La famille de la victime de la fusillade de Forest envoie une lettre à la commune : “Tout le monde a une responsabilité”

La famille de Soufiane Ben Ali, décédé des suites d’une fusillade sur la place Alfred Orban à Forest, le 5 juillet dernier, a envoyé une lettre ouverte aux conseillers communaux, échevins et bourgmestre de Forest pour leur demander des actions structurelles au sein de la commune et leur demander de “prendre (leurs) responsabilités pour lesquelles (ils ont) été élus”.

Dans la nuit du 4 au 5 juillet, les riverains de la place Alfred Orban à Forest ont été sous le choc de découvrir une fusillade, faisant un mort et deux blessés. Soufiane Ben Ali, 23 ans, est décédé sur place, tandis que deux autres jeunes nés en 2001 et en 2003 ont été blessés par balles et soignés à l’hôpital. Deux jeunes nés en 1998 et en 2001 ont depuis lors été interpellés et placés sous mandat d’arrêt. Ils sont inculpés comme auteurs des tirs, pour assassinat, tentatives d’assassinat et menaces verbales avec ordre ou sous condition d’un attentat criminel. Un troisième suspect né en 1998 a été inculpé pour assassinat et tentative d’assassinat en tant que complice.

Cette fusillade, qui ferait suite, selon une piste du parquet de Bruxelles, à un règlement de compte dans le milieu du trafic de stupéfiants, a marqué les esprits dans le quartier, et depuis lors, des voix s’élèvent pour que la situation change à Forest. “Ce qui doit changer maintenant, c’est que tous les acteurs travaillent plus en complémentarité pour faire face à la problématique actuelle dans le quartier”, affirmait au lendemain de la fusillade le bourgmestre de Forest Stéphane Roberti (Ecolo) sur l’antenne de BX1+.

“Passif et spectateur”

La situation est toutefois plus complexe, selon la famille de Soufiane Ben Ali et les signataires d’une lettre ouverte destinée aux autorités communales. “Nous, la famille Ben Ali ainsi que
tous les citoyens du quartier, sommes dans un état de choc : de toute évidence, tout un quartier a été touché et a subi ce traumatisme vécu par une population qui est en souffrance, qui vit
dans la peur et l’incertitude du futur”, explique la famille dans cette lettre envoyée aux conseillers communaux, échevins et bourgmestre de Forest. Celle-ci confirme que “tout le monde a une responsabilité” mais pointe surtout “la grande part de responsabilités” du monde politique “passif et spectateur d’une situation bien connue de tous” concernant la place Orban. Le seul retour reçu de la dénonciation de cette situation invivable était « Il faut, il faudrait, il fallait… »… Rien de plus que des injonctions sans aucune prise d’initiative concrète, sans aucun projet”, dénonce la lettre.

Les proches de Soufiane Ben Ali et les signataires de cette lettre demande donc des investissements pour “la jeunesse qui est le futur de demain (…) ou notre chaos si on la laisse pourrir”. La lettre propose donc une série de thèmes pour lesquels des améliorations sont demandées dans un futur proche. D’abord, sur le plan sécuritaire, les citoyens forestois demandent “un dispositif sérieux afin que de tels drames ne se produisent plus”. “Excepté des interventions de la police, rien de concret, aucune réflexion et aucun projet constructif ou préventif n’ont été menés, disent-ils, avant de dénoncer “les violences policières” : “mais nos dénonciations restent vaines, les jeunes des quartiers défavorisés restent traités comme des êtres déshumanisés auquel on répond uniquement par la violence, sans aucun projet social pour relever les défis nombreux tant les crises sont criantes”.

“Repenser l’espace public pour nos jeunes”

Sur le plan de la propreté, la lettre estime que le nombre de poubelles publiques est insuffisant dans le quartier, tout comme la fréquence de ramassage de ces poubelles. Nous savons bien que certains habitants du quartier salissent aussi les rues, ce qui nécessite de mettre en place des campagnes d’information, de sensibilisation. Si les résultats sont vains, il faut sanctionner”, proposent ces citoyens. Concernant l’aménagement de l’espace public, les signataires de la lettre signalent des “trottoirs et rues dans un très mauvais état”, “pas assez de lumières”, “des rues sombres”Ils se plaignent également des espaces de jeux installées sur les places Padoue, Orban, Divesity et des Primeurs qu’ils estiment “honteux” : “Il est peut-être temps de repenser l’espace public pour nos enfants et nos jeunes car il n’y a aucun espace décent pour aller jouer : notre seule alternative est de nous rendre dans d’autres communes où il fait mieux vivre que la nôtre”.

Pour la jeunesse, la lettre ouverte dénonce un service communal destiné à la jeunesse “incolore, inodore et insipide” : ” Ce service aurait une immense responsabilité puisque vu le nombre élevé de jeunes Forestois, il y aurait du pain sur la planche. Ces jeunes n’en connaissent pas l’existence, ce service n’a donc ni impact, ni influence sur eux…” Les signataires s’interrogent en outre sur l’absence de rues commerçantes à Forest et sur le bilan des contrats de quartier. Ils demandent également des nouveaux moyens pour les services de prévention installés à la rue de Mérode : “Svp renforcez les équipes, donnez-leur des moyens, aidez-les aussi afin qu’ils puissent nous aider et aider nos jeunes”.

“Notre espoir est déjà mitigé”

Les signataires pointent encore la vétusté des bâtiments et la qualité de l’enseignement primaire à Forest, ainsi que la salle de sport des Primeurs jugée “insalubre” et celle de Van Volxem “en décomposition”. Ils dénoncent en outre le fait que plusieurs jeunes du quartier ont déjà postulé pour des fonctions communales sans recevoir de réponse. “Mais entretemps, vous engagez des
personnes issues d’autres communes : nous ne demandons pas de n’engager que des Forestois mais pourquoi ne pas en engager quelques-uns ? Est-ce une politique voulue d’écarter d’emblée les candidats forestois ?”, demande la lettre. Ils dénoncent enfin la différence de répartition des subsides pour les associations entre le haut et le bas de Forest.

“Nous mettions tous nos espoirs dans la nouvelle législature pour ne pas tomber dans le carcan si facile de la passivité et du combat stérile à des fins individualistes mais notre espoir est hélas déjà mitigé car il nous revient des faits très graves sur la gestion quotidienne de la Commune qui sont déplorables: le deux-poids-deux mesures, le clientélisme, le favoritisme, le dénigrement, le harcèlement, le racisme, l’islamophobie face auxquels vous êtes totalement passifs”, dénoncent encore les signataires de ce courrier, qui signalent qu’un nouveau comité de quartier va être créé, “en la mémoire de Soufiane”, et qui aura “pour but la lutte contre la délinquance et les inégalités”.

La commune de Forest, pour sa part, se dit “consciente” des difficultés rencontrées dans le quartier. “Les pistes qu’on a pour le moment, c’est d’essayer de mettre autour de la table toutes les forces vives du quartier, avec la police, avec les associations, avec les habitants, et voir comment on peut améliorer le dialogue et la coordination entre ces différents services”, explique Alain Mugabo (Ecolo), échevin de la Ville verte de Forest et actuel bourgmestre faisant fonction. Une première réunion est prévue vendredi prochain.

Gr.I. – Photo : Belga/Olivier Gouallec

■ Reportage de Marie-Noëlle Dinant, Camille Dequeker et Corinne Debeul.

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20 juillet 2020 - 14h25
Modifié le 20 juillet 2020 - 14h28