Le journal de bord de Sébastien du Samusocial (20 mars) : “MSF sort l’artillerie lourde”
Sébastien est directeur du (nouveau) Samusocial. Il partage avec nous quelques extraits de son quotidien et de celui des équipes de terrain, ces travailleurs de l’ombre qui vivent en première ligne le défi actuel : rester présents pour aider les personnes sans abri alors que l’épidémie de Covid-19 a complètement bouleversé l’organisation des activités du dispositif d’aide.
Ça y est, apparemment Médecins Sans Frontières (MSF) s’est décidé à sortir l’artillerie lourde. Voilà une expression guerrière presque macronienne. Mais bon, il faut reconnaître que MSF est une machine de guerre, ou plutôt de paix. C’est d’ailleurs la machine qui m’a construit, celle qui m’a envoyé pendant 20 ans sur les différents terrains humanitaires de la planète. Cette organisation présente plusieurs avantages sur toutes les autres à Bruxelles : elle est experte en prise en charge des épidémies, elle bénéficie d’une force de mobilisation en ressources humaines uniques et elle est indépendante financièrement. C’est important cela, avoir des sous. Cela permet d’agir sans attendre l’aval des pouvoirs publics, dont les mécanismes décisionnels ne sont pas toujours adaptés à l’urgence. Cela permet aussi de ne pas subir toutes les conditions à l’octroi des fonds. Le manque de fonds propres est pour beaucoup de petites associations un obstacle à la prise de risque ou à l’esprit d’initiative. Or, le pire risque pour une structure sociale, c’est de ne pas pouvoir en prendre. Et le pire risque d’un pouvoir subsidiant, c’est de ne pas être en mesure d’adapter ces mesures de contrôles financiers à la crise, et d’ainsi limiter l’action des opérateurs qui ont les moyens d’agir.
Une crise demande de l’action et de la prise de risque. Bien plus qu’une approche gestionnaire. Or, dans ce genre de situation, on voit combien il est compliqué d’adapter nos logiques institutionnelles complexes, nos différents niveaux de pouvoir, nos multiples niveaux de décisions au rythme de l’urgence. On a beau être gouverné par des progressistes ou des compétents, on touche ici aux limites d’un système. Malheureusement, je doute qu’on puisse prendre les décisions adéquates en restant dans le rythme du pendule Région/Fédéral. Car quand le niveau Fédéral ferme l’Office des étrangers, cela impacte directement les centres de sans-abris financés par la Région.
Quoi qu’il en soit, une crise ne se gère pas par une stratégie budgétaire. Une crise implique des mauvaises décisions, des risques ratés, mais elle demande en tout cas des prises de décision rapides et des actions. MSF m’aura au moins appris cela. « Les hommes n’acceptent le changement que dans la nécessité et ils ne voient la nécessité que dans la crise », disait Jean Monnet.
Je m’égare, ce qui n’est jamais recommandé en période de confinement. Le premier cas COVID-19 hébergé dans un centre du Samusocial a été confirmé aujourd’hui. Nous l’avons annoncé aux équipes. La présence du COVID-19 à nos portes est passée du fantasme à la réalité. L’enjeu reste de pouvoir équiper les travailleurs.
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Photo : Roger Job/Samusocial