Procès des attentats de Bruxelles : le conducteur du métro confie n’avoir plus aucun goût à la vie

Les dernières auditions des victimes de Brussels Airport ont débuté mercredi matin. Ensuite, ce sera autour des victimes de Maelbeek.

La cour d’assises de Bruxelles entendra, mercredi matin, les dernières victimes des deux attaques commises à Brussels Airport à Zaventem, lors des attentats du 22 mars 2016.

Elle commencera ensuite à entendre, dès la fin de matinée, les victimes de l’attaque commise à la station de métro Maelbeek. Une rescapée de cette dernière explosion a déjà été entendue mardi.

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11h00 : Zaventem, “c’était le début de la fin de celle que j’étais”  (Nathalie Dexpert)

Nathalie Dexpert, Française aujourd’hui quadragénaire, se trouvait dans la zone de récupération des bagages au moment où les bombes ont explosé à l’étage au-dessus d’elle. “Les portes par lesquelles on devait sortir étaient fermées“, “j’ai cru qu’ils nous avaient enfermés en bas” et que le scénario du Bataclan allait se répéter, a-t-elle témoigné.

La témoin aurait dû atterrir à Lille la veille au soir, mais une grève la dirige vers Zaventem. L’avion devait arriver à 08h06, mais s’est posé avec 30 minutes d’avance. Nathalie Dexpert se trouvait donc dans la zone des bagages à 07h58, au moment de l’explosion des deux bombes.

J’ai le souvenir que le plafond s’est ouvert puis refermé. Tout le monde s’est arrêté net.” Au fond d’elle, l’attentat ne fait aucun doute. Immédiatement, elle contacte ses parents qui devaient venir la chercher, ils ne sont heureusement pas à l’heure. En voulant quitter la zone, elle se retrouve face aux portes closes de la douane. “Je pense (maintenant) que c’est l’aéroport qui les a fermées, mais j’ai cru que c’étaient eux, qu’ils nous avaient enfermés en bas“. “Ils vont défoncer les portes, ils vont nous tuer, avec des kalachnikovs. J’ai fait un parallèle monstrueux avec le Bataclan“, a-t-elle raconté à la cour.

Après d’interminables minutes, les portes s’ouvrent et elle est guidée vers le parking. Sur le chemin, c’est la désolation. “Il n’y avait plus de plafond, tout était tombé. Il y avait du verre partout”. Dès son départ de l’aéroport, elle développe des tocs. Sous un pont, elle baisse la tête : “j’ai eu peur des plafonds pendant des années“. Le 22 mars, c’était “le début de la fin“. “La fin de celle que j’étais, de ma vie d’avant.

Maryse Masset travaille à la Stib, elle était de service à la station Arts-Loi le 22 mars vers 09h10. Avec des collègues et des militaires, elle a fait évacuer cette vaste station où se croisent les lignes 1-5 et 2-6, située à quelques centaines de mètres de Maelbeek. Le message appelant, 3-4 minutes après l’explosion du métro, tout le personnel à évacuer les stations est le seul qu’elle a reçu de son employeur le jour des attentats, a-t-elle raconté mercredi en fin de matinée à la cour d’assises de Bruxelles chargée du procès des attentats.


14h00 : Une travailleuse de la Stib s’est sentie “totalement abandonnée”

Maryse Masset travaille à la Stib, elle était de service à la station Arts-Loi le 22 mars vers 09h10. Avec des collègues et des militaires, elle a fait évacuer cette vaste station où se croisent les lignes 1-5 et 2-6, située à quelques centaines de mètres de Maelbeek. Le message appelant, 3-4 minutes après l’explosion du métro, tout le personnel à évacuer les stations est le seul qu’elle a reçu de son employeur le jour des attentats, a-t-elle raconté mercredi en fin de matinée à la cour d’assises de Bruxelles chargée du procès des attentats.

“Il n’y avait eu aucun appel radio avant.” C’est par des navetteurs stressés qu’elle a appris qu’il y avait eu une attaque à l’aéroport. “Une fois que la station a été évacuée, on a mis les balises pour la fermer (…) Mon collègue m’a dit qu’il fallait qu’on aille à Maelbeek, pour voir si on pouvait donner un coup de main“, a-t-elle raconté.

Arrivés sur place, un de leur collègue de la Stib leur a dit de ne pas rentrer, le boulot de la société de transport était fait, et ils devaient s’épargner la vue de l’intérieur de la station. Après être restée auprès des victimes qui commençaient à sortir de la station, les deux collègues d’Arts-Loi sont allés jusqu’à Schuman, où un de leurs collègues – qui devait prendre son service dans l’après-midi – s’est inquiété de leur sort et est venu les chercher pour les ramener à la maison.

Au nom de tous mes collègues, je veux dire qu’on a eu un sentiment d’abandon total. Il n’y a eu aucune communication pour nous dire quoi que ce soit, ce qu’on devait faire. Les collègues de l’après-midi ne savaient même pas s’ils devaient prendre leur service“, a-t-elle dénoncé. Par la suite, son employeur lui a proposé un service psychologique. Mais, les professionnels changeant régulièrement entre les séances, Maryse Masset a préféré arrêter la thérapie. Elle a repris la conduite des métros “trois ou six mois” après les attentats. Mais au bout de trois mois, lors d’un rassemblement sportif, l’amas de supporters bruyants à la station Maelbeek a signé la fin de sa carrière.

“Cela a été un long combat avec le service médical de la Stib. On me disait ‘si tu ne reprends plus la conduite métro, on ne peut pas te garantir un poste”. “Le seul poste que la Stib m’a proposé, c’est de nettoyer les bogies (chariot sur lequel sont fixées les roues d’un métro, NDLR), comme en cas de suicide par exemple. Je trouvais ça très malsain et je ne suis pas la seule à qui on a proposé ça après les attentats.” C’est finalement grâce à la “chaîne de solidarité” des syndicats, qu’elle est toujours à la Stib, comme magasinière à Delta. C’est là que se trouve la rame de métro où s’est fait exploser le kamikaze. “C’est difficile. On a envie que ça se termine et que cette chose ne soit plus là”, a-t-elle ponctué.

Six membres de la famille de Fabienne Vansteenkiste, décédée lors de l’attaque à l’aéroport de Zaventem se sont présentés mercredi matin devant la cour d’assises de Bruxelles chargée du procès des attentats du 22 mars 2016 pour évoquer la mémoire de la disparue et leurs vécus respectifs.


15h00 : Des membres de la famille de Fabienne Vansteenkiste évoquent la disparue et leurs vécus

Le 22 mars, sans nouvelle de Fabienne, la famille se réunit dans la maison de ses parents. “On ne sait pas quoi faire, les numéros d’urgence sonnent dans le vide“, a raconté Thomas Savary, le compagnon de Jesca Van Calster, la fille de la disparue. “On va dans les hôpitaux avec Laurens (le fils de Fabienne Vansteenkiste, NDLR). On montre une photo de Fabienne, mais c’est la panique, soit ils sont perdus, soit ils ne savent pas. Je pensais pouvoir ramener Fabienne en voiture à Jesca, je n’ai pas pu. Vendredi, on a enfin su qu’elle était partie.

Ma fille pensait que sa grand-mère jouait à cache-cache avec les méchants, il a fallu dire aux enfants qu’elle ne reviendrait pas“, a poursuivi le témoin, visiblement ému.

Thomas Savary s’est ensuite exprimé à propos des accusés. “Je ne pardonnerai jamais (…). Ce que je souhaite, c’est qu’on n’oublie pas les gens qui étaient là, à Zaventem, mais qu’on oublie les accusés s’ils sont condamnés.” Un point de vue partagé par sa compagne. “Je ne pardonnerai pas, ils peuvent aller en enfer“, a déclaré Jesca Van Calster.

J’ai dans la tête la punition infligée par Zeus à Atlas, condamné à porter le poids du monde sur ses épaules. Ils (les accusés, NDLR) ont un monde sur leurs épaules qui va les écraser à un moment. Notre sens de l’amour et de la famille sera plus fort que leur égoïsme.”

Je sais que Daesch veut que nous souffrions, que nous pleurions, c’est donc très difficile pour moi de pleurer, car j’ai l’impression de leur donner satisfaction”, a ajouté Philippe Vansteenkiste, le frère de Fabienne. “Je ne sais pas si les accusés ont déjà demandé pardon lors de ce procès, mais s’ils ne l’ont pas fait, il est difficile de leur accorder.” “Après un attentat terroriste, le monde s’écroule“, a poursuivi l’homme. “La dernière chose qu’on demande, c’est que les gens aient pitié de nous, pour moi la dignité est très importante. Pour beaucoup de victimes, la dignité, la mémoire, la vérité et la justice sont les quatre piliers cruciaux pour se reconstruire et sortir de leur position de victimes.

“Il faut continuer à vivre, la vie continue. Il y a les mariages, les communions, mais Fabienne nous manque bien évidemment toujours”, a raconté Jeannine Luypaert, la mère de Fabienne après avoir brièvement raconté son vécu du 22 mars. “Je prenais mon déjeuner et j’entends à la radio qu’il y a eu un attentat à Zaventem.” Elle appelle alors son gendre pour s’assurer que Fabienne n’est pas au travail.

Il me répond que si et qu’il n’arrive pas à la joindre. C’est la minute où mon sang ne fait qu’un tour et, encore aujourd’hui, j’ai du mal avec cette minute-là.” “Elle devait travailler jusqu’à 06h00, mais une de ses collègues était malade et elle l’a donc remplacée jusqu’à 08h00“, a précisé Jesca Van Calster.”C’est triste pour nous, mais je voudrais rencontrer cette collègue pour lui dire qu’il ne faut pas qu’elle se sente coupable.

Laurens Van Calster a également pris la parole pour présenter sa mère comme une personne infiniment gentille et bienveillante, toujours prête à aider les autres. “En général, les ados ont un peu honte de leur mère, mais pas moi. Déjà quand j’étais adolescent, j’étais fier d’elle”, a-t-il expliqué alors que des photos de la disparue étaient projetées sur les écrans de la salle d’audience. Une description partagée par Zora Vansteenkiste, la belle-sœur de Fabienne. “Le monde sera beaucoup plus froid sans elle. Fabienne était toujours prête à aider et incroyablement gentille. Elle nous suggérait toujours de faire quelque chose d’agréable et de profiter de la vie. Le 22 mars a laissé un énorme trou noir.

Et la témoin de conclure en regrettant la manière dont les choses avaient été gérées dans les jours suivants les attentats. “Cela ne changera pas les faits et ne nous rendra pas Fabienne, mais ça aurait rendu la situation ne fusse que d’un iota plus supportable.


16h00 : La conductrice du métro qui venait en sens inverse à celui dans lequel s’est fait exploser le kamikaze à Maelbeek, Cindy Bulinckx, s’est mise en “mode automatique quand elle a “entendu et ressenti un bruit énorme” qui a effacé la station vers laquelle elle avançait

Après un bref moment dans la lune qui s’avèrera salvateur, Mme Bulinckx s’est mise en route depuis Arts-Loi en direction de Maelbeek. “Au moment de mon départ, je voyais mon collègue (le métro à Maelbeek, les stations étant particulièrement proches, NDLR) et deux-trois secondes après, c’est devenu tout noir.”

Immédiatement, elle sait que le choc et le bruit ne sont en rien normaux. “J’ai pris mon talkie pour appeler le dispatching, les mains tremblantes et puis je suis passée en mode automatique”, a-t-elle raconté. Après avoir prévenu ses collègues, dernier contact avant la saturation du réseau, elle est sortie du métro pour couper le courant et fixer les pinces de mise à la terre. Devant elle, à trente mètres, le sol était jonché de débris, de corps, le métro était “ouvert comme un chou-fleur”, il était impossible que sa rame poursuive sa route.

Elle se décide alors à faire évacuer son véhicule, s’assure que ses clients vont bien. Un collègue et son père, également ancien de la Stib, se trouvent dans sa rame et l’aident à faire sortir en sécurité les centaines de passagers. Deux autres collègues dispatcheurs les rejoignent à la fin de l’évacuation, après avoir entendu qui étaient les deux conducteurs concernés, elle et Christian Delhasse, qui témoignera juste à sa suite.

De retour à la surface, à Arts-Loi, le mode automatique s’éteint et Cindy s’effondre. “J’avais très mal à la nuque. Avec l’adrénaline, je ne me suis pas rendu compte que mes vertèbres s’étaient déplacées dans l’explosion”, a-t-elle expliqué, alors qu’elle souffre toujours aujourd’hui d’un manque de mobilité du côté gauche. Ce n’est pas le seul de ses maux. Sept ans plus tard, elle souffre d’insomnies, d’anxiété, de troubles émotionnels, de mémoire, de tension. Elle ne peut plus prendre le métro. “La dernière fois, j’ai essayé entre Delta et Pétillon, c’est deux stations, je suis sortie en vomissant.”

Toujours employée à la Stib, après plusieurs postes testés, elle dit avoir également subi du harcèlement moral de la part de collègues qui ne comprenaient pas ce qu’elle avait vécu. Comme d’autres victimes avant elle, Mme Bulinckx a dénoncé l’attitude des assurances. La sienne a notamment confondu son dossier avec celui d’une autre travailleuse de la Stib, et lui a dit sur base du mauvais qu’elle n’était plus couverte pour accident de travail.


17h00 : Le conducteur du métro confie n’avoir plus aucun goût à la vie

“Quand on a vécu ce que j’ai vécu on a plus l’envie de vivre”, a confié mercredi, Christian Delhasse, le conducteur du métro dans lequel le kamikaze a déclenché sa bombe le 22 mars 2016 à hauteur de la station Maelbeek, devant la cour d’assises de Bruxelles. L’homme, visiblement remué, a également fait part d’un grand sentiment de culpabilité.

Lorsque l’explosion a lieu, vers 09h10, alors que son métro démarre de Maelbeek, Christian Delhasse pense d’abord a une avarie. Un coup d’œil par la fenêtre de la cabine lui confirme qu’il s’agit de tout autre chose. Il s’empare de sa radio et passe un appel réclamant des secours en urgence, toutes les communications seront ensuite coupées. Le conducteur de la Stib se rend alors dans la première voiture pour aider les gens à s’en extirper, la rame étant déjà engagée dans le tunnel, ils n’auront d’autres choix que de sortir par une fenêtre. M. Delhasse se dirige ensuite vers la deuxième voiture, où a eu lieu la détonation, au vu de son état, il décide d’aller en priorité ouvrir les 3e et 4e voitures et de guider leurs occupants vers la sortie.

L’homme revient ensuite vers la voiture détruite. “La visibilité n’était plus que d’un tiers à cause de la poussière”, a-t-il raconté. “À la première porte, j’ai vu un homme avec un trou dans la tête, puis une femme décédée dont le corps brulait, j’ai pris un extincteur pour l’éteindre. La voiture n’était plus qu’un enchevêtrement de parois métallique, de sièges et de membres. J’ai aidé un homme à dégager une barre en métal qui le gênait, j’ai saisi une jambe.” Après avoir apporté son aide à plusieurs personnes, dont une femme qui cherchait son bébé, Christian Delhasse sort de la station, est placé sous oxygène et emmené à l’hôpital. “Lorsque je suis rentré, j’ai dit à ma femme et mes enfants : ‘tout va bien, je ne veux plus jamais en parler. Ils ont respecté mon choix.” Sa femme étant gravement malade, Christian reprend le travail le lendemain. “C’est devenu de plus en plus pénible, j’avais l’impression d’emmener les gens à l’abattoir”, a-t-il expliqué, avant d’ajouter que “le conducteur du métro est responsable de toutes les personnes qu’il transporte, je suis désolé pour toutes les familles des victimes. Je m’en veux, car ces 16 personnes sont montées dans ma rame en toute confiance”.

“Vous n’avez commis aucune faute, vous avez sauvé ceux que ce que vous avez pu”, lui a fait remarquer la présidente de la cour, Laurence Massart. “Ce n’est pas assez”, a répondu le témoin. “Je pensais pouvoir oublier, mais je n’y arrive pas, j’ai des problèmes de mémoire, je ne supporte plus le bruit, je déteste la foule. J’évite les transports en commun, ce qui a fortement impacté ma mobilité, je vis en confinement depuis 2016”, a encore raconté Christian Delhasse. “Je n’ai plus confiance en nos institutions ni en personne, je n’ai plus confiance qu’en les animaux. Je n’attends plus rien de ce monde dans lequel je survis. Plus de but, plus de projet, la vie n’a plus d’intérêt. Je tiens à remercier l’association Life4brussels, sans eux j’aurais depuis longtemps lâché prise.”

“Quand on a vécu ce que j’ai vécu, on a plus l’envie de vivre. J’en suis malade à chaque fois que mes enfants prennent le métro, je ne comprends pas au nom de quoi on peut faire ça, s’attaquer à des enfants, à des innocents…”, a conclu le témoin

► Interview réalisée par Marine Guiet et Nicolas Scheenaerts

avec Belga