Le journal de bord de Sébastien du Samusocial (14 avril) : “La dernière lumière dans la nuit”
Sébastien est directeur du (nouveau) Samusocial. Il partage avec nous quelques extraits de son quotidien et de celui des équipes de terrain, ces travailleurs de l’ombre qui vivent en première ligne le défi actuel : rester présents pour aider les personnes sans abri alors que l’épidémie de Covid-19 a complètement bouleversé l’organisation des activités du dispositif d’aide.
Les enfants passent en boucle la chanson “Dilemme” de Lous and the Yakuza. “Ce n’est pas un drame, si je ne fais plus la fête”. Un de mes enfants me montre une interview où Lous raconte son passé. “J’ai découvert, à la rue, les premières personnes qui ont cru en moi. C’était à Montgomery, il y a des petites bouches d’égout où il y a de la chaleur qui sort. On se mettait tous là entre SDF et tous les soirs, ils me disaient, vas-y chante! Et je n’avais jamais eu ça, je n’avais jamais eu des gens qui me demandaient de chanter sans idée derrière. C’était juste chante! on aime bien ta voix. Et ça, c’était magnifique”. La rue raconte parfois de belles histoires, et le rap bruxellois continue à construire des artistes hors du commun.
La commune de Forest a proposé une régularisation des sans-papiers. Cette position est sans doute la première clef pour mettre fin au sans-abrisme, même si le contexte politique fédéral la rend peu réaliste aujourd’hui. Dans nos centres d’hébergement, plus de la moitié des hébergés sont des sans-papiers. La majorité sont ici depuis des années, souvent ils ont épuisé toutes les pistes de régularisation. D’autres sont de passage, D’autres encore espèrent encore obtenir une légalité, un statut, une reconnaissance d’existence ; ils sont en procédure, comme on dit. L’hébergement d’urgence n’est plus pour eux une option provisoire, mais une solution permanente. Sans régularisation, ils n’auront pas vraiment d’autre espoir que les chambres collectives du Samusocial. Preuve que la frontière entre urgence et insertion fluctue selon les statuts. Nos travailleurs les connaissent bien, ils les accueillent, nouent des contacts profonds avec eux, mais ils sont malheureusement incapables de leur proposer des solutions. Cela se décide à un autre niveau.
Hier, une personne qui accompagnait nos maraudeurs nous a écrit ce message, “vos travailleurs sont la dernière lumière qui brille dans la nuit. Dommage que j’avais oublié la crème solaire. Je suis rentré chez moi brûlé”.
Ce mardi, nous déménagerons notre centre de l’avenue Royale vers un centre plus adapté, moins vétuste, situé à Evere. Le centre d’Evere permettra d’offrir aux hommes seuls que l’on accueille en hiver un hébergement 24 heures sur 24. Cela ne fait pas que des heureux. “Les centres d’hébergement pour sans-abris, c’est comme les éoliennes”, me confiait un chauffeur du Samusocial récemment, “tout le monde est d’accord que cela existe, mais loin de chez soi”. Les craintes du quartier s’expriment par mail, nombreuses.
Après avoir communiqué la nouvelle, il nous faut faire face à certaines critiques de voisinages. C’est une habitude, un passage obligé lors de tout déménagement. Il nous faut essayer d’informer le plus clairement les habitants des environs sur les mesures prises face aux nuisances possibles, et aux désagréments, et l’exercice est encore plus délicat en période de confinement. Car, si nous pouvons sensibiliser, nous n’avons pas autorité pour contraindre nos hébergés à respecter les règles en dehors de nos centres.
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Photo : Roger Job/Samusocial