Procès des attentats de Bruxelles : victime de barbarie, Christelle Giovannetti restera “témoin de la solidarité”

L’audience de ce lundi a marqué l’ouverture de la dernière semaine consacrée aux témoignages de victimes. Elle a été consacrée aux survivants et aux proches de victimes de l’attaque dans la station de métro Maelbeek.

Notre dossier sur les attentats


09h20 – Audience retardée au Justitia en raison d’un mouvement d’humeur de la police fédérale

Une trentaine de policiers fédéraux chargés d’encadrer le déroulement du procès protestent contre l’éviction de deux de leurs collègues.

Des renforts d’autres polices étaient attendus.

La presse et les avocats étaient tenus à l’écart et ne pouvaient pénétrer à l’intérieur du Justitia.


10h26 – Le Justitia à nouveau accessible au public et à la presse

Les victimes, les journalistes et les avocats ont finalement pu pénétrer dans le bâtiment vers 09h45.

Une trentaine de policiers ont protesté ce matin contre l’éviction de deux collègues du service DAB (Direction de la sécurisation). Des renforts de la zone de la Getevallei (Louvain, Tirlemont) sont arrivés entretemps pour remplacer les policiers absents.

Il faudra expliquer les consignes et il pourrait y avoir un petit retard à l’allumage“, a précisé le délégué permanent du Syndicat national du personnel de police et de sécurité (SNPS), Frédéric Fortunato.

Selon lui, 35 policiers de la DAB se sont portés malades. Les horaires au sein de cette unité sont très exigeants et les policiers y effectuent souvent des semaines à rallonge, expose-t-il.


11h30 – Une tablette, une lettre de la Stib et un livre: Lauriane Visart présentée en trois objets

Les deux sœurs de Lauriane Visart de Bocarmé, décédée le 22 mars 2016 dans l’attentat du métro à Maelbeek, ont porté un message d’humanité devant la cour d’assises de Bruxelles. En trois objets, elles ont remémoré la sociabilité, le destin funeste et l’ouverture d’esprit de leur benjamine.

Quelques jours après le décès de Lauriane, “nous nous sommes rendus à son appartement” à Etterbeek, a évoqué Marine Visart de Bocarmé. “Je me souviens y avoir trouvé trois objets, et ça m’est resté. Le premier, c’était son iPad”, se souvient-elle. Synchronisé avec le téléphone portable de celle qui se rendait ce jour-là à son travail de juriste auprès de la Mutualité socialiste, l’appareil livre les messages “de plus en plus inquiets” envoyés par les amis de Lauriane après l’attentat. “Il y en avait beaucoup”, résume sobrement la sœur de 38 ans.

Le deuxième objet est un courrier de la Stib. La société bruxelloise de transport en commun y invite Lauriane à renouveler son abonnement, qui expirait le 22 mars. “Je vous jure que c’est vrai”, souffle Marine avec un petit rire las, soulignant l’ironie du sort.

Le troisième est un livre : “Le piège Daesh : l’État islamique ou le retour de l’histoire”. Passionnée par la lecture, elle était comme ça, Lauriane : “elle essayait de comprendre”, conclut sa sœur, avant d’offrir la parole à son aînée.

Tout en simplicité, les deux sœurs, émues lors de leur témoignage, ont retrouvé le sourire à la projection d’une photo de leur disparue. Accroupie parmi les jacinthes bleutées, appareil photo à la main, Lauriane jette un regard souriant derrière son épaule.


14h16 – Victime de barbarie, Christelle Giovannetti restera “témoin de la solidarité”

Je porte en moi l’image fantomatique des victimes décédées ce jour-là.” Christelle Giovannetti, survivante de la station de métro Maelbeek, est venue raconter à la cour ses souvenirs.

Il faisait beau. J’avais rangé mon manteau d’hiver et sorti ma veste en cuir brun. En temps normal, je ne prends pas le métro mais, ce jour-là, j’avais une réunion alors j’ai pris le chemin de la station…“, retrace la jeune femme, d’origine française, cheveux bruns et petit ventre rebondi annonçant une prochaine naissance.

Une collègue l’informe qu’il y a eu une explosion à Zaventem. “Sur le quai, je me dis que tout le monde a les yeux rivés sur son téléphone. Les gens sont sans doute en train de se renseigner sur les attentats à l’aéroport.

Christelle grimpe alors dans la première voiture et s’assied près de la fenêtre, dans le sens de la marche. Les portes se ferment, le métro démarre. “Puis c’est la vision d’une énorme boule de feu, d’un courant d’air qui passe à toute allure et le bruit assourdissant d’une explosion“, détaille-t-elle.

Tout est noir, j’ai la bouche remplie de poussière et mon oreille gauche siffle.” Quand elle s’extirpe du wagon, la jeune femme note autour d’elle les regards vides, les départs de feu, les panaches de fumée, le désastre.

Je comprends qu’un kamikaze s’est fait exploser“, lâche-t-elle, lucide. “En marchant, je regarde la voiture 2 (…) je vois les décombres qui bougent. Alors je fais demi-tour et je dis à voix haute: ‘Et merde, j’y vais’.

Je cherche un passage, mais je me retrouve face à des corps sans vie, j’entends des râles et des gémissements et j’aperçois un bout de crâne coincé entre le quai et le métro.” Malgré la terreur qui l’envahit, Christelle tente de venir en aide à plusieurs passagers prisonniers du métro : une dame dont les cheveux brûlent, une autre qui lui tend sa canne, un homme dont le pied est coincé sous les décombres.

Je continuais à chercher les vivants au milieu de cet entrelacs, comme si une araignée avait tissé une grande toile de fer et de débris.Jusqu’à ce qu’on lui crie d’évacuer les lieux, de “dégager“. Elle se demande alors comment marcher sur le sol sans piétiner des êtres humains.

Christelle emprunte l’escalator auquel il manque des marches et se retrouve à l’air libre. “Arrivée sur le trottoir, je m’écroule, je suffoque. Les semelles de mes Converse sont pleines de sang et de chair. Je m’en veux“, poursuit la rescapée.

À l’extérieur, elle trouve deux soutiens dans ce tableau apocalyptique : Pablo, un passant “au fort accent espagnol, guitare sur le dos“, qui l’emmitoufle de sa grosse parka bleue pour lui tenir chaud, et Alex cet étranger devenu compagnon d’attentat.

Ensuite, Christelle est prise en charge à l’hôtel Thon, converti en hôpital de fortune, avant d’être emmenée au CHU Brugmann. “Le soir, on m’a annoncé que je pouvais sortir. Pas de traitement, pas de suivi psychologique.”

Depuis, les sept années qui se sont écoulées ont été un long combat, à la fois personnel, administratif, quotidien et physique. “Ma perte auditive est définitive, je souffre également d’hyperacousie, et les acouphènes ne partiront sans doute jamais“, énumère-t-elle, regrettant les retombées familiales. “Mon mari et mes enfants sont des victimes collatérales de l’ombre. Mon homme a sacrifié sa passion pour la musique et les concerts par respect pour mes angoisses. Quant à mes enfants, je me sens démunie de ne pas les entendre appeler ‘maman’ la nuit.

À l’attention des accusés, elle adresse ce message: “Je porte en moi l’image fantomatique des victimes décédées ce jour-là. Vous m’avez pris mon insouciance et un peu de confiance, mais j’ai encore foi en l’humanité. Et j’ai entamé le chemin de la reconstruction. Peu m’importe le verdict, je fais confiance aux juges et aux jurés qui délibéreront sur cet acte criminel, barbare et ignoble“, termine-t-elle, posant son regard sur les hommes assis dans le box, impassibles.

Je vous souhaite un bel avenir avec le troisième“, a souri la présidente à la future maman. “C’est la vie qui revient.


16h20 – “Je porte ce poids depuis sept ans sur les épaules“, témoigne la survivante Alhem El Khaldi

Alhem El Khaldi, rescapée de l’attentat à la station de métro Maelbeek le 22 mars 2016, est venue raconter lundi à la cour d’assises de Bruxelles, le poids” qu’elle porte “sur les épaules depuis 7 ans.

Je me trouvais dans la troisième voiture du métro quand le cauchemar est arrivé“, se souvient-elle. “Je venais de déposer mon fils à la crèche et je n’étais pas sereine parce qu’on m’avait avertie de l’attentat à Zaventem.” “Quand le métro a redémarré à Maelbeek, un choc énorme a secoué toute la rame, j’ai vu de la fumée…“, poursuit la trentenaire. Des sensations qui remontent à la surface, aujourd’hui encore, “quand je passe devant un barbecue les soirs d’été“.

Prise d’un instinct de survie, la rescapée se jette sous un siège du métro dans un premier réflexe, avant de faire la morte. Alhem parviendra finalement à s’extirper de la rame grâce à l’intervention d’un homme ayant réussi à forcer l’ouverture des portes. “Je crie aux gens de ne pas sortir, que les terroristes sont là et qu’ils vont tous nous tuer“, se remémore-t-elle. Les autres passagers tentent de la rassurer. “Il y avait un soutien énorme” entre les personnes présentes, “de toutes les nationalités“.

Ce que j’ai vu à l’extérieur était effroyable: des morceaux de corps humains parsemaient la station“, poursuit-elle. Alhem voit passer une civière “avec une femme couverte de sang. Son corps tremblait de douleur“. Puis les soubresauts s’arrêtent soudainement. “Elle est morte devant moi et son image me hante encore.” “Personnellement, j’avais des plaies au visage et aux bras“, quelques débris de verre fichés dans la chair.

Sept ans après, le traumatisme est toujours présent et le cortège des séquelles liées à l’attentat mine son quotidien. “La douleur est incessante, je souffre d’une fatigue psychologique et morale, d’acouphènes, de maux de ventre, de stress permanent, d’un côlon irritable lié aux angoisses multiples…“. À ces “horribles” douleurs s’ajoute la peur de la mort qui la tenaille jour et nuit.
Son fils est également victime, par ricochet, des attentats. “Il a des troubles de la concentration, peur de la séparation.

En fin de récit, la rescapée a tenu à adresser un message aux accusés. “J’espère que Dieu leur pardonnera leur acte de barbarie en ce mois de Ramadan (…). Car dans notre noble religion musulmane, il est dit que celui qui tue un être humain tue toute l’humanité. L’ennemi de l’islam est un musulman ignorant. Cela prend tout son sens“, a souligné la trentenaire. Avant de leur pardonner. “Que la paix soit sur vous, en nous, et que Dieu donne de la patience à toutes ces familles qui subissent les conséquences de ces terribles actes“, a-t-elle ponctué.


17h25 – “La main de mon père m’a guidée vers la 4e voiture” (Sara Margoum)

Guidée par la main de (s)on père“, Sara Margoum se trouvait dans la quatrième rame du métro qui a explosé le matin du 22 mars 2016. Cette magasinière dans une grande surface avant les attentats avoue ne plus être la même depuis l’attaque terroriste qui a coûté la vie à 16 personnes ce jour-là. Pétrie de projets inachevés, elle a demandé lundi “pourquoi” aux accusés devant la cour d’assises de Bruxelles.

Usagère régulière du métro, Sara Margoum montait “systématiquement dans le deuxième wagon” à Herrmann-Debroux, “pour changer rapidement à Arts-Loi“. Ce matin-là, peu avant l’heure fatidique de 09h11, elle a “senti une main” qui l’a “fait entrer dans le quatrième wagon. “Cette main, c’était celle de mon père, décédé il y a 26 ans. C’était un sentiment étrange, glaçant.” À Maelbeek, le kamikaze Khalid El Bakraoui a déclenché sa charge explosive dans la deuxième voiture de la rame. “Allongée par terre, asphyxiée par la fumée“, “je me suis dit qu’il ne me restait plus qu’à prononcer la chahada (la profession de foi musulmane, NDLR) avant de mourir“.

La quadragénaire sera blessée quand les portes du wagon se refermeront brutalement sur elle. “À force d’acharnement et d’entraide, les portes se sont finalement ouvertes et j’ai pu atteindre le quai“, se souvient-elle. Une fois dehors, elle tente d’appeler sa soeur aînée, chez qui elle vit. “Pour lui dire que j’étais en vie. C’est à ce moment-là que j’ai compris ce sentiment de main sur mon épaule: c’était le destin, mon heure n’était pas encore venue.” “J’aimais bouger“, se rappelle celle qui se déplace à présent à l’aide d’une béquille ou dans une chaise roulante. “J’aimais l’ambiance qui régnait sur mon lieu de travail: remplir les rayons en riant avec les collègues, échanger avec les clients. J’étais une personne souriante, et ce quels que soient les petits couacs de la vie que nous rencontrons tous.” Cette Sara a désormais “disparu“.

C’est sa soeur, elle-même traumatisée par un braquage en 2006, qui l’aidera à remonter la pente, à ne pas se laisser “enfermer”. C’est encore elle qui l’accompagne à sa reprise du travail. “Il m’a fallu reprendre le métro. Il ne s’est pas arrêté à Maelbeek. Il y avait de grandes bâches noires. J’ai pleuré en pensant aux victimes“, se souvient-elle. Par la suite, la magasinière a déménagé pour ne plus devoir emprunter ce transport sur le chemin du boulot. Victime de lombalgie aiguë, d’une hernie discale, sa vie “d’après” est rythmée par les visites à l’hôpital et autres séances de kiné. “On a fini par m’installer un neurostimulateur. Je prends des dizaines de médicaments par jour“, souffle-t-elle.

Sept ans après l’explosion, “il m’est impossible de faire des choses simples de la vie, comme mon ménage. C’est ma maman de 86 ans qui m’aide, ou mes soeurs quand elles sont disponibles“. En résulte une colère grandissante: “j’avais encore plein de projets à réaliser. L’un d’eux était de devenir mère. Cela s’est envolé le 22 mars 2016” en raison d’une ménopause précoce provoquée par le choc. “C’est la première fois que j’en parle“, confie-t-elle pudiquement, avouant un deuil encore prégnant car elle “n’accepte toujours pas” de ne pouvoir donner la vie un jour. “Au vu des crimes commis au nom de ma religion, je ressens un profond malaise, une profonde tristesse“, a-t-elle lancé. “Au nom de quoi ces attentats ont-ils été commis? Au nom de la religion, d’une idéologie? Si oui, laquelle? Je souhaite comprendre“, a conclu Sara Margoum, en remerciant juste après sa soeur “pour son amour inconditionnel“. “Grâce à elle, j’avance petit à petit.


18h12 – Ibrahim Farisi s’excuse d’avoir bousculé une victime

Par la voix de son avocate Me Berger, l’accusé Ibrahim Farisi a présenté ses excuses, lundi au procès des attentats de Bruxelles, à Sara Margoum, blessée à Maelbeek le 22 mars 2016, pour l’avoir bousculée au début du mois, alors qu’elle assistait à l’audience. La quadragénaire avait dû être évacuée par ambulance à la suite de cet incident.

L’accusé, qui comparait libre, a profité du témoignage de la victime devant la cour d’assises pour revenir sur son départ tapageur de la salle, bousculant au passage Mme Margoum. Dans le fond de la salle, celle-ci avait les jambes levées en raison de ses blessures persistantes depuis l’attentat dans le métro bruxellois. Sa pompe à morphine avait été désactivée au passage d’Ibrahim Farisi et la quadragénaire avait dû être évacuée du Justitia par ambulance.

Je m’excuse, madame, pour le mal que je vous ai fait involontairement. Je n’ai jamais eu l’intention de vous bousculer“, s’est repenti celui qui doit répondre de participation aux activités d’un groupe terroriste. “Il est peut-être trop tôt pour me pardonner“, a-t-il ensuite admis. “J’ai été maladroit, je le reconnais. Encore, je m’excuse. Merci“, a conclu Me Berger à la fin de sa lecture, citant son client.
La victime a répondu qu’elle le pardonnait, en ce mois de ramadan. “Je sais qu’il n’a pas fait exprès“, a souligné Sara Margoum. La présidente de la cour, Laurence Massart, a pour sa part pointé une amélioration notable du comportement de M. Farisi ces derniers temps, alors que l’homme est connu depuis le début du procès pour ses mouvements d’humeur et ses interruptions régulières.

 

■ Reportage de Camille Tang Quynh et Nicolas Scheenaerts avec Timothée Sempels

Avec Belga – Dessin : Belga / Janne Van Woensel Kooy