Réforme du chômage: le fédéral reste “sourd et aveugle aux réalités bruxelloises”
Selon le ministre bruxellois Bernard Clerfayt, le kern qui s’est accordé tout récemment sur la réforme du chômage, avec limitation des allocations à deux ans, est resté “sourd et aveugle” aux réalités du terrain dans la capitale. S’il y aura bien une entrée en vigueur progressive, étalée sur quelques mois, c’est “loin” d’être une réponse à la hauteur des enjeux, réagit jeudi le ministre, déçu.
Il s’inquiète surtout pour les personnes sans emploi et sans niveau élevé de qualification, qui pourraient être freinées dans leur volonté d’entamer une formation qualifiante, souvent plus longue que deux ans. Or, à Bruxelles, “près de 60 % des chercheurs d’emploi de longue durée sont peu qualifiés”. Le ministre lui-même avait indiqué mercredi avoir transmis une série de demandes au comité de concertation, craignant entre autres l’impact de la réforme sur les CPAS bruxellois. Ces structures devront, en peu de temps, absorber une charge de travail supplémentaire considérable. On estime jusqu’ici qu’environ un tiers des personnes exclues du chômage se tourneraient vers les CPAS.
Selon le ministre bruxellois, la plupart de ses demandes portées au “codeco” ont été ignorées. Il avait souhaité reporter l’entrée de vigueur de la réforme, prévue au 1er janvier prochain, il n’en sera rien. Une mise en œuvre en plusieurs vagues a été décidée, mais étalée sur quelques mois seulement, ce qu’il juge insuffisant. Bernard Clerfayt souhaitait aussi que l’on prolonge jusqu’à fin juin 2031 le maintien des allocations pour les chercheurs d’emploi qui auraient débuté avant 2027 une formation pour un métier en pénurie, avec une possibilité de prolonger cette “dérogation” d’année en année.
Sur base des informations données jeudi par le cabinet du ministre fédéral de l’Emploi David Clarinval, il a été prévu de ne pas toucher aux personnes inscrites avant fin 2025 dans une formation pour un métier en pénurie. Par la suite, seules les formations pour un métier en pénurie dans la santé et les soins seront concernées par une dérogation. Le ministre bruxellois demandait enfin d’élargir l’accès aux allocations d’insertion pour les jeunes fraîchement sortis des études, et insistait sur la nécessité de compensations financières suffisantes, à la hauteur du transfert de charge du fédéral vers les Régions. Bruxelles et la Wallonie avaient pointé mercredi un possible décalage dans le temps entre le surcoût à charge des CPAS et les suppléments de financement que prévoirait le fédéral: cette question reste ouverte, le ministre Clarinval n’ayant pas communiqué à ce sujet à la suite du kern.
Dans tous les cas, “on a le sentiment d’avoir été écouté mais pas forcément entendu“, résume-t-on jeudi au cabinet Clerfayt. L’adoption de la réforme durant la nuit s’est faite “sans concertation avec les Régions“, dénonce-t-il.
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La limitation des allocations de chômage est “incompréhensible et simpliste”, selon la CSC
La limitation des allocations de chômage telle que prévue dans la loi-programme sur laquelle s’est accordé le conseil des ministres restreint mercredi soir est une décision “incompréhensible et simpliste“, réagit de son côté la CSC. Pour le syndicat chrétien, cela ne tient en effet pas la route du point de vue du contenu, ni d’un point de vue pratique.
La praticabilité de ce “fétiche politique” posera en effet d’énormes problèmes et les demandeurs d’emploi et le marché du travail en paieront le prix fort, prévient la CSC. Un phasage de l’exclusion du chômage a été mis en place entre le 1er janvier et le 1er avril 2026. “Un timing également très serré”, estime l’organisation syndicale, qui se demande si les demandeurs d’emploi, chez qui elle constate déjà une énorme incertitude et une peur, seront informés à temps de leurs droits et s’ils pourront bénéficier du soutien nécessaire.
“Cette décision est incompréhensible“, selon Koen Meesters, le secrétaire national de la CSC qui suit ce dossier. “La plus grosse ‘économie’ de l’accord de gouvernement est supportée par les chômeurs, de manière encore plus importante que ce qui était prévu initialement. On sanctionne les chômeurs, tant au niveau de la durée de protection que de l’allocation proprement dite“, dénonce-t-il.
Avec la dégressivité accrue, les revenus les plus élevés bénéficieront d’une petite augmentation de l’allocation mais celle-ci sera globalement moins élevée pour la majorité des citoyens, prévient encore le responsable de la CSC. “Le raisonnement simpliste consiste à dire qu’en privant les chômeurs de leur allocation, ils chercheront et trouveront plus rapidement un emploi. La responsabilité repose donc entièrement sur le demandeur d’emploi. On n’incrimine pas les employeurs qui ne prévoient pas de travail adapté“, regrette-t-il. Il n’existe aucune preuve scientifique attestant que les personnes privées de leur allocation retourneront plus vite sur le marché de l’emploi, au contraire, appuie encore Koen Meesters. Les demandeurs d’emploi de longue durée sont souvent des personnes souffrant d’un handicap professionnel, de problèmes physiques ou psychiques et elles ont déjà respecté leurs obligations et l’accompagnement qui leur étaient imposés, développe-t-il.
“C’est bien beau de dire qu’on veut mettre plus de personnes au travail mais si on laisse tomber les citoyens, si on ne les accompagne plus dans la recherche d’un emploi, si on ne leur permet plus de suivre une formation plus longue ou si on ne leur offre plus d’opportunités, ils ne trouveront pas d’emploi“, résume le secrétaire général du syndicat chrétien. Ce “fétiche politique” aura en outre des conséquences particulièrement fâcheuses pour les demandeurs d’emploi âgés, pour les personnes suivant une formation à un métier en pénurie et pour les personnes atteintes d’un handicap professionnel, met-il en garde. La CSC a fait part de ces “préoccupations fondamentales” au comité de gestion de l’Office national de l’Emploi (Onem), qui doit rendre un avis sur les décisions du gouvernement. “Les avis des services de l’emploi adressés au gouvernement sont également très critiques quant à la faisabilité de ces décisions“, relève d’ailleurs Koen Meesters. L’accord de gouvernement promettait par ailleurs une “offre d’emploi ultime” à tous les demandeurs étant sur le point de perdre leur allocation. Cette promesse reste toutefois lettre morte, fustige le syndicat chrétien. Ce dernier s’inquiète dès lors des conséquences que cette réforme aura pour les CPAS. Le gouvernement estime en effet qu’un tiers des demandeurs d’emploi qui vont perdre leur allocation ira frapper à la porte de ces CPAS. “Cette proportion est largement sous-estimée mais même si ce n’était pas le cas, ce sont des dizaines de milliers de dossiers qu’il faudra soumettre à une enquête sociale tous les mois, de janvier à avril. De ce fait, les allocataires sociaux risquent de tomber entre les mailles du filet“, prédit la CSC, persuadée que les CPAS crouleront sous le travail supplémentaire
Avec Belga – Photo Belga