Véronique Oruba n’a eu “que des retours positifs” après avoir interpellé Theo Francken à Berchem-Sainte-Agathe

“Merci pour cette leçon de dignité et de citoyenneté“, “Bravo je vous admire!“, “Quel courage!“… depuis vendredi, Véronique Oruba ne cesse de recevoir des messages de soutien, tant sur les réseaux sociaux que dans la rue. En cause : ses propos tenus face à Theo Francken (N-VA), secrétaire d’État à l’Asile et à la Migration, en visite à Berchem-Sainte-Agathe vendredi dernier, pour soutenir les candidats N-VA. Portrait d’une éternelle indignée.

L’air déterminé, cette habitante se lance sans hésitation, aucune, dans une joute verbale avec le politique néerlandophone: “Comment osez-vous venir ici Monsieur Francken ?”. Tout de suite, le ton est donné. L’homme se tourne et lui demande pourquoi. À cela, avec la même fermeté, elle continue: “Vous êtes dans une commune qui n’est pas raciste et qui ne supporte pas votre politique de l’asile et de migration“. Au tour de Theo Francken de rétorquer qu’il n’a pas de leçon de moralité à recevoir. Sans se laisser impressionner, Veronique Oruba conclut: “Ce n’est pas une leçon de moralité mais une leçon de citoyenneté et d’humanité Monsieur Francken. Vous n’êtes pas le bienvenu à Berchem-Sainte-Agathe“. Le moment ne dure qu’une vingtaine de secondes, mais cela suffit pour que les images fassent le tour de la toile.

Ses amies la décrivent comme une citoyenne qui n’a pas sa langue dans sa poche et qui ne craint personne. “Rebelles un jour, rebelles toujours“, écrivent d’autres qui se rappellent son discours tenu à l’UCL il y a 20 ans face au pape Jean-Paul II. Alors étudiante en sociologie et présidente de l’AGL (Assemblée générale des étudiants), elle lui reproche son conservatisme devant 30 000 personnes. Un événement relayé à l’international tant il était inattendu pour l’époque. Aujourd’hui, elle continue avec la même détermination de dénoncer les injustices au sein du MOC (Mouvement ouvrier chrétien) depuis 25 ans en tant que Secrétaire nationale.

Apolitique mais politisée tout de même, l’organisation traite, entre autres, les questions d’asile et de migration. Autant dire que c’est un dossier que la berchemoise connait bien. Dimanche, Theo Francken lui reprochait dans ses tweets d’être candidate aux élections communales et d’avoir réagi pour faire le buzz.

https://twitter.com/FranckenTheo/status/1048928361601519617

Des arguments qu’elle n’apprécie guère d’autant plus qu’elle n’a jamais été engagée politiquement. Son mari, Vincent Lurquin, est 2e sur la liste DéFI de Berchem-Sainte-Agathe aux prochaines élections communales et son fils Baptiste est 22e, mais elle confirme ne pas être liée à un parti politique. Elle continue toutefois de se révolter face aux injustices. “Je me sens mieux dans tout ce qui est associatif pour dénoncer les choses que dans un parti politique. Je ne m’y vois pas. Je préfère garder une liberté de parole plutôt que d’être attachée à un parti politique”, nous a-t-elle confié.

Quelle est votre réaction face aux tweets de Theo Francken?

V.O.: “Je ne savais pas que ça allait avoir autant d’impact. J’étais choquée qu’il aille chercher des informations sur moi en disant des choses inexactes comme quoi je suis candidate aux communales. Je suis juste une citoyenne qui s’exprime. C’est comme dire que toutes les personnes qui s’expriment sont manipulées quelque part. Je suppose qu’il dit ça pour dénigrer et décrédibiliser mes propos. Il ne sait pas faire la différence entre une personne citoyenne qui s’exprime et quelqu’un d’un parti politique. C’est mon mari et mon fils qui se présentent. Je trouve qu’il a une conception très machiste par rapport aux femmes. Et puis, dire que je n’aime pas les néerlandophones… C’est une attaque honteuse. J’aurais préféré qu’il entame la conversation plutôt que de fuir. Je crois que c’est quelqu’un qui ne veut pas la confrontation et qui ne veut pas discuter. Il utilise les médias pour dire des choses inintéressantes, bêtes et méchantes. C’est un principe de non-démocratie de ne pas entendre les gens qui ne sont pas d’accord avec lui et ça c’est grave”. 

Sa présence à Berchem-Sainte-Agathe vous a-t-elle étonné ? 

V.O.:Je ne m’y attendais pas. Je me suis dit ‘qu’est-ce qu’il vient faire ici?’ Quand je l’ai vu, je n’ai pas pu me retenir, mon sang n’a fait qu’un tour. C’était tellement naturel. La N-VA et le Vlaams Belang sont présents dans la commune, mais ils ne représentent pas beaucoup de monde. Il est venu soutenir son parti. Ce qui est dangereux, c’est que des francophones risquent de voter pour lui. Certaines personnes sont d’accord avec lui, mais parmi eux certains ne connaissent pas réellement sa politique. J’ai vu des personnes noires prendre des selfies avec lui. Quel est l’intérêt ? Les gens n’osent pas non plus réagir. Moi j’ai pris la parole comme ça, c’est dans mon tempérament. Je voulais interpeller. Après, les gens m’ont dit « Bravo », « Vous êtes courageuse de le faire », mais tout le monde pourrait le faire. Ce n’est pas toujours facile et il faut accepter des commentaires parfois très flamingants et pas très sympathiques, mais cela reste minoritaire”.

Sa réaction vous a-t-elle surprise ? 

V.O.: “Oui. Je pensais vraiment qu’il allait se rapprocher et discuter. Mais après coup, je me suis dit que c’était normal, c’est le personnage qui est comme ça. Il va toujours vous prendre par surprise, mais il ne supporte pas d’être pris sur le fait accompli. Il devrait être à l’écoute et pouvoir répondre aux questions des citoyens mais il n’est pas du tout dans cette philosophie là . Ça fait peur. Ce sont des attitudes dangereuses qui mettent à mal la démocratie. La démocratie, c’est accepter aussi des paroles différentes, des sentiments différents. C’est indigne pour un secrétaire d’État qui est là pour faire des voix de ne pas être à l’écoute sur des thématiques très contestées et dangereuses pour notre vivre ensemble. Au lieu de détruire, il faudrait plutôt construire.” 

Quels ont été les retours des gens autour de vous et dans le quartier? 

V.O.: “C’était vraiment super. Je n’ai eu que des retours positifs. À partir d’un moment, je n’ai même plus compté tellement ils étaient nombreux. Ce qui m’a fait le plus plaisir, c’est les réactions dans la rue. Des mamans marocaines sont venues vers moi en disant ‘nous sommes contentes, vous avez parlé’. Elles étaient heureuses de dire ‘enfin quelqu’un qui ose dire quelque chose’. Pareil pour le pharmacien ou le boucher, tous m’ont fait des commentaires positifs. Pourtant où j’habite, dans le bas de Berchem-Sainte-Agathe, le vivre ensemble n’est pas toujours évident. Ma réaction a redonné le sourire à certaines personnes dans la rue qui se sont dit qu’elles étaient finalement acceptées dans cette commune. Il y avait une empathie superbe et ça m’a donné du baume au cœur et du réconfort. Beaucoup m’ont dit : ‘la prochaine fois, on le fait ensemble’. Après, je ne suis pas encore tombée sur des gens du Vlaams Belang et de la N-VA…”

Êtes-vous une éternelle indignée ?

V.O.: “Éternelle indignée et éternelle révoltée, je dénonce les situations indignes qui attaquent les gens. C’est une humanité que j’ai en moi et je ne peux pas accepter de voir ce que l’on fait au niveau des politiques sociales, de la santé et les retombées que ça a sur les gens. Il y a de plus en plus de pauvreté et d’inégalité. Je pense qu’il faut continuer à dénoncer ça. J’aimerais dire aux gens qu’ils doivent aussi continuer à le faire eux-mêmes. Qu’ils continuent à s’indigner. “

A.VDB – Photo : BX1

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09 octobre 2018 - 18h28
Modifié le 09 octobre 2018 - 22h16