Le journal de bord de Sébastien du Samusocial (4 mai) : “Des politiques différentes entre les centres”
Sébastien est directeur du (nouveau) Samusocial. Il partage avec nous quelques extraits de son quotidien et de celui des équipes de terrain, ces travailleurs de l’ombre qui vivent en première ligne le défi actuel : rester présents pour aider les personnes sans abri alors que l’épidémie de Covid-19 a complètement bouleversé l’organisation des activités du dispositif d’aide.
Quelques travailleuses du Samusocial me remontent que les cas de harcèlement ou d’attentat à la pudeur augmentent dans l’espace public, et notamment dans les transports en commun. Certaines en ont été directement victimes. Elles avouent ne plus vouloir prendre le bus quand elles rentrent chez elles après leur journée de travail. Depuis le début, on essaye d’ailleurs d’identifier des solutions bon marché de retour au domicile, notamment pour notre personnel de nuit. Aujourd’hui, je me dois de reconnaître que nous n’avons pas trouvé de réponse miracle à ce problème.
Dans l’un de nos centres pour les familles, le nombre de femmes seules avec enfants arrivant après avoir été victime de violences familiales semble augmenter également. Cela va dans les sens de ce que vivent nos travailleuses au niveau de la rue. L’espace privé n’est pas toujours un lieu sécurisé pour les femmes ou les enfants. Ce que beaucoup d’associations avaient prédit en mars quant au risque d’augmentation de la violence semble se traduire en réalité.
Les tests ont commencé début de semaine dans nos centres Poincaré (le centre le plus touché jusqu’à ce jour) et Petit Rempart, deux centres mixtes qui accueillent un public fragile près de la porte d’Anderlecht. C’est le personnel de Médecins du Monde qui effectue les tests. On a trop rarement souligné le rôle transversal de Médecins du Monde dans cette urgence. De manière sobre, ils sont en support de la plupart des acteurs en renforçant les consultations médicales, en coordonnant un abri de jour, en testant nos hébergés, en nous aidant dans la promotion de la santé… Ils sont présents, toujours en appui, mais essentiels.
Les résultats corroborent ce qu’on craignait. On avoisinerait les 20% de personnes contaminées, avérées positives au Covid+. Cela confirme qu’en termes de santé publique, nos centres sont des nids de contamination à ne pas oublier, même si notre taux de cas graves reste bas. Dès la semaine prochaine, l’ensemble des résidents de nos autres centres sans-abri seront testés. Il n’y a que le centre Fedasil qui n’en bénéficiera pas. Les demandeurs d’asile dépendant du Fédéral ne sont pas placés sur la liste des personnes prioritaires. Cela oblige à un certain grand écart quand on dirige une association qui travaille avec les 2 populations. Pas facile d’argumenter à nos travailleurs du centre Fedasil que des demandeurs d’asile aux conditions d’hébergement collectives similaires à celles des sans-abri n’ont à ce jour pas le droit d’être dépistés.
La semaine prochaine, nous espérons tester l’ensemble des travailleurs. Par souci d’équité et de cohérence en tant qu’employeur, nous dépisterons aussi le personnel du centre Fedasil, même si ce n’est pas officiellement prévu. Cette question de politiques différentes selon les pouvoirs subsidiants nous confronte chaque année à la nécessité de faire des choix qui déplairont à l’un de nos organes de contrôle. Et à devoir en assumer les conséquences avec nos fonds propres. Ainsi, si Fedasil refuse le coût des tests offerts à notre personnel Fedasil, il nous faudra les payer avec nos fonds propres.
Jeudi, Paris-Match a sorti huit pleines pages de photos sur le travail du Samusocial. 8 pages qui montrent l’engagement, les doutes, les difficultés, les contacts noués dans la rue. Ce type d’article donne un sentiment de fierté du travail accompli. Il prouve que la crise permet enfin aux médias de reparler du Samusocial positivement. À ce titre, le partenariat avec le Parlement européen ou avec des organisations comme MSF ou MDM, dont l’action rayonne bien au-delà du ring de Bruxelles nous redonne face au grand public une crédibilité que nous n’aurions jamais dû perdre.
Notre image a été tellement écornée en 2017 que certains fournisseurs refusent encore aujourd’hui de nous approvisionner, répondant à nos appels à marchés publics d’un laconique : « Nous ne désirons pas associer notre nom à celui du Samusocial ». Merci. Nous non plus finalement. Il faut quelques secondes pour détruire une réputation, mais des années pour la reconstruire. Cela peut paraître tellement long, que souvent nous nous demandons si nous ne devrions pas suivre l’exemple de Dexia : changer de nom.
► Retrouvez l’ensemble des journaux de bord de Sébastien du Samusocial dans notre dossier.
Photo : Roger Job/Samusocial