Les travailleurs·ses du sexe ont un contrat de travail, mais “ce qu’on n’a pas pu résoudre avec cette loi, ce sont les stigmates et les stéréotypes”

À partir de ce dimanche, hommes et femmes qui se prostituent auront droit à un contrat de travail, semblable à celui de tout autre salarié. Il s’agit d’une première mondiale. Cette réforme est considérée comme une avancée majeure par l’Union belge des travailleurs·ses du sexe (UTOPSI), bien que la honte et la peur n’ont toujours pas changé de camp.

La loi sur le statut des travailleurs·ses du sexe (TDS), votée le 3 mai dernier, met fin à la situation ambiguë dans laquelle se trouvaient jusqu’ici les prostitués, dont l’activité était tolérée sans être réellement reconnue par la législation. “Cette loi marque une nouvelle étape dans la lutte pour l’égalité des droits des travailleurs·ses du sexe. ”, se réjouit UTOPSI. 

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Concrètement, ce contrat de travail garantit aux travailleurs·ses du sexe une couverture sociale et encadre des éléments tels que la durée du travail et la rémunération. Certaines catégories ne peuvent pas conclure de contrat de travail : les personnes mineures, les étudiants, les flexi-jobs et enfin, les travailleurs occasionnels. “Je pense que la chose la plus importante, c’est que désormais, on rend possible l’accès à la sécurité sociale”, confie Daan Bauwens, porte-parole de l’action d’UTSOPI.

Pour lui, ce droit élimine une grande discrimination entre les travailleurs·ses du sexe et les autres travailleurs, mais il précise : “Cela ne veut pas dire qu’on est d’avis que le travail du sexe est un travail comme un autre, on dit juste qu’il doit être reconnu et traité comme tel par l’Etat pour que les personnes actives puissent bénéficier d’une protection adéquate.”

Droit de refus

Une des principales nouveautés est que les travailleurs·ses auront désormais la possibilité de refuser un client ou un acte sexuel sans craindre d’être licenciés. Ils pourront aussi interrompre ou cesser leur activité à tout moment, et s’ils souhaitent démissionner, ce sera possible sans préavis ni indemnités. “Lors de l’exercice de ce droit de refus, le travailleur a le droit de s’absenter du travail avec maintien de sa rémunération normale. L’employeur ne peut pas sanctionner le travailleur·se exerçant ce droit de refus par l’adoption de mesures défavorables, comme une sanction disciplinaire, un licenciement ou tout acte tentant de mettre fin unilatéralement au contrat de travail. L’exercice du droit de refus ouvre une période de protection de six mois pendant laquelle le travailleur·se du sexe est protégé contre toute mesure défavorable”, selon l’article juridique de la loi en question.

Boutons d’urgence

Pour assurer la sécurité des travailleurs·ses, les employeurs devront répondre à plusieurs exigences, telles que la présence d’une personne de confiance disponible en permanence et l’installation de dispositifs de sécurité, comme des boutons d’urgence dans les lieux de travail. De plus, l’employeur doit veiller à ce que chaque travailleur effectue son travail dans un environnement sûr et hygiénique. La chambre, qui doit être adaptée au travail du sexe, doit avoir une superficie d’au moins 8 m² lorsque deux personnes s’y trouvent en même temps et au moins 9m² pour trois personnes.

Celle-ci doit être équipée de literie et de linge de bain propres, qui doivent être lavés régulièrement, ainsi que de préservatifs, d’un accès à une douche et enfin, d’une quantité suffisante de produits de toilette.

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Le proxénétisme demeure illégal, et les employeurs qui recourent à des travailleurs·ses du sexe en dehors de ce cadre légal s’exposent à des poursuites judiciaires. Cette réforme est le fruit de deux années de concertation entre les ministères du Travail, des Affaires sociales et de la Justice, et les associations de terrain. En effet, pendant la période du Covid, alors que chaque secteur recevait des indemnisations, le seul qui échappait à la règle était le travail du sexe. Face à constat, et avec l’envie que cela ne puisse plus se reproduire, associations et ministères ont travaillé main dans la main pour arriver à la dépénalisation en 2022 et enfin, à un contrat de travail reconnu en 2024.

Toujours tabou

Si cette loi est une bonne chose pour les associations, un certain nombre de travailleurs·ses du sexe n’a pas accès ni à un contrat ni au statut d’indépendant, notamment en raison de leur statut de sans-papiers. UTSOPI entend continuer la sensibilisation, afin de trouver une réponse aux inquiétudes pour les personnes concernées. Au-delà de celles en situation irrégulière, Daan Bauwens évoque aussi, les travailleuses·ses qui ont honte ou peur de faire les démarches pour trouver un employeur. “Ce qu’on n’a pas pu résoudre avec cette loi, ce sont les stigmates et les stéréotypes sur le travail du sexe. Tant que cela reste une activité stigmatisée, la honte et la peur de perdre l’anonymat resteront des obstacles”, regrette-t-il.

Emma Druelles – Photo : Belga