen, pour lequel un certificat a été présenté à la cour. M. de Sauvage a quant à lui été substitué dans son rôle initial par la juge remplaçante Catherine Ramaekers.

Afin de permettre à la cour d’assises de se réorganiser face à cette absence, la présidente Laurence Massart a annoncé qu’il n’y aurait pas d’audience mardi et que l’interrogatoire croisé des accusés débuterait mercredi à 09h00. Il devait commencer lundi après-midi, si le timing le permettait.

Face à ce nouveau chamboulement de calendrier, il ne sera pas possible d’entendre les accusés ce lundi. L’accusé Osama Krayem a d’ores et déjà souligné qu’il n’y participerait pas, tandis que Mohamed Abrini a confirmé qu’il y prendrait part. Salah Abdeslam a répondu qu’il ne savait pas encore s’il y assisterait. Sofien Ayari, Ali El Haddad Asufi, Bilal El Makhoukhi et Hervé Bayingana Muhirwa ont confirmé leur participation, tout comme Smail et Ibrahim Farisi.


12h30 – Ioana Ralucacette Pavelescu parle de la “malédiction” post-22 mars 2016

Ioana Ralucacette Pavelescu, qui se trouvait dans la troisième voiture de la rame du métro touchée par l’explosion du 22 mars 2016, a témoigné ce lundi matin et évoqué sa vie difficile depuis ce tragique attentat. Cette femme de 28 ans explique qu’elle vivait jusque-là une vie heureuse : un boulot au sein des institutions européennes, un compagnon avec qui elle vivait une “lune de miel en permanence” et des projets pleins la tête. Mais le 22 mars 2016, a commencé ce qu’elle appelle “une malédiction”.

Depuis lors, “je ne suis plus que l’ombre de moi-même”, a témoigné cette victime originaire de Bucarest en Roumanie, aujourd’hui âgée de 35 ans. “Je suis devenue une personne anxieuse, souffrant de crises de panique quotidiennes. Au travail, les occasions m’ont manqué, personne ne veut du soldat blessé”, révèle-t-elle. Sa relation avec son partenaire s’est, elle aussi, dégradée, alors qu’elle est devenue “émotionnellement handicapée”.

En avril 2020, sa maman est décédée après avoir lutté près de deux ans contre le cancer. “Une étude de l’Université de Harvard montre que le stress post-traumatique peut en être à l’origine”, souligne-t-elle. La veille du décès, sa mère lui a offert une broche, dont les deux chiffres “22” tournés l’un vers l’autre forment un cœur. Peut-être que s’il n’y avait pas eu cette maudite attaque terroriste, les choses seraient différentes. Je t’aurais vu te marier et on aurait un petit-enfant”, lui avait glissé sa maman, dans une dernière confidence.

Une déclaration qui résonne encore en Ioana aujourd’hui alors qu’elle lutte chaque jour, depuis sept ans, pour la vie. Un combat contre ses peurs, pour oublier le passé malgré les nombreuses séquelles physiques et psychologiques qui persistent. J’ai perdu 30% de mon audition, je suis devenue myope, je souffre d’angoisses et de douleurs musculaires, de troubles de boulimie, de troubles du sommeil, de troubles gastriques, j’ai du psoriasis sur plus de 50% de mon corps. L’attentat a aussi provoqué une perte de confiance en moi, je suis devenue misérable, énumère-t-elle.

Une semaine après le décès de sa maman, son compagnon depuis deux ans la quitte pour profiter de la vie avec une femme “à l’esprit aventureux, tout le contraire de ce que je suis devenue”, avec qui il peut aller à un concert sans se soucier des décibels, qui n’a pas de problème de claustrophobie, qui ne s’effraie pas à la vue d’un sac-à-dos ou d’un bagage abandonné, liste-t-elle.


12h58 – “Je me suis sentie coupable”

Le matin des attentats, le père d’Ioana Ralucacette Pavelescu l’avait appelée en l’avertissant que des explosions avaient eu lieu à l’aéroport de Zaventem et il lui demandait de ne pas prendre le métro, a-t-elle retracé. Mais elle était en retard et son fiancé ne pouvait pas l’emmener en voiture, elle s’est donc résignée à prendre le métro, où elle est entrée dans le troisième wagon. Elle dit avoir été incommodée par un homme avec grand sac à dos noir. Il s’agissait en fait du kamikaze Khalid El Bakraoui. Voyant un siège libre, elle s’est faufilée pour s’asseoir, avant de céder sa place et de sortir à Maelbeek. Puis s’impose un “silence assourdissant”. “Je suis tombée et j’ai perdu connaissance pendant quelques minutes.

“Pendant longtemps, je me suis sentie coupable de faire partie de celles et ceux qui avaient eu la chance de survivre, je me suis sentie coupable de ne pas être revenue aider celles et ceux qui avaient été plus grièvement blessés”, déclare-t-elle, confiant avoir longtemps hésité à témoigner, car elle ne se sentait pas légitime.

D’ailleurs, “pendant des années, je n’ai pas réussi à acheter un abonnement de métro, même si je bénéficiais du remboursement de mon employeur. Je payais des tickets journaliers”, a-t-elle indiqué, en montrant à la cour une pochette en plastique contenant une centaine de cartes de la Stib. “Symboliquement, acheter un abonnement revenait à accepter que j’étais une victime, ce que je ne voulais pas”. Ioana Ralucacette Pavelescu a finalement réussi à reprendre le métro en 2017, d’abord en Roumanie avec une amie, puis à Bruxelles.

Entre-temps, la Roumaine est devenue mère d’un petit garçon prénommé Noah, en référence à l’arche de Noé, l’arche de la paix. “Il représente la lumière au bout du tunnel. Ma raison de vivre, mon espoir. Pour lui, je me dois de surmonter mes peurs.”


14h17 – “Vous n’aurez pas ma haine”, lance une victime aux terroristes

Tremblant d’émotion, un homme qui se trouvait dans la troisième voiture du métro explosé à Maelbeek a raconté “la violence et la méchanceté” aveugle des terroristes du 22 mars 2016. Si ces actes l’ont “touché en plein coeur” et lui ont “volé quelques années de vie”, “vous n’aurez pas ma haine”, a lancé cette victime aux accusés, lundi, devant la cour d’assises chargée de juger les attentats de Bruxelles.

“Mettre des mots sur des maux m’a permis de faire le point”, a soupesé le quinquagénaire, pour qui “les faits restent néanmoins incompréhensibles”. “On a tenté de m’assassiner”, a-t-il répété, comme pour réaliser l’inintelligible.

Le matin du 22 mars 2016, l’attentat de Zaventem est déjà sur tous les écrans des passagers du métro lorsque ce navetteur monte à la station Delta. “J’ai eu un moment d’hésitation, bien trop court”, se souvient-il. Pris par le flux des gens pressés, il est alors monté dans “la rame de l’enfer”. “J’ai vu un homme avec un grand sac à dos. Je me suis dit: ‘En voilà un qui a de la chance, il doit sûrement profiter de ses vacances pour partir en trek quelque part'”, s’imagine ce randonneur occasionnel. L’homme au sac à dos changera de wagon in extremis à Maelbeek et déclenchera sa charge explosive à 09h11. Il s’appelait Khalid El Bakraoui.

Avec la bombe se sont envolées “la croyance en un monde globalement bon et la joie de vivre”, noircies de fumée et d’une “violence et d’une méchanceté sans nom”, a déclaré le témoin. Ni l’amour, ni les plus beaux poèmes, pas même les couchers de soleil tant admirés et photographiés, les plus beaux ciels étoilés et clairs de lune n’effaceront cet “instant T” où l’horreur s’est invitée dans la vie de ce fringuant fonctionnaire, père de cinq enfants. “Le soir du 22 mars 2016, je suis en vie mais anéanti psychologiquement.”

“Messieurs les accusés, certes vous êtes présumés innocents, mais pourquoi ? Pourquoi tant de mal et de haine?”, a interrogé celui qui souligne sa chance d’avoir pu se relever malgré le traumatisme. “Ces actes m’ont touché en plein cœur, volé quelques années de ma vie mais n’ont volé ni mon âme, ni mon sourire, ni la chaleur de mon coeur, ni la volonté de faire le bien. Vous n’aurez pas ma haine. Votre salut dépendra de votre volonté de vous amender et de progresser. Je vous le souhaite ardemment”, a-t-il conclu avant de se lever, frissonnant mais souriant. Au sortir de la salle d’audience, d’autres victimes viennent l’entourer. D’autres sourires fleurissent.


15h42 – 07h58 et 36 secondes, une hôtesse d’accueil quitte l’autoroute de sa vie à Zaventem

Sofie travaillait au guichet de Brussels Airlines quand le double attentat-suicide a fauché 16 vies à l’aéroport de Zaventem. Depuis le 22 mars 2016 à 07h58, celle qui menait sa vie “à 140 km/h” a dû “quitter son autoroute” pour un chemin semé de ravins, a-t-elle témoigné lundi devant la cour d’assises de Bruxelles, qui juge les attentats de Maelbeek et Zaventem.

Le 22 mars 2016, 06h00. La journée commence dans la bonne humeur au guichet d’accueil de Brussels Airlines. Entre les bavardages, l’équipe aide les passagers aux bagages excédentaires, ceux qui désirent annuler leur vol, etc.

07h36. “Vous êtes venu, M. Abrini”, lance-t-elle à l’accusé qui, chargé d’une troisième bombe, a renoncé à se faire exploser ce matin-là. “Avec vos compagnons, vous regardez les écrans pour savoir qui ira dans quelle allée pour changer la vie de milliers de personnes.”

07h57. “Un passager vient vers moi avec un petit billet blanc en main, sur lequel les collègues ont l’habitude de noter en quoi nous pouvons aider les clients.” Accueillant le jeune homme d’une trentaine d’années, “je souris déjà, je prends le billet qu’il me tend et lui dis: ‘Goeiedag, bonjour'”.

07h58 et 24 secondes. La première explosion retentit de l’autre côté du hall de départ, se souvient Sofie. L’équipe se réfugie dans le bureau de sa superviseuse. “J’entre en dernier. La superviseuse me demande de fermer la porte.”

07h58 et 36 secondes. “J’approche ma main de la poignée pour fermer la porte. Maintenant démarre ma vie d’après le 22 mars. Quel bruit assourdissant! Dans les films, on voit les gens être catapultés dans les airs. Ici, c’est vraiment le cas.” Dans le bureau, il neige de la poussière et il pleut des billets. La responsable avait en effet ouvert le coffre-fort quelques instants auparavant.

L’hôtesse vit ensuite le moment “le plus zen” de son existence. Pensant qu’elle va mourir, elle “accepte son sort”. Puis, “je pense à ma fille et la réalité me submerge: ‘non, je ne vais pas mourir. Allez, debout Sofie!'”, s’encourage-t-elle.

Sous le choc, abasourdie, n’arrivant “plus à réfléchir”, l’hôtesse tente d’aider quelques personnes autour d’elle. Sa collègue indique aux voyageurs paniqués un chemin d’évacuation en se plaçant à côté d’un homme ensanglanté et à terre. Pour longer ce corps plutôt que de le piétiner. “Aujourd’hui, je me demande encore qui était ce jeune homme à mon guichet, cet homme à la jambe ensanglantée. Qui était ce couple blessé sur un banc, cet homme coincé sous un panneau. Comment vont-ils tous?”, s’interroge l’hôtesse de 46 ans.

“Mon autoroute a été détruite par une bombe”, illustre cette employée de la Sabena qui avait ensuite rejoint Brussels Airlines. “Je ne savais plus avancer donc je me suis dit: je vais quitter mon autoroute et trouver un autre chemin. J’ai atterri dans des ravins.”

Un sentiment de vengeance, d’amertume l’envahit-il parfois ? Non. Tout au plus se demande-t-elle quel a été le moment de la vie des terroristes où ceux-ci ont choisi la voie du terrorisme. Il y a toutefois eu des moments de désespoir. Licenciée deux fois pour raison médicale, suivie par un psychologue et psychiatre, sous antidépresseurs, “j’avais totalement perdu mon chemin”. “Malgré tout, aujourd’hui, quand on me demande comment je vais, je peux répondre: bien.”


16h56 – “J’étais terrorisée à l’idée qu’il y ait une 2e bombe”, témoigne une victime de Maelbeek

“Au départ, je ne me sentais pas légitime de venir témoigner”, a tenu à préciser d’emblée cette femme âgée de 40 ans. “C’est en parlant avec d’autres parties civiles que je me suis convaincue.”

Le matin du 22 mars, Marie Suleau est partie de Liège, en train, avec sa fille cadette. Durant le trajet, elle entend parler des attentats à l’aéroport de Zaventem. Après avoir déposé son enfant à la crèche à Auderghem, elle embarque dans la rame numéro 3 du métro à la station Herrmann-Debroux afin de se rendre au travail.

“Comme beaucoup de monde, j’avais les yeux rivés à mon téléphone. Je ne me sentais pas très à l’aise d’être dans le métro et de passer par Schuman, un endroit potentiellement à risque”, confie-t-elle. Passé cet endroit, “je me suis sentie soulagée.” Mais ce qu’elle appréhende se produira une station plus loin, à Maelbeek.

Une fois sortie de la station, cette employée au service public de Wallonie est partie à pied. Sur le chemin, elle a été accueillie dans un snack où la télévision était branchée. “Petit à petit, je découvrais la gravité de ce qui s’était passé.” C’est en regardant les infos qu’elle se rend compte à quel point elle a été “proche de tout ça”. “Au fur et à mesure que j’en apprenais sur les faits, l’événement traumatique augmentait.”

S’en sortant avec des séquelles principalement respiratoires, la jeune femme a très rapidement repris le travail. Mais en 2021, “j’ai développé des douleurs dans le dos”, qui irradiaient jusqu’à sa jambe. Elle a entrepris plusieurs examens médicaux, qui n’ont rien révélé d’anormal. “Ça a empiré au point que je ne pouvais plus dormir. J’ai commencé à avoir des angoisses, à développer de l’anxiété, à faire des insomnies et des cauchemars liés aux attentats, à avoir des problèmes de digestion. J’ai alors commencé à suivre une thérapie”, indique-t-elle. “Depuis lors, je suis dans un état de vigilance quotidien. Quand je prends le métro, le train ou en traversant la rue, je me dis que quelqu’un peut venir me faucher.”

“Quelque part, en recommençant à travailler directement, c’est comme si je ne m’étais presque pas autorisée à vivre mes émotions”, avoue-t-elle. “C’est pour ça que je suis là aujourd’hui, pour pouvoir vous raconter tout ça, vous le déposer et repartir un peu plus légère. Ce n’est pas une démarche agréable mais c’est…”, s’interrompt-elle. “Libératoire”, complète alors la présidente de la cour, Laurence Massart. “Je l’espère”, répond Marie. “On vous le souhaite”, conclut la magistrate.

■ Reportage de Camille Tang Quynh, Charles Carpreau et Laurence Paciarelli.

Avec Belga – Photo : Belga