Le journal de bord de Sébastien du Samusocial (19 mars) : “Il faut les voir ces travailleurs”
Sébastien est directeur du (nouveau) Samusocial. Il partage avec nous quelques extraits de son quotidien et de celui des équipes de terrain, ces travailleurs de l’ombre qui vivent en première ligne le défi actuel : rester présents pour aider les personnes sans abri alors que l’épidémie de Covid-19 a complètement bouleversé l’organisation des activités du dispositif d’aide.
Chaque matin, on se demande comment s’est passé la nuit. On compte les effectifs. Le taux d’absentéisme atteint des niveaux records. Ce matin, on estime que 50 personnes sont sous certificat (sur un total de 360 personnes). Cela correspond à plus de 350 jours d’absence en ce début mars.
Il y a ceux qui sont malades, ceux qui ont un rhume, ceux en quarantaine, ceux qui sont obligés de rester chez eux parce qu’ils ont des antécédents médicaux mais qui rêveraient de se mobiliser sur cette urgence. Ceux-là vivent sans doute le comble de la frustration : avoir envie de travailler mais s’en voir empêcher par un médecin : un poumon fragile, un cœur qui bat trop vite, ou un enfant qui vit dans le bas du ventre sont soit une opportunité, soit un obstacle
Il y a ceux qui pointent et ceux qui se pointent n’importe quand, même quand ils sont en congés. Il y a ceux qui rognent, ceux qui grognent, ceux qui se battent, ceux qui sont prêts à tout pour la structure, ceux qui préfèrent la structure à tout le reste. Ceux qui s’identifient et ceux qui gardent la distance. Ceux qui analysent et ceux qui agissent. Ceux qui prennent le boulot trop à cœur, ceux qui se lèvent tôt, ceux qui arrivent tard. Ceux qui s’expriment, ceux qui râlent, ceux qui angoissent, ceux qui somatisent ; ceux qui se taisent et ceux qui font. Ceux qu’on voit, et ceux qu’on entend.
Il y a ceux qui sont capables d’arrondir les angles du monde des sans-abris tout en faisant respecter le cadre, il y a ceux qui ne rentrent jamais, qui dorment peu. Il y a ceux toujours au poste, toujours prêts. Ceux qui s’expriment par mail, par cris, par larmes ou par des mots justes. Ceux qui sont délégués syndicaux capables de sortir de la logique d’opposition au patronat pour s’assurer que l’essentiel du Samu soit préservé.
Et ce qui est incroyable quand on ajoute cela, ou quand on le multiplie, ou quand on le soustrait, c’est qu’au final l’opération est efficace, et sans aucun doute d’une incroyable utilité. Car grâce à ce tout, grâce à cet ensemble et à tous « ceux-là », la réponse ou le résultat sont bien plus qu’une opération mathématique.
Il faut les voir à l’œuvre ces travailleurs sur le terrain, ces assistants sociaux, ces éducateurs, ces infirmiers, ces psychologues, ces chauffeurs, ces portiers, ces coordinateurs multi-fonctions qui gèrent des paquebots d’hébergement. Il faut les voir.
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Photo : Pierre Lamour/Samusocial