Plan de rattrapage, nomination du nouveau procureur du Roi : voici les points essentiels de la rentrée judiciaire
Ce vendredi 1er septembre marque la rentrée judiciaire.
Plusieurs points ont été mis en avant :
Augmentation inquiétante des affaires judiciaires non traitées par manque d’enquêteurs
Johan Delmulle a, comme au début de chaque année judiciaire, parcouru les chiffres les plus relevants des statistiques de fonctionnement du parquet général de Bruxelles et des parquets de première instance qui en dépendent : Bruxelles, Brabant wallon, Louvain et Hal-Vilvorde. Le magistrat relève notamment une augmentation de 157 % en cinq ans du nombre d’affaires classées sans suite pour cause de manque de moyens et d’effectifs d’enquête. “Entre 2017 et 2022, il est passé de 2.839 à 7.307 cas“, a-t-il dit, qualifiant cela d’“évolution inquiétante“.
Deux autres observations tracassent le procureur général. Elles sont liées aux enquêtes pour trafic de drogue et à celles pour homicides. “Au cours de ces derniers mois de juillet et août, la chambre des mises en accusation de Bruxelles a reçu les appels de 363 personnes en détention préventive. Un chiffre impressionnant. Un très grand nombre de ces personnes sont en détention préventive dans des dossiers liés à la drogue (principalement la cocaïne)“, a-t-il expliqué.
Par ailleurs, au cours de la même période estivale, dix nouveaux dossiers se sont ajoutés pour une fixation devant la cour d’assises de Bruxelles.
Une réflexion sur le rôle du juge, objet du discours de rentrée à la Cour de Cassation
Le procureur général près la Cour de cassation, André Henkes, a prononcé un discours à l’occasion de la rentrée judiciaire, vendredi matin, devant les membres du parquet général et de la Cour, au palais de justice de Bruxelles. Son allocution, en néerlandais, intitulée “Juges, procureurs, ordre judiciaire, quo vadimus ?“, portait sur le rôle du juge aujourd’hui.
Le procureur général a prononcé un discours traitant essentiellement du juge “activiste“, devenu à la fois acteur politique et manager. “À l’image d’un musicien jouant une pièce écrite par un autre compositeur, le métier de juge se base sur l’interprétation même des textes de loi. De ce fait, “le juge se positionne comme acteur politique parce que acteur de la loi“, a décrit le haut magistrat.
Mais il y a plus, selon lui. Sur la base d’observations concrètes tirées du terrain, André Henkes a exposé en quoi le métier de juger a fondamentalement changé, pourquoi le juge est forcé de se porter sur des terrains “minés” mal ou pas du tout régulés, et quelles sont les multiples préoccupations auxquelles les juges doivent dorénavant faire face.
Pour le procureur général, le juge d’aujourd’hui est aussi un personnage embrigadé dans le “new public management“. La justice a un coût et, ces dernières années, les moyens qui lui sont alloués ont diminué. “Pour gérer le coût de la justice à partir de moyens limités, le législateur a revu de fond en comble les structures et méthodes de gestion de l’organisation judiciaire“, a expliqué André Henkes.
Cette refonte du système implique que les ressources humaines et financières de la justice vont désormais être “contractualisées” et que les juges et procureurs vont devoir “se faire chef d’entreprise“, a-t-il dit. Pour le procureur général près la Cour de Cassation, c’est “un défi non sans dangers“.
Il faut nommer le nouveau procureur du Roi de Bruxelles sans attendre, a insisté Delmulle
Le procureur général de Bruxelles, Johan Delmulle, a demandé vendredi, pour la 3e année consécutive lors de son discours de rentrée judiciaire, que le nouveau procureur du Roi de Bruxelles soit nommé sans attendre. “Il est absolument irresponsable que, depuis près de deux ans et demi, le parquet le plus grand et le plus important du pays fonctionne sans un chef de corps nommé par le Conseil Supérieur de la Justice“, a-t-il déclaré dans son allocution au palais de justice de Bruxelles, face aux membres du parquet général et de la cour d’appel.
Cette non-nomination “montre un manque d’intérêt et presque un mépris de la part de certains partis gouvernementaux pour le fonctionnement de la justice bruxelloise. Bloquer délibérément ce processus ressemble à une forme de négligence politique“, a affirmé le haut magistrat.
“Ma question a été reprise par le ministre de la Justice qui, avec la détermination nécessaire, a tenté de convaincre les autres partis au gouvernement en 2021, 2022 et également en 2023, mais sans résultat“, a-t-il déploré.
Pour rappel, Jean-Marc Meilleur, l’ancien procureur du Roi de Bruxelles, a mis fin à son mandat le 1er avril 2021 pour débuter une nouvelle carrière dans le secteur privé. Depuis, l’ancien chef de corps francophone est remplacé par son adjoint néerlandophone, Tim De Wolf. Mais la législation actuelle sur l’emploi des langues en matière judiciaire ne permet pas à ce dernier d’être nommé à ce poste. Une modification législative est donc nécessaire.
D’autant plus que, le 30 juin 2014, la Cour Constitutionnelle a annulé cet article de la loi qui stipule que le procureur du Roi et l’auditeur du travail de Bruxelles doivent être de langue française avec connaissance approfondie du néerlandais.
Johan Delmulle salue le “plan de rattrapage” face à l’arriéré judiciaire à Bruxelles
Le procureur général de Bruxelles, Johan Delmulle, a également abordé, dans son discours de rentrée judiciaire vendredi, le “plan de rattrapage” qui a été élaboré pour faire diminuer l’arriéré judiciaire de la cour d’appel de Bruxelles. Le 30 juin 2022, le Conseil supérieur de la Justice avait établi un rapport d’audit, faisant des recommandations à la cour, au SPF Justice et au ministère de la Justice pour tenter de réduire le nombre très élevé de dossiers en attente d’être jugés. En janvier 2023, la cour d’appel a, sur cette base, rédigé son propre “plan de rattrapage”.
“Ce plan très réaliste a été fait avec beaucoup de professionnalisme et d’engagement et exprime la ferme volonté de trouver des solutions, en concertation étroite avec tous les partenaires concernés, pour absorber l’arriéré judiciaire historique que la cour subit et fait subir aux justiciables depuis de très nombreuses années“, a déclaré Johan Delmulle.
Ce dernier a rappelé que la cour d’appel de Bruxelles présente certaines spécificités auxquelles les autres cours ne sont pas confrontées, et dont il faut tenir compte. Premièrement, plus de 50 % des dossiers complexes menés par le parquet fédéral sont jugés à Bruxelles, et deuxièmement plus de 30 % des dossiers d’assises sont présidés par un juge issu de la cour d’appel de Bruxelles.
Pour atteindre son objectif, la cour a proposé plusieurs mesures, selon le procureur général. Il est question de créer une chambre correctionnelle supplémentaire qui traitera en priorité les affaires correctionnelles fédérales. Cela nécessitera trois juges supplémentaires. Et il est question de renforcer la chambre des mises en accusation francophone en en créant une seconde, qui traitera en priorité les affaires pénales fédérales. Cela nécessitera un juge supplémentaire.
Certains juges d’instruction “ne jouent pas le jeu de la priorisation des enquêtes”
Le procureur général de Bruxelles, Johan Delmulle, a terminé son discours de rentrée judiciaire, vendredi au palais de justice de Bruxelles, par un mot sur la commission de pondération. Celle-ci, mise en place en 2021, est destinée à hiérarchiser les priorités à donner dans les enquêtes criminelles à Bruxelles, vu le manque de moyens suffisants au sein de la police judiciaire fédérale de Bruxelles. Mais le haut magistrat déplore que certains juges d’instruction ignorent cette nouvelle méthode et mobilisent des enquêteurs spécialisés pour des enquêtes qui ne sont pas prioritaires.
Toute enquête pénale à Bruxelles passe désormais obligatoirement en commission de pondération, laquelle décide si l’enquête est ouverte ou non. La commission se compose des chefs de corps du ministère public et du directeur de la police judiciaire fédérale de Bruxelles.
“Depuis juin 2021, 18 réunions de la commission de pondération ont eu lieu. Au total, 380 dossiers émanant du parquet de Bruxelles, du parquet fédéral, de l’auditorat du travail de Bruxelles et du parquet général de Bruxelles ont été discutés. Il s’agit de dossiers concernant la corruption, le blanchiment d’argent, la fraude fiscale, la fraude à la TVA, les faillites frauduleuses, la fraude et l’abus de confiance, l’abus de biens sociaux, etc. Une note de 1 (priorité) ou de 2 (routine) a été attribuée à 294 dossiers. En revanche, 86 dossiers ont reçu une note de 3 (aucun traitement)“, a expliqué Johan Delmulle.
“Même si le fonctionnement de la commission de pondération a été expliqué en détail aux juges d’instruction bruxellois, il apparaît néanmoins que certains refusent de souscrire à cette priorisation. Ils estiment que les capacités d’investigation financière spécialisées de la police judiciaire fédérale de Bruxelles dans leurs recherches devraient être utilisées simplement parce qu’ils les sollicitent“, a critiqué le procureur général.
Belga – Photo : Belga / Gaëlle Poncelet