Les défis de Rajae Maouane : “On est déjà puni”
Pendant une semaine, BX1 vous propose une série d’entretiens avec le ministre-président de la Région bruxelloise et les présidents de partis francophones. Comment ont-ils vécu cet été marqué par le Covid 19, les inondations en Wallonie, le changement de régime en Afghanistan ? Comment appréhendent-ils la rentrée et ses grands enjeux politiques, sanitaires, institutionnels ? Aujourd’hui Rajae Maouane, co-présidente d’Ecolo.
C’est une adresse qui n’est pas encore très connue : la rue Van Orley, entre la petite ceinture et la place des Barricades. C’est là que se trouve désormais le siège commun des partis Ecolo et Groen. Les deux partis s’y sont installés juste avant le début de la crise du Covid. Des locaux modernes, fonctionnels, lumineux où l’on parle tantôt néerlandais, tantôt français. Mardi 24 août, Rajae Maouane est installée dans un couloir qui longe les salles de réunions. Sur les étagères, des livres sur l’écologie politique et des plantes vertes. Dans son discours, une conviction martelée : pour le parti, comme pour elle à titre personnel, la priorité de la rentrée sera la lutte contre le dérèglement climatique.
“Ça a été un été très marquant avec des éléments perturbants, qui va laisser des traces. Quand on voit l’actualité en Afghanistan, après 20 ans d’occupation, on a le sentiment d’un immense gâchis. Quand on regarde plus près de chez nous les inondations, on voit un très gros enjeu de dérèglement climatique. Il faut vraiment prendre des mesures concrètes et ambitieuses face à ce genre d’événements qui risquent de se reproduire malheureusement.
Le dérèglement climatique, on le connaissait. Le rapport du GIEC est encore plus alarmant que les précédents, mais c’est important de ne pas tomber dans l’angoisse ou la culpabilisation. On a les outils en main pour lutter. On en a l’ambition aussi. Nous sommes dans différents gouvernements en Belgique et ce sont les accords les plus verts qui ont été signés. A Bruxelles, on a l’avènement d’une loi climat qui avait été demandée par les manifestations de 2019.”
Ecolo défend-t-il une “écologie punitive” ?
“J’en ai marre de ce discours sur l’écologie punitive. Nous sommes déjà puni! On voit les conséquences des inondations, les incendies. Le dérèglement climatique a fait une entrée fracassante dans le quotidien des gens. Ça, c’est la vraie punition.
Il faut un peu de courage. C’est le chemin choisi par le gouvernement bruxellois en investissant massivement dans les transports en commun, les pistes cyclables. C’est la marche de l’histoire et ce que font toutes les grandes villes comme Berlin, Paris, Amsterdam … On étoffe le choix en matière de mobilité pour diminuer la place des énergies fossiles.
Il faut un peu de courage politique pour prendre des décisions. Tout le monde a pris conscience de cette nécessité. Ce ne sera pas forcément facile mais c’est nécessaire. Prenez la place de la nature en ville par exemple. Quand on investit dans la nature, qu’on fait le choix de la nature, on se protège. Elle peut servir de régulateur thermique, de protection naturelle contre les inondations. Les épisodes que nous avons connus cet été, vont se reproduire. En Espagne, j’avais des amis qui étaient sous 48 degrés, c’est impressionnant. En Belgique, les inondations sont des éléments marquants, mais on a les moyens. “
Smartmove, toujours dans les cartons d’Ecolo
Dans un entretien précédent, Rudi Vervoort avait indiqué que réaliser le projet de taxe kilométrique intelligente ne serait pas facile. La co-présidente d’Ecolo est moins pessimiste mais elle souligne le besoin de concertation.
“Le conseil d’Etat doit rendre son avis dans les semaines qui viennent. C’est le type de projet qui est important pour changer les habitudes de comportement et lutter contre le dérèglement climatique. C’est clair que ce n’est pas facile. Il faut de la concertation intra-bruxelloise et avec les autres Régions, Flandre et Wallonie. Bruxelles ne peut pas avancer toute seule, on fait partie d’un état fédéral et on y tient. Le dossier sur la table est soumis à amendement, on ne passera pas en force sans nos partenaires de gouvernement. La concertation est le maître-mot. Ça peut ne pas aboutir pendant cette législature, mais ça peut aussi avoir lieu.
Alain Maron et la vaccination
Le ministre bruxellois de la Santé a fait l’objet de nombreuses critiques ces dernières semaines après des chiffres décevants sur la vaccination en Région bruxelloise. Sa co-présidente le défend sans hésitation.
“On est très content qu’Alain Maron ait la vaccination à Bruxelles. C’est un gros enjeu en général et à Bruxelles. Le ministre fédéral de la Santé, ce n’est pas un écologiste mais un socialiste, a dit « Alain Maron fait du très bon travail, il fait tout ce qui est possible et imaginable pour faire progresser la vaccination à Bruxelles ». Alain Maron et tout le gouvernement sont très volontaristes, mais force est de constater qu’on a un problème à Bruxelles qui ne progresse pas aussi bien que dans les autres Régions. On ne peut pas dire que les centres de vaccination n’ont pas fonctionné. Ils ont très bien fonctionné, je m’y suis faite vaccinée, j’y ai accompagné mes parents et d’autres connaissances. A notre échelle, on peut tous être des ambassadeurs de la vaccination. A la rentrée, plein de choses seront mise en place : la vaccination aux abords et dans les écoles, le vacci-bus qui sillonne les communes. L’initiative à Molenbeek de la bourgmestre Catherine Moureaux de proposer la vaccination aux abords du marché est une bonne façon de faire. Il faut délocaliser et décentraliser les exercices de vaccination.”
Si ça ne marche pas, on applique le pass sanitaire comme en France ?
“Il faut surveiller la situation de très près. Je vois que la France, l’Italie utilisent le pass ou se posent la question. Mais en attendant, il faut continuer à convaincre, continuer à faire de la pédagogie pour faire progresser la vaccination. On continuera à être attentif car la situation est préoccupante.”
Les effets “long terme” de la crise sanitaire
“C’est clair que cela a impacté notre vie. Moi, je fais beaucoup moins de câlins ce qui est dommage. Pour le moment à Bruxelles, on doit continuer à rester attentifs avec les gestes barrière, les contrôles au retour des vacances, d’aller se faire tester si on ne sent pas bien. On espère vraiment que la rentrée pourra bien se passer. “
Une réforme de l’Etat avec les citoyens
On termine l’entretien en parlant des réformes institutionnelles. Avec une première question: croyez-vous à une Belgique à 4 Régions ?
“Je crois à la Belgique d’abord. C’est important de le dire je crois. La Belgique, on y tient et le sens de cette coalition Vivaldi, c’était de donner un avenir au pays. Je ne suis sûre qu’une réforme de l’Etat soit la plus grande priorité à l’heure actuelle. Mais ce qui est important, et que nous avons demandé et obtenu dans l’accord de gouvernement, c’est qu’elle ne se fasse pas sans les citoyens. C’est terminé cette image de réforme de l’Etat avec des présidents de parti enfermés dans un château. Il faut vraiment qu’on puisse associer de manière très concrète les citoyens et citoyennes à la réflexion « comment ils et elles voient la Belgique de demain ». Notre Belgique, c’est notre bien à tous.
Pour les écologistes, une consultation citoyenne ce n’est pas cosmétique. Nous avons de très hauts standards en terme de consultation citoyenne. Juste un site internet qui récolte des avis, ce n’est pas suffisant pour nous. Sur une matière aussi compliquée, on doit pouvoir faire appel à des experts, à des académiques pour expliquer les différents concepts et que les citoyens soient réellement impliqués. C’est comme cela qu’on réussira à réformer le pays, en associant la population.”
On repose notre question sur la Belgique à 4. Rajae Maouane restera volontairement nébuleuse.
“J’ai une vision, mais je me garderai de vous la donner. On est en plein consultation entre écologistes. On y réfléchit à l’intérieur d’Ecolo et avec Groen. Ce qui est clair, c’est qu’il y a un lien entre les différentes Régions. Pendant les inondations, énormément de Flamands et de Bruxellois sont allés aider les sinistrés wallons. Il y a aussi un lien naturel entre les Bruxellois francophones et les Wallons, et entre les Bruxellois néerlandophones et les Flamands.
Cette réforme de l’Etat, on doit l’attaquer sans tabou. Sur la place de la Fédération Wallonie-Bruxelles, c’est une question qu’on doit se poser entre francophones. Ce n’est pas exclu qu’elle puisse disparaître. Ce n’est pas exclu qu’elle continue à exister.”
Fabrice Grosfilley