Fusillades, attentat et crise au Parquet de Bruxelles : grand entretien avec Marie-Rose Broucker, nouvelle procureure du Roi ff.
Le 1er avril dernier, la magistrate Marie-Rose Broucker devenait procureure du Roi faisant fonction, la première femme à occuper ce poste à Bruxelles. Un mois plus tard, celle qui dirige désormais le plus grand parquet de Belgique nous partage ses ambitions et sa vision pour une institution “qui reste en crise“.
Entretien : Arnaud Bruckner
L’entretien a lieu dans son nouveau bureau, au sommet du Portalis, le bâtiment qui abrite le Parquet de Bruxelles, face au Palais de Justice. Vue dégagée sur Bruxelles, la capitale qui l’a vue naître il y a quarante-quatre ans. Une ville qui fait face plus que jamais au trafic de drogue, et à la violence du narcotrafic. “La problématique des stupéfiants est une priorité : on y investit beaucoup“, nous confie d’emblée Marie-Rose Broucker, un mois après son entrée en fonction comme procureure du Roi faisant fonction.
“Dès qu’il y a des faits [liés au trafic de drogue], que des auteurs sont pris en flagrant délit, on réagit via la procédure accélérée, ce qui permet d’avoir une réaction immédiate vis-à-vis de ces auteurs, qui doivent donc comparaître devant le tribunal dans un délai très bref de deux mois. Il y a aussi les plus grandes enquêtes, plus intenses, avec plus de moyens qui demandent plus de capacité au niveau du Parquet et de la police, qui mènent à des dossiers avec éventuellement plusieurs détenus et, in fine, à des condamnations lourdes“, explique la magistrate.
Quant aux hotspots, déterminés ces dernières semaines pour y mener des actions ciblées de lutte contre le trafic de stupéfiants, ceux-ci “font l’objet d’une attention particulière au niveau du Parquet. Quand on apprend qu’il s’agit d’un hotspot, on essaie de donner la meilleure réaction, en procédure accélérée notamment“, avec l’objectif final “d’augmenter la sécurité, et de réduire le sentiment d’insécurité des citoyens“.
“Les fusillades sont bien évidemment des dossiers prioritaires, parce qu’elles constituent une atteinte à l’intégrité physique. C’est une priorité à notre niveau, même si ce sont des dossiers chronophages qui demandent beaucoup de temps et d’investissement tant au niveau du Parquet, qu’au niveau des services de police“, explique Marie-Rose Broucker.
De là à submerger le Parquet ? “Le flux de dossiers prioritaires se doit d’être traité en fonction des capacités : on ne sait pas mener cinq dossiers prioritaires en même temps. La section qui traite ces dossiers a été renforcée dernièrement, mais la formation prend un certain temps“.
Sur les diverses volontés politiques de dépénaliser la consommation de certains stupéfiants, ou au contraire d’y appliquer une tolérance zéro, la procureure refuse de réagir, “cela fait partie d’un autre débat“. Mais elle nous confirme, concernant l’idée d’une tolérance zéro, que “comme pour toutes les tolérances zéro, si on n’a pas les moyens pour y donner suite, ce serait un exercice très difficile“.
Attentat d’octobre, six mois après
Si la violence dans la capitale est surtout visibilisée, à l’heure actuelle, par les diverses fusillades liées (ou non) au trafic de drogue, Bruxelles a aussi été marquée par l’attentat du 16 octobre dernier, sur des supporters suédois, abattus dans le quartier Sainctelette. L’attaque avait alors montré divers dysfonctionnements, dont la perte du dossier du terroriste Abdesalem Lassoued : il y a quelques jours, nous apprenions toutefois que le magistrat en question ne sera pas sanctionné disciplinairement, malgré cette erreur “grossière et inacceptable” selon Vincent Van Quickenborne, alors ministre de la Justice.
Si, sur ce point précis, et sur l’enquête en elle-même, Marie-Rose Broucker reste silencieuse (enquête au Conseil supérieur de la Justice oblige), elle nous explique néanmoins que “cet événement dramatique a laissé une impression tenace sur chaque collègue, tant au niveau administratif que juridique ou des criminologues“.
De même, la magistrate évoque le déploiement progressif de l’application digitale Just One, censée apporter de la clarté dans la gestion des dossiers : “Cette nouvelle interface, d’une application que nous utilisons déjà progressivement pour le traitement des dossiers, permettra d’avoir un tableau de bord virtuel. Chaque magistrat pourra suivre l’évolution de la totalité de ses dossiers, sur toute la chaîne de la procédure. Certains ici en utilisent déjà les fonctionnalités principales“.
Des alertes à la bombe qui se multiplient : “a priori sans lien avec la violence globale“
Au cours des derniers mois, Bruxelles a aussi été marquée par plusieurs alertes à la bombe, surtout dans des écoles, mais aussi au Palais de Justice, ou encore dans les institutions européennes.
Si celles-ci n’ont jamais disparu au cours des dernières années, le Parquet note qu’elles sont en augmentation dernièrement : “Nous constatons en effet une hausse des fausses alertes, notamment en milieu scolaire. Mais a priori, selon nous, il n’y a pas de lien direct avec la violence globale : il y a des plaisantins, d’autres qui le font à cause de troubles psychologiques, ou encore certains qui veulent perturber une organisation ou une école pour des raisons personnelles. Il n’y a donc pas vraiment de typologie pour les auteurs de ces infractions“, explique Marie-Rose Broucker, qui note néanmoins que “l’attention médiatique donnée à ces phénomènes peut avoir une influence sur ces personnes“.
Un Parquet toujours en crise ?
Après avoir occupé diverses fonctions au sein du Parquet de Bruxelles (stagiaire judiciaire en 2012, juriste, substitut du Procureur du Roi et porte-parole en 2014, notamment), Marie-Rose Broucker arrive donc à la tête d’une institution qui “n’est pas encore totalement sortie de la crise, même si, en 2023, des mesures structurelles ont été prises pour faire face à la situation problématique à laquelle nous étions confrontés : manque de personnel, manque de magistrats“, explique-t-elle.
Alors que le Parquet alerte, surtout depuis l’attentat d’octobre dernier, sur ces pénuries, “notre cadre a désormais été élargi de 119 magistrats à 124. Nous avons pu engager récemment 15 juristes. On ne peut donc pas dire que l’on se trouve dans la même situation qu’il y a un an, mais je ne pense pas qu’on soit déjà sorti de la crise“, confirme la procureure. “C’est encore un peu tôt : par exemple, la formation des nouveaux juristes prendra encore du temps. L’engagement de nouveaux candidats magistrats est aussi une procédure qui prend du temps, de même que le défi de la digitalisation de la Justice et de notre Parquet“.
Impossible donc, à ce stade, d’estimer une date de sortie de crise, dans le chef de la patronne du Parquet bruxellois… “Je n’oserais pas dire septembre ou octobre, mais j’espère quand même qu’on puisse encore évoluer vers une sortie de crise, même si la situation reste très fragile“, ajoute-t-elle.
Assurer la transition, d’ici à une nomination effective
Si Marie-Rose Broucker occupe cette fonction depuis un mois, celle-ci avait été assumée par intérim depuis trois ans par le néerlandophone Tim De Wolf, après la démission de l’ancien procureur du Roi Jean-Marc Meilleur. Pour des raisons personnelles, Tim De Wolf avait annoncé en février dernier quitter ses fonctions. Sa substitut a donc repris le flambeau, pour une durée encore inconnue pour l’heure.
En effet, de la nomination d’un procureur effectif dépend une modification de la législation actuelle sur l’emploi des langues en matière judiciaire : avalisé par le gouvernement en janvier, ce changement prévoit une fois voté que cette fonction (et celle d’auditeur du travail) soit dévolue au rôle linguistique francophone, tandis que le procureur adjoint devra être néerlandophone.
Marie-Rose Broucker, néerlandophone, ne pourra donc pas se porter candidate pour son propre poste. Interrogée quant à la procédure en elle-même, l’intéressée se refuse à tout commentaire : “Ma tâche actuelle est de reprendre la gestion du Parquet, et de veiller à une bonne transition vers un procureur du Roi qui sera désigné selon la procédure“.
De là à se contenter des affaires courantes ? “Il y a une partie [de mon travail] qui se concentre sur les affaires courantes, mais je continue à mettre des projets en place : veiller au bien-être des collègues, aux investissements, en tenant compte des priorités et des moyens dont on dispose“, nous répond-elle.
Le procureur du Roi, même faisant fonction, prend ses responsabilités, gère le Parquet du mieux qu’il peut. (…) Et le procureur du Roi faisant fonction peut prendre des mesures de crise, pour veiller au bien-être et assurer la qualité du travail.
Reste que, d’ici-là, un Parquet de Bruxelles sans pilote effectif dans l’avion ne semble pas être un problème pour Marie-Rose Broucker : “Non, le procureur du Roi faisant fonction, prend ses responsabilités, gère le Parquet du mieux qu’il peut. Nous avons des objectifs, nous avons lancé des projets. Et l’an dernier, le procureur faisant fonction a pris des mesures de crise pour veiller au bien-être et assurer la qualité du travail.
Même si, de l’aveu de la magistrate, “un procureur du Roi [nommé] a un plan de gestion (…) On ne peut pas négliger cet aspect, mais je pense qu’à partir du moment où l’on reprend la fonction, on fait du mieux qu’on peut“.
À un mois et demi des élections, quel appel au monde politique ?
Pour clôturer notre entretien avec Marie-Rose Broucker, nous lui avons laissé la possibilité de lancer un appel au futur ministre de la Justice, en vue des élections fédérales du 9 juin prochain.
En réponse, la procureure du Roi faisant fonction indique que “le Parquet de Bruxelles étant le plus grand parquet de Belgique, avec plus de 500 collaborateurs, plus de 100 magistrats, plus de 60 juristes, je pense qu’il est important de continuer à investir, afin que nous puissions remplir nos missions : c’est une ambition essentielle vis-à-vis de la population bruxelloise“.
Les explications d’Arnaud Bruckner dans Bonjour Bruxelles du mardi 30 avril