L’éditorial de Fabrice Grosfilley : justice, police, une régionalisation larvée ?

Sommes-nous en train d’assister à une régionalisation larvée des compétences de la sécurité et de la justice ? C’est la question posée vendredi matin dans “Bonjour Bruxelles” par Rudi Vervoort. Question qu’il a également évoquée hier midi sur le plateau de RTL. Le ministre-président Bruxellois voit dans le désinvestissement de l’État fédéral en région bruxelloise une forme de cynisme qui consiste à faire des économies sur le dos de ses compétences régaliennes, et à laisser les communes et les régions se débrouiller toutes seules pour assumer à sa place des compétences qui ne sont pas les leurs. Pire, pointe le ministre-président, on laisse le cadre de la police judiciaire de Bruxelles à moitié vide alors que l’on redéploie des effectifs à Anvers ou à l’aéroport de Bruxelles. L’enjeu :  une forme de régionalisation de fait de la police et de la justice, affirme le socialiste qui veut attirer l’attention des autres leaders politiques francophones.

Rudi Vervoort a-t-il raison ou bien est-il en train de prêter au milieu politique flamand des intentions qui ne sont pas les siennes ? On n’en tranchera pas la question dans cet éditorial de manière définitive. Parmi les données objectives qui pourraient donner raison à Rudi Vervoort il y a effectivement le manque de policiers en région bruxelloise, que ce soit à la police judiciaire, à la police des chemins de fer, chargé de la sécurité dans les gares SNCB et les stations de métro, mais aussi dans les zones de police locales. L’absence aussi de procureur du Roi et un cadre de magistrat qui est loin d’être rempli.  Ce constat de carence, et peut-être même de négligence, de la part du fédéral, signifie-t-il qu’il y ait un plan caché qui vise à affaiblir Bruxelles ? Pas sûr, même ce lundi matin, François De Smet donnait raison au ministre-président en évoquant un plan “consistant à rendre Bruxelles de plus en plus difficilement gouvernable pour ensuite pouvoir s’en plaindre”.

La réalité est peut-être plus simple et moins machiavélique. Le niveau fédéral souhaite à faire des économies, un peu sous cette législature-ci et beaucoup pendant la précédente, et comme la région bruxelloise est la plus petite du pays, qu’aucun membre du kern, ce conseil retreint où se prennent les décisions les plus importantes, n’est bruxellois, qu’aucun président de parti au sein de la majorité Vivaldi ne provient de la capitale (à l’exception de Sammy Mahdi, mais il a choisi de s’installer à Vilvorde)   et au final c’est donc bien la Région Bruxelloise qui est la moins bien défendue lorsque arrivent les arbitrages budgétaires

On pourra nuancer ce constat en rappelant à Rudi Vervoort qu’il appartient à un parti qui pèse théoriquement lourd dans la majorité fédérale, le premier parti de la coalition, qu’il est donc théoriquement en mesure de peser dans la balance et de défendre les intérêts bruxellois, sauf à considérer que les camarades wallons et bruxellois ne se parlent plus ou roulent chacun pour soi. Et on peut aussi évidement y voir une tentative de transformer en débat communautaire un problème de gestion de la sécurité, une forme de dérivatif qui permettrait de s’exonérer de ses propres responsabilités. Faire diversion pour éviter de reconnaitre ses propres manquements.

Pour compliquer l’équation, vous noterez une variante de la régionalisation larvée, très présente dans le débat : l’affirmation régulière selon laquelle la région bruxelloise souffrirait d’institution inadaptée. Avec trop de communes, trop de zones de police, un échelon régional et un échelon communal qui se feraient parfois concurrence ou qui seraient redondants. Cette critique, on l’entend très souvent coté néerlandophone et parfois aussi du côté francophone. Il n’est évidemment pas interdit de réfléchir à l’architecture institutionnelle de la région bruxelloise. On rappellera quand même que les communes bruxelloises sont parmi les plus importantes du pays (Bruxelles, Schaerbeek et Anderlecht sont dans le top 10, Molenbeek est à la 11e place). Que les fusionner conduira à la création de maxi-communes qui risquent, par leurs tailles, de s’éloigner du citoyen. Que les bourgmestres, tous partis confondus, disent tous qu’ils y sont opposés. Et surtout que la conférence des bourgmestres est aujourd’hui devenu une instance qui compte en Région Bruxelloise. La Covid-19, la mobilité, la sécurité, la propreté :  plus rien ne se décide sans que les bourgmestres y soient réellement associés. Dire que communs et gouvernement régional n’agiraient pas de concert, c’est ne pas vraiment regarder ce qui s’est passé à Bruxelles ces dernières années.

Reste que la tentation de faire la leçon aux bruxellois est grande. Et que du côté flamand, l’idée que la Région Bruxelloise n’est pas et ne sera jamais une région comme les autres est encore bien vivante. Quand Bart De Wever explique ce weekend encore que son but reste le confédéralisme et quand on voit à quel point il tente d’amener les régionalistes wallons dans ce projet les Bruxellois (enfin, ceux qui tiennent à l’autonomie de leur région) se doivent de rester sur leur garde. En lançant un signal d’alerte mode orange clignotant, le ministre-président de la Région Bruxelloise est dans son rôle.

Fabrice Grosfilley