L’Ilot veut créer un centre de jour pour aider les femmes sans-abri et mal logées

 Depuis plusieurs années, les femmes sont de plus en plus nombreuses parmi les sans-abris. Seulement, elles vivent cette situation de manière différente que les hommes et auraient besoin d’une structure spécifique. C’est en tout cas la conclusion d’une étude de l’ASBL L’Ilot, présentée en commission aux députés bruxellois ce jeudi.

Quand on parle de sans-abrisme, dans l’inconscient collectif, vient souvent l’image d’un homme vivant dans la rue, faisant la manche et alcoolisé. Rarement, on pensera à une femme vivant dans la rue. Parce qu’elles sont moins visibles, parce que parfois elles sont en situation de ce qu’on appelle le “mal logement”, parce qu’elles préfèrent ne pas avoir l’air d’un clochard pour leur sécurité, errent de foyer en foyer. Cependant, elles sont de plus en plus nombreuses et les confinements successifs ont accentué les violences intrafamiliales, déclencheurs d’une précarité au niveau du logement.

L’ASBL L’Ilot, active depuis de nombreuses années dans l’aide aux sans-abris, a mené une recherche approfondie pour tenter de comprendre le sans-abrisme au féminin et d’en dresser les contours afin de trouver des pistes de solutions qui correspondent mieux à la réalité vécue. Au travers d’entretiens avec des associations travaillant dans l’accueil d’urgence, le droit des femmes, les problématiques de logement, mais aussi les violences intrafamiliales et sexuelles, il a été possible de comprendre les pratiques du secteur. La chercheuse a aussi mis en place des groupes de travail avec des femmes qui ont connu ou qui vivent toujours des situations très précaires afin de déterminer ce qui les a aidés ou ce qui les aurait aidés.

La première chose qui saute aux yeux est l’absence de données objectives. Bruss’Help, l’organisme régional qui coordonne les structures d’accueil pour les sans-abris, compte chaque année les personnes vivant dans la rue. En novembre 2020, les femmes sans-abris étaient 1.110, soit 20,9% de la population recensée. Ce sont 167 femmes de plus qu’en 2018.

Le mal logement

Cependant, les femmes sont rarement directement dans la rue. Dans les femmes recensées par Bruss’Help, beaucoup vivent dans un logement de transit, une structure d’accueil, un hôtel ou un squat. Cependant, il y aussi celles qui doivent se contenter d’un appartement trop petit, trop humide, insalubre parce qu’elles n’ont pas les moyens de se loger correctement ou pas de papier ou qui passent de canapé en canapé chez des amis. C’est ce qu’on appelle le sans-abrisme caché. 

Il est difficile à détecter même pour les professionnels du secteur. Lorsque ces femmes se rendent dans des associations, elles n’en parlent pas forcément et c’est au bout de plusieurs rencontres que l’animatrice se rend compte que la personne n’a pas de lieu de vie fixe. De plus, ces femmes ne se considèrent pas comme des sans-abris, car elles ne se reconnaissent pas dans l’image.

Si elles se retrouvent à vivre dans ces conditions, c’est à cause d’une très grande précarité qui se mêle souvent à des situations de violences. En Belgique, le risque de tomber dans la pauvreté est plus important pour une femme que pour un homme. Les familles monoparentales vivent avec un risque supérieur de 41%. Or, à Bruxelles, on compte 65.000 familles monoparentales dont 86% sont composées de femmes. Quatre enfants sur dix vivent dans une famille en risque de tomber dans la pauvreté.

Les femmes ont de plus faibles revenus, un taux d’emploi moins élevé, une difficulté de travailler pour les femmes ayant une nationalité d’un pays hors Union européenne ou encore une pension beaucoup plus faible pour les femmes. Avec la crise sanitaire, les femmes ont deux fois plus de risque de tomber dans la pauvreté que les hommes. Ajoutons à cela, l’augmentation du prix de l’énergie et de l’eau, et on comprendra à quel point les difficultés s’accumulent.

Une difficulté de se rendre dans les structures d’accueil

Il est aussi compliqué pour les femmes en itinérance de se rendre dans des centres de jour ou des hébergements d’urgence. Avant l’errance, il y a souvent une succession de situations de violences physiques, psychiques ou économiques. Elles ne savent pas où se rendre et les institutions ne sont pas toujours équipées pour les recevoir. Un centre d’urgence mixte n’est pas sécurisant pour une femme. Dans les centres d’accueil, elles se sentent parfois infantilisées. A cela s’ajoute les problèmes de santé mentale qui sont plus importants ou mieux diagnostiqués que chez les hommes.

Les travailleurs du secteur du sans-abrisme ne sont pas toujours formés pour recevoir des femmes qui ont subi des violences sexuelles. Ils ne savent pas non plus comment canaliser le public masculin. Une expérience positive durant les confinements est venue de la réquisition de deux hôtels dédiés aux femmes seules ou avec enfants gérés par le New Samusocial. Elles ont pu s’y sentir en sécurité et entamer un travail de reconstruction plus important. Un suivi personnalisé a été possible. Un hôtel est toujours en activité.

Créer un centre d’accueil uniquement pour les femmes

De cette expérience et grâce aux nombreux témoignages des travailleurs et des “expertes du vécu”, l’Ilot en arrive à la conclusion qu’il faudrait créer un centre d’accueil de jour uniquement pour les femmes. Les structures mixtes ne fonctionnent pas, car elles sont occupées majoritairement par des hommes et la mixité paraît insurmontable pour certaines victimes de violences.

“Nous pensons qu’il faut un lieu où les femmes peuvent se sentir en sécurité et qui ne reproduit pas la violence liée au genre, explique Elodie Blogie, autrice de l’étude. Nous espérons pouvoir ouvrir un centre d’ici la fin de l’année et nous cherchons un bâtiment de 600m² qui pourrait accueillir une cinquantaine de femmes. Nous rêvons d’un espace où il serait possible d’avoir une infirmerie, de l’art-thérapie, des groupes de paroles, un suivi social. Un lieu où elles pourraient dire à demain.”

L’association aimerait trouver directement un lieu définitif, mais comme la demande est urgente, elle n’est pas contre une occupation temporaire. Le but est d’obtenir un agrément comme centre de jour et aussi un financement de la part de la secrétaire d’Etat à l’Egalité des femmes et des hommes, Nawal Ben Hamou (PS).

Pour l’ASBL, il est surtout important que ce lieu tienne compte de certains principes : un lieu sûr pensé par les femmes et pour les femmes, un modèle basé sur l’autonomie des bénéficiaires, établir la sécurité en reconnaissant les violences fondées sur le genre, fournir une formation aux équipes et valoriser l’expérience des femmes.

Des recommandations

Suite à l’étude, l’ïlot recommande également d’améliorer la méthode de recensement de Bruss’Help, de mener une étude qualitative sur le sans-abrisme caché des femmes, de créer des formations spécifiques pour les travailleurs sociaux pour gérer les traumas, mais également les trans ou les personnes non-binaires, de rapprocher les associations travaillant dans le secteur du sans-abrisme et du secteur du droit des femmes ainsi que les organisations travaillant avec les personnes LGBTQIA+ et ayant des activités de prostitution.

Il ne faudra pas non plus négliger les problèmes de santé mentale qui rendent parfois complexe l’accès à des structures d’hébergement ainsi que la question de l’hygiène intime qui devrait être intégrée dans les budgets des centres pour lutter contre la précarité menstruelle.

Vanessa Lhuillier – Photo:Belga

■ Interview d’Élodie Blogie de l’ASBL L’Ilot par Jim Moskovics et Murielle Berck dans Le 12h30