Christelle Giovannetti, rescapée des attentats de Bruxelles : “C’était il y a 6 ans et c’était hier à la fois”

Ce mardi 22 mars, cela fera six ans que les attentats de Maelbeek et Zaventem auront bouleversé la capitale. Une date difficile pour les victimes et leurs proches.

Ce mardi, des commémorations auront lieu dans deux lieux bruxellois pour honorer la mémoire des 32 personnes décédées dans ces attaques à la station de métro Maelbeek et à l’aéroport de Zaventem. Un hommage sera prévu à 10h00 devant la stèle Loubna Lafquiri à Molenbeek, une stèle érigée en 2018 en l’honneur de cette jeune mère de famille molenbeekoise qui a perdu la vie à 34 ans lors de l’attentat à la station Maelbeek.

Une autre cérémonie aura lieu à 10h30 devant le monument érigé en mémoire des victimes des attentats du 22 mars 2016, sur la rue de la Loi, non loin du parc du Cinquantenaire.

Découvrez notre page spéciale “22 mars pour l’Histoire” avec les portraits des 32 victimes et les témoignages des rescapés

Cette date anniversaire résonne encore plus durement pour les proches des victimes et les survivants de ces attentats. Christelle Giovanetti, survivante de l’attaque contre la station Maelbeek voici six ans et actuelle membre du conseil d’administration de l’AISBL Life4Brussels, a souhaité témoigner dans une lettre ouverte de cette souffrance et de ce combat qu’elle poursuit depuis six ans. Mais aussi de l’approche difficile du prochain procès qui doit s’ouvrir à l’automne prochain à Bruxelles.

► Découvrez ci-dessous sa lettre ouverte :

“C’était il y a 6 ans et c’était hier à la fois.

Nous, citoyens du monde, avons été frappés dans notre chair, dans notre cœur, dans notre sentiment de liberté et de sécurité.

Nous avons été pris pour cibles, pour une idéologie qui va à l’encontre de nos valeurs.

Ce matin-là, j’allais simplement travailler, et je me suis retrouvée sur un trottoir glacé malgré la journée ensoleillée, emmitouflée dans une parka de ski qu’un passant m’avait mis sur les épaules car je grelottais, blessée, traumatisée, terrorisée. Je me disais qu’ils avaient réussi à semer la terreur en moi, ce sentiment qui m’était inconnu auparavant. Ils m’avaient eu, moi, cette jeune femme française de 31 ans, pleine de vie, résidant en Belgique depuis 12 ans à l’époque. J’avais le sentiment qu’ils avaient gagné, emportant avec eux mon insouciance, et déposant dans ma tête et dans mon ventre toutes sortes d’images indélébiles et cauchemardesques.

Un homme s’est assis à côté de moi sur ce trottoir, sa jambe et son bras touchaient mon corps. En temps normal cela m’aurait dérangé qu’un étranger soit si proche de moi physiquement. Mais j’avais besoin que l’on me serre à ce moment-là, comme pour me rattacher à quelque chose, me rendant à nouveau vivante. Les moins blessés ne cessaient de se regarder ; sans paroles, nous nous comprenions. Autour de nous, le chaos.

Cet étranger sur le trottoir est devenu un proche, un compagnon d’attentat, pourtant nous en reparlons peu. Lui n’a fait aucune démarche, il ne fait même pas partie de la liste des victimes. Il était pourtant dans le métro ce matin-là, son nom a été relevé par la police dans l’hôtel Thon parmi les blessés. Il a été transporté dans le même hôpital que moi, mais sa résilience se veut différente.

Pour bon nombre d’entre nous, ces 6 années ont été éprouvantes. Et malgré le chemin parcouru, une route est encore à tracer.

Nous avons dû nous relever, panser nos blessures tant bien que mal.

Nous avons dû renouer avec les uns avec les autres, mais aussi avec nous-même.

Nous avons dû faire face et assumer l’impact que ces bombes ont eu dans nos vies, dans nos maisons, dans notre société.

Nous avons dû extérioriser, se rencontrer, nous rencontrer, pleurer, douter, recommencer, débattre.

Nous avons dû affronter maintes épreuves, méconnues et difficiles à raconter.

Nous avons dû réapprendre à vivre, construire pierre après pierre ce qui est pour nous l’Après 22 mars.

Ces 6 années ont été un combat, à la fois physique, moral, personnel, familial, et quotidien.

Ces 6 années ont également été un combat administratif, financier, très loin d’être résolu pour un grand nombre de victimes. Nous n’avons pas reçu l’aide nécessaire, le soutien indispensable pour nous faciliter les démarches, nous faire connaître et reconnaître nos droits, nous indemniser à la juste valeur de nos blessures. Je remercie l’association Life4Brussels qui s’est construite autour de ce vide, pour combler ces failles.

Cette année marque l’ouverture du procès, d’une envergure historique pour la Belgique. Nous sommes trop de victimes pour toutes nous connaître. Nous nous voyons pour certain.e.s lors des commémorations, dans nos vies, via les associations, ou diverses organisations; mais sans nous connaître toutes, nous formons la grande famille des victimes, des Parties civiles. C’est notre histoire, à la fois commune et si spécifique à chacun.e, qui va être portée devant la Cour d’assises cette année.

Ce sera pour nous tou.te.s, une nouvelle forme de confrontation avec « Notre 22 mars ». Ce sera pour notre pays, pour le peuple belge, un procès important, qui reposera les questions de nos valeurs nationales et de notre sécurité citoyenne. Ce sera un nouveau long chapitre, qui je l’espère, permettra par ses réponses, mais surtout par la solidarité qui est à l’œuvre, une forme d’apaisement et de résilience pour certain.e.s.

Je pense à toutes les victimes qui souffrent encore tellement aujourd’hui et se battent sans relâche, dans leur corps et leur cœur.

Je nous souhaite à tou.te.s, beaucoup de courage pour ce sixième anniversaire.

Je terminerai par une phrase de Gandhi, ce grand défenseur de la vérité, assassiné par un extrémiste : « La voie de la non-violence véritable exige beaucoup plus de courage que celle de la violence.”