Procès des attentats de Bruxelles : le portrait de l’accusé Ali El Haddad Asufi a été dressé ce jeudi

Après de longues heures consacrées à la présentation de tous les éléments découverts sur l’ordinateur portable de la rue Max Roos, à Schaerbeek, les juges d’instruction ont brossé le portrait de l’accusé Ali El Haddad Asufi.

Dossier | Tout savoir sur le procès des attentats de Bruxelles

Ali El Haddad Asufi, 39 ans, est né à Berchem-Sainte-Agathe et a toujours vécu à Bruxelles. C’était un ami proche d’Ibrahim El Bakraoui, l’un des kamikazes de Zaventem, qu’il a continué de fréquenter même après l’incarcération de ce dernier, condamné pour des braquages.

Il a arrêté sa scolarité en 5e secondaire technique, après avoir fréquenté plusieurs établissements scolaires à Schaerbeek, Ixelles ou encore Anderlecht. C’est sur les bancs de l’école qu’il a fait la connaissance de deux personnalités du dossier, l’accusé Smail Farisi et, donc, Ibrahim El Bakraoui, ainsi qu’avec Youssef El Ajmi, qui a été condamné dans le dossier “Paris bis”.

Après une période de chômage, il a débuté professionnellement comme indépendant en tant que chauffeur-livreur. Il sera notamment embauché en 2014 à l’aéroport de Zaventem pour amener jusqu’aux avions les repas préparés dans l’entrepôt.

Ali El Haddad Asufi est musulman sunnite croyant et avait affirmé aux enquêteurs se rendre parfois à la mosquée. Ce Belgo-Marocain présentait un casier judiciaire vierge jusqu’à sa condamnation à 10 ans de prison en France, dans le dossier des attentats du 13 novembre 2015 à Paris.

À Bruxelles, il est défendu par Me Jonathan De Taye.


12h24 : Les déclarations d’El Haddad Asufi sur Ibrahim El Bakraoui ont évolué entre ses auditions

Les déclarations d’Ali El Haddad Asufi quant à la radicalisation d’Ibrahim El Bakraoui, l’un des kamikazes, ont évolué entre ses différentes auditions, a fait remarquer jeudi la juge d’instruction Berta Bernardo Mendez devant la cour d’assises lors de la présentation de cet accusé. Avec le temps, ce dernier a décrit son ami d’enfance comme étant de moins en moins radical.

L’accusé est l’un de ceux à avoir été le plus souvent interrogé, à une vingtaine de reprises, a glissé la juge d’instruction Bernardo Mendez en préambule de la présentation. C’est avec lui que les enquêteurs sont remontés le plus loin dans le temps. Ils ont en effet examiné des faits datant de juin 2015, à l’approche des attentats de Paris. Lors du procès en France, il a d’ailleurs écopé de 10 ans de prison, avec une peine de sécurité pour les deux tiers.

L’homme fait une première apparition dans le dossier des attentats de Bruxelles après que le signal de son GSM a été capté sur une antenne située près de l’aéroport de Zaventem le 22 mars 2016. Ce qui n’est pas anormal vu son emploi pour une société aéroportuaire. Son numéro était cependant déjà connu de la cellule antiterroriste de la police judiciaire fédérale de Bruxelles, car il était en contact avec plusieurs protagonistes du dossier des attentats de Paris mais aussi avec Ibrahim El Bakraoui, qui s’est fait exploser le 22 mars.

Le 24 mars, soit deux jours après les attentats, Ali El Haddad Asufi est arrêté et son domicile perquisitionné. Lors de son audition, il explique qu’il était en train de travailler et se trouvait sur le tarmac lorsque sont survenues les attaques.

Triste et abattu” après ces attaques, il affirme envisager de changer d’emploi. Musulman sunnite croyant et pratiquant, il se dit en désaccord avec l’organisation terroriste État islamique. Il n’était en effet pas d’accord avec le fait de “trancher des gorges, de se battre pour l’Islam” et a dit qu’il ne connaissait personne qui était d’accord avec cette philosophie.

L’accusé explique avoir observé un changement dans le comportement d’Ibrahim El Bakraoui après la sortie de prison de ce dernier pour des braquages, fin 2014-début 2015.

D’un profil de délinquant, il apparaît davantage comme radicalisé, dit l’accusé aux enquêteurs. Le futur kamikaze de l’aéroport affiche ainsi une position favorable à la philosophie de l’organisation terroriste État Islamique (EI), selon les déclarations d’Ali El Haddad Asufi, qui ajoute que, d’après lui, Oussama Atar, le cousin des frères El Bakraoui – et le chef de la cellule terroriste, aux yeux des enquêteurs – pourrait avoir influencé Ibrahim dans ce sens.

Lors de son témoignage devant la cour d’assises, la juge d’instruction Berta Bernardo Mendez a toutefois prévenu que l’accusé allait ensuite tempérer ces propos au cours des auditions futures.

L’homme est libéré le 25 mars, après avoir été entendu. Il est cependant à nouveau arrêté, et son domicile perquisitionné, le 9 juin 2016, sur base de nouveaux éléments.

L’une des raisons est un message audio trouvé dans l’ordinateur portable jeté dans un sac poubelle rue Max Roos, à Schaerbeek, dans lequel le kamikaze Najim Laachraoui déclare qu'”un frère” lui a signalé que des vols “américains, russes et israéliens” étaient prévus le matin du 22 mars. D’après les enquêteurs, cet informateur pourrait être Ali El Haddad Asufi.

De plus, des enquêtes téléphoniques ont révélé qu’il avait aidé Ibrahim El Bakraoui à l’été 2015 après que ce dernier eut été arrêté à la frontière turco-syrienne alors qu’il tentait de rejoindre la Syrie. Les deux hommes ont, par la suite, été vus sur des images de surveillance de la planque de la rue des Casernes à Etterbeek.

Ainsi, dans une seconde audition survenue le 9 juin 2016, et consécutive à la découverte de nouveaux éléments dans l’enquête, Ali El Haddad Asufi nuance ses premiers propos et dit ne pas avoir cité Ibrahim comme l’un de ses proches en lien avec l’État islamique, car ce dernier n’était plus un ami proche, à ses yeux, depuis la période 2015/2016.

Quant à l’affirmation selon laquelle Oussama Atar pourrait être à l’origine de la radicalisation du futur kamikaze, il dit alors qu’il s’agit plutôt d’une intuition.

À l’issue de cette seconde audition, Ali El Haddad Asufi a été placé sous mandat d’arrêt par la juge d’instruction Berta Bernardo Mendez et inculpé de participation aux activités d’un groupe terroriste, d’assassinats dans un contexte terroriste et de tentatives d’assassinats dans un même contexte.


13h46 : Ali El Haddad Asufi a aidé Ibrahim El Bakraoui lors de ses tentatives de départ en Syrie

L’accusé Ali El Haddad Asufi a vraisemblablement apporté son aide à Ibrahim El Bakraoui lors des deux tentatives avortées de ce dernier de partir en Syrie pour rejoindre les rangs de l’État Islamique (EI). C’est ce qu’a expliqué jeudi une enquêtrice de la DS3, la section antiterroriste de la police judiciaire fédérale.

En juin 2015, Ali El Haddad Asufi, un Belgo-Marocain, conduit Ibrahim El Bakraoui à l’aéroport de Schipol aux Pays-Bas. Le futur kamikaze de Zaventem embarque alors dans un vol en direction de la Turquie, avec pour objectif d’ensuite rejoindre la Syrie.

Quelques jours plus tard, Ibrahim El Bakraoui contacte son ami sur Facebook depuis la Turquie, où il est détenu dans une ville frontalière connue pour être un point de passage vers la Syrie. Il demande à Ali El Haddad Asufi de le mettre en contact avec son frère, Khalid El Bakraoui, et lui transmet un numéro turc.

Les deux compères échangeront sur Facebook et par téléphone jusqu’au 14 juillet, jour de l’expulsion d’Ibrahim El Bakraoui de Turquie vers la Belgique.

Trois jours après son retour en Belgique, Ibrahim El Bakraoui, qui se présente désormais sous l’alias de Soufiane El Hajjam, se rend avec Ali El Haddad Asufi dans une agence de voyage afin de réserver un aller-retour pour Athènes pour ce dernier et un aller simple pour le futur kamikaze.

Les deux hommes décollent de Paris le 18 juillet, cela afin qu’Ibrahim ne soit pas arrêté à l’aéroport en Belgique. Il ne respectait en effet plus ses conditions de libération de prison. L

es deux hommes passent une nuit dans un hôtel à Athènes. Ali El Haddad Asufi revient le lendemain, après avoir prolongé la location de la chambre d’hôtel pour une nuit, pour une seule personne.

Le 20 juillet, un billet d’avion Athènes-Venise est réservé dans une agence de voyage en même temps qu’une croisière et un visa pour la Turquie au nom de l’alias d’Ibrahim El Bakraoui. Celui-ci sera toutefois arrêté par la police grecque – possiblement parce qu’il voyage avec des faux papiers – avant de pouvoir prendre son vol. Il ne pourra donc jamais embarquer sur cette croisière ni débarquer lors de l’escale en Turquie comme il l’avait prévu, selon les enquêteurs.

Lors de la perquisition du domicile d’Ali El Haddad Asufi, les enquêteurs ont retrouvé une pochette au nom de l’agence de voyage auprès de laquelle avaient été acheté les vols et la croisière.

L’intéressé a néanmoins toujours nié avoir été celui qui avait effectué l’achat et affirmé que cette pochette se trouvait parmi les déchets qu’il avait évacués d’une voiture de location utilisée pour se rendre au Maroc durant l’été 2015.

Les éléments de l’enquête tendent à prouver que c’est effectivement Khalid El Bakraoui qui était à l’origine de la réservation.

On peut constater que M. Ali El Haddad Asufi a apporté un appui dans les tentatives de départ d’Ibrahim El Bakraoui. Il l’a véhiculé, a voyagé avec lui et l’a aidé à entrer en contact avec son frère“, a résumé la juge d’instruction Berta Bernardo Mendez.

 


18h29 : El Haddad Asufi aurait reçu la clé USB “testament” d’El Bakraoui dans sa boite aux lettres

La clé USB contenant le “testament” d’Ibrahim El Bakraoui, l’un des kamikazes de l’aéroport de Zaventem, a été déposée dans une enveloppe dans la boite aux lettres de Ali El Haddad Asufi, selon les propos de cet accusé lors de ses auditions. C’est ce qu’a expliqué jeudi une enquêtrice de la DR3, la section antiterroriste de la police judiciaire fédérale, devant la cour d’assises de Bruxelles chargée du procès des attentats du 22 mars 2016.

Les enquêteurs ont saisi plusieurs clés USB lors de deux perquisitions effectuées au domicile d’Ali El Haddad Asufi. Parmi celles-ci, seules deux, saisies lors de la seconde perquisition, se sont révélées utiles à l’enquête.  La première, retrouvée dans le véhicule de l’accusé, contenait 196 “anasheeds” (chants religieux, NDLR), dont l’un était utilisé par l’organisation terroriste État Islamique (EI) pour ses vidéos de propagande tandis qu’un autre prônait le djihad armé.

La seconde clé USB intéressante saisie contenait plusieurs fichiers effacés, parmi lesquels 461 photos d’armes à feu venant d’un catalogue en ligne, des fausses fiches de paye au nom d’alias utilisés par les membres de la cellule pour la location des appartements, de la propagande de l’EI en français ou encore des reportages télévisés sur les attentats à Paris. Cette seconde clé USB comptait également six fichiers audios actifs, dont cinq apparaissaient déjà sur le PC retrouvé rue Max Roos à Schaerbeek, où se trouvait l’un des appartements “conspiratifs”.

Le sixième, intitulé “Abou Souleyman pour les frères”, est un enregistrement d’Ibrahim El Bakraoui dans lequel celui-ci évoque les interrogations à propos de son endoctrinement, une évolution dans sa personnalité qu’il nie.

Le futur kamikaze de Zaventem y affirme aussi que le djihad doit être une obligation pour les musulmans et invite ceux qui le feront à le rejoindre au paradis (une mort en martyr permet d’accéder au paradis, NDLR). Enfin, Ibrahim El Bakraoui glorifie le “califat” (territoire sous contrôle de l’EI, NDLR) et cite des cibles éventuelles pour des attaques. “Il n’y a pas de civil, ça n’existe pas“, conclut-il.

L’analyse de cette clé USB a montré que celle-ci avait été connectée au PC Max Roos, notamment le soir du 21 mars 2016, la veille des attentats, et à celui retrouvé rue du Dries. Les enquêteurs s’interrogent donc sur la possibilité pour Ali El Haddad Asufi d’avoir récupéré la clé à ce moment-là. Interrogé sur l’objet, retrouvé dans la poche d’une de ses vestes, l’accusé expliquera qu’il a reçu, dans sa boite aux lettres, une enveloppe présentant l’inscription “Pour maman BIMS” (BIMS étant le surnom d’Ibrahim El Bakraoui, NDLR), entre le 15 et le 20 avril 2016.

Conscient que la clé USB contient probablement des documents incriminants, il ne l’ouvrira que mi-mai dans un cybercafé du centre de Bruxelles. Il écoutera alors tous les fichiers sauf celui intitulé “pour ma mère”, par “respect”, dira-t-il. Ali El Haddad Asufi collera également sur cette clé USB un autocollant numéroté apposé par la police sur une autre clé USB saisie lors de la première perquisition. Celle-ci contenait des vidéos pornographiques et avait donc été considérée comme non pertinente.

L’accusé a aussi confié aux policiers qu’il n’avait aucune idée de la manière dont la clé USB avait fini dans sa boite aux lettres mais que les cousins d’Ibrahim El Bakraoui connaissaient son adresse. Il avouera également n’avoir pas su comment remettre la clé à sa destinataire, la mère du kamikaze.

                            ■ Reportage de Maria Bemba, Frédéric De Henau et Stéphanie Mira

Avec Belga – Dessin : Belga / Jonathan De Cesare