« Dix ans après sa création, Cumuleo a encore beaucoup de boulot »

Cumuleo. Le nom effraie certains, il en ravit d’autres, surtout des journalistes qui n’hésitent jamais à faire un petit tour sur cette plateforme qui grouille d’informations. Car Cumuleo, ce n’est pas le nom d’un super robot imaginé par Georges Lucas pour Star Wars mais bien un site qui, depuis dix ans, tente d’allier transparence et accessibilité en mettant, à disposition de tous, les données publiques des personnalités politiques. Un outil qui connaît un franc succès, mais qui gêne également depuis sa mise en place en 2009. Pour son dixième anniversaire, le papa de Cumuleo, Christophe Van Gheluwe, fait le bilan. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il s’en est passé des choses en une décennie.

Rien ne prédestinait ce web designer de formation à consacrer près de 14 heures par jour à farfouiller dans les sites des administrations publiques à la recherche d’informations qui, en principe, sont accessibles à tous.

L’idée est née en 2005 lorsque Christophe Van Gheluwe s’est rendu compte qu’une loi, datant de 1995 et soumettant le monde politique à plus de transparence, existait mais n’était appliquée que depuis peu. “Cette loi est une très bonne chose d’un point de vue démocratique – et toutes les démocraties n’ont pas cette même obligation – mais il a fallu attendre dix ans pour qu’elle soit d’application. En 2005, j’ai commencé à creuser pour avoir quelques informations sur les déclarations des mandats. Des infos disponibles dans le Moniteur Belge, mais j’ai passé presque deux heures sur le site, ce qui est vraiment interpellant ! En fait, l’obligation de transparence est respectée mais l’accessibilité, c’est autre chose. Et lorsque j’ai contacté certaines institutions pour confirmer mes recherches, la réticence de certaines structures m’a fait réagir. C’est là que l’idée de Cumuleo a commencé à se mettre en place et le projet est né le 14 décembre 2009. Le succès était tel que notre serveur n’a pas tenu le coup ce jour-là. C’est dire à quel point le fait de vulgariser toutes ces données était nécessaire pour les citoyens”.

Des informations qui ont également permis d’alimenter la presse lors des différents scandales qui ont animé la vie politique de notre pays.

Mais pour Christophe Van Gheluwe, ce n’est pas l’envie de mettre en lumière un quelconque scandale qui est la base de ce projet. “Nous ne voulons taper sur personne et, contrairement à ce que disent certains critiques, il n’y a pas de volonté de nuire au monde politique. Je ne sais pas si on m’aime ou me déteste dans cette sphère, mais je ne fais pas ça pour être aimé. Transparence et accessibilité de l’info sont la priorité de Cumuleo. Ça ne plaît pas à tout le monde, certes, mais rappelons aussi que toutes les personnalités politiques ne sont pas concernées par les mauvaises pratiques. Beaucoup respectent scrupuleusement les règles, tout parti confondu”.

“Le système peut se montrer réticent à respecter les règles”

Lorsque Christophe Van Gheluwe a démarré ces activités, Cumuleo publiait surtout les déclarations de mandat des personnalités politiques du pays.

À Bruxelles, en Flandre et en Wallonie, tout le monde est passé au crible.

Pas question de publier ces données à l’état brut. C’est donc un véritable travail de vulgarisation entrepris par l’homme, seul. Une démarche citoyenne et bénévole qui prend du temps mais qui lui permet surtout d’ouvrir les yeux sur la réalité administrative belge très complexe. “Les infos sont là, quelque part, mais il faut les trouver et les décoder avant de les publier. Puis j’ai été confronté à différents freins pour tenter d’entraver mes investigations. Et je me dis que cette marmite administrative très complexe favorise en fait pas mal de personnes, surtout certains qu’on peut qualifier de récidivistes sur le non-respect des règles de transparence”. 

Une situation qui aurait pu faire fuir Christophe Van Gheluwe mais qui n’a fait que le pousser à orienter ses travaux sur la question de la transparence et faire du site un outil de promotion en la matière.

Une thématique qui s’est d’ailleurs invitée dans les débats politiques, notamment suite à de nombreux scandales alliant cumul de mandats et manque de transparence. Au cœur des discussions : l’éthique. “Et elle est à un très bas niveau en Belgique, c’est indéniable”.

Source Cumuleo

“Publifin a vraiment permis de démontrer tout l’intérêt de Cumuleo”

Parmi les “grands moments” de Cumuleo, il y a évidemment l’affaire Publifin, qui a éclatée en décembre 2016, secouant le monde politique wallon mais pas seulement.

“Six mois avant que l’affaire n’éclate médiatiquement, nous avions lancé, sur Cumuleo, un cadastre des rémunérations. Et les montants que nous avons publiés ont clairement permis de démontrer qu’il y avait quelques problèmes dans ce dossier. Publifin a vraiment permis de mettre en avant tout l’intérêt de Cumuleo. Mais le plus important, c’est que la notion d’éthique et de transparence en politique – qui ne semblait pas couler de source pour tout le monde – devenait fondamentale. Et c’est clairement là notre plus belle victoire”.

À Bruxelles, c’est le scandale du Samusocial qui a ébranlé une partie du monde politique local, notamment le PS bruxellois. Et là aussi, Cumuleo a joué un rôle important, comme le rappelle Christophe Van Gheluwe. C’est une assistante parlementaire Ecolo qui est tombée sur des informations sur le site qui l’ont poussée à réagir et creuser ce qui se cachait derrière ces rémunérations et les montants astronomiques qui ont été chiffrés”.

Des politiques usent donc également de cette plateforme. Rien de gênant pour le père de Cumuleo? “ Je ne travaille pour aucun parti, je fais ça au nom de la transparence et pour l’accès à l’information pour tous. Et vu ce que je vois au quotidien, je ne suis pas près de m’engager pour un parti politique. Mes objectifs sont ailleurs. Je ne gagne même pas d’argent avec ces activités, sauf une somme symbolique grâce au groupe ‘’Les Amis de Cumuleo’’, mais cela permet surtout de couvrir certains frais, pas de m’enrichir, certainement pas.” 

Dix ans après son lancement, Cumuleo est toujours très prisé et travaille en partenariat avec un autre site aux mêmes objectifs, Transparencia.

Le ton employé par les membres de Transparencia n’est pas très apprécié, mais Cumuleo estime que “les pressions et les intimidations qui sont nombreuses, ne laisse pas toujours de marbre”. 

“J’ai consacré énormément de temps et d’énergie à tout simplement faire en sorte que cette transparence, inscrite dans notre Constitution, soit de mise. Et c’est assez effrayant de constater combien les freins et les obstacles sont nombreux et combien le système peut se montrer réticent à respecter les règles. La situation est aberrante dans une démocratie comme la Belgique. Le plus grand mérite que l’on peut attribuer à Cumuleo, c’est d’avoir permis de mettre en avant que la transparence dans la sphère politique est une nécessité et même une obligation constitutionnelle. Force est de constater qu’elle n’est pas toujours respectée en Belgique. Dix ans après sa création, Cumuleo a encore beaucoup de boulot”.

Maryam Benayad – Photo: Cumuleo

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17 décembre 2019 - 17h31
Modifié le 22 janvier 2020 - 16h11