L’éditorial de Fabrice Grosfilley : éducation et religion
Quelle est la place de la religion dans les affaires de la Cité ? Cette question se repose avec acuité ces derniers jours à Bruxelles. Parce que nous venons d’un monde où la religion a été très présente dans les affaires publiques, mais qu’elle l’est aujourd’hui de moins en moins. C’est vrai pour la Belgique et plus largement pour l’ensemble de l’Union Européenne. Parce que nous vivons aussi dans une ville où la diversité religieuse est un fait. Un fait, cela s’impose à tous. Nous vivons donc dans une société historiquement marquée par le catholicisme, religion qui a aujourd’hui beaucoup perdu de son influence, alors que d’autres courants de pensées, la laïcité, l’islam les mouvements évangéliques sont aujourd’hui très présents en Région Bruxelloise.
Comment assurer la cohésion et le vire-ensemble dans ce contexte, comment s’assurer que le fait religieux n’interfère pas avec la gestion politique et que chacun puisse trouver sa place et se sentir chez lui sans empiéter sur les convictions philosophiques du voisin, c’est désormais toute la question. Elle est particulièrement sensible et risque de le devenir encore plus dans un futur proche.
Premier débat : le port du foulard et des autres signes convictionnels. Avec hier soir la nomination de Saliha Raiss au poste d’échevine dans la commune de Molenbeek-Saint-Jean. Vote à bulletin secret, 20 voix , 16 voix contre, et un partenaire de majorité, le MR, qui s’opposait à cette nomination. Ce débat sur le port du foulard est récurrent. D’un coté, ceux qui estiment que pour représenter l’autorité de l’État et sa neutralité, il faut s’abstenir de tout signe trahissant une conviction ou une adhésion à une religion. De l’autre, ceux qui estiment que seuls comptent les actes et pas les apparences. Qu’on peut accomplir sa tâche quelque soit la manière dont on s’habille et se couvre, ou pas, la tête. Il y a des arguments respectables dans les deux positons. Il est important de les écouter, d’essayer de comprendre les positons de l’autre et de ne pas s’enfermer dans une guerre de slogans qui tournent parfois à l’hystérie. Il est aussi important d’entendre ce que disent les femmes concernées, parce que les motivations qui aboutissent au port du foulard peuvent varier d’une femme à l’autre. Il est également très important de comprendre qu’on ne parle pas “du foulard”, mais de celles qui le portent. Des femmes qui ont les mêmes droits que tous les autres citoyens, dont celui de s’intégrer et s’épanouir par le travail, et surtout qui méritent le respect lorsqu’on parle de leur futur et de leur place dans la société bruxelloise.
Second débat, qui est en train de s’envenimer : les cours d’Evras, l’éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle. Les milieux conservateurs ne veulent pas de ces cours. Et depuis plusieurs semaines ils ont lancé une campagne de pression et de désinformation pour essayer d’empêcher leur mise en place. Il y donc beaucoup d’informations fausses qui circulent à son sujet. Non, on ne va pas inciter les enfants ou les adolescents à fréquenter les sites pornographiques ou à s’envoyer des photos dénudées. Non, on ne va pas leur “conseiller” de devenir homosexuels ou d’adopter telle ou telle pratique. On va en revanche, ça c’est vrai, permettre aux enfants et aux adolescents de poser des questions et mettre à leur disposition des éducateurs et éducatrices susceptibles de leur répondre sans tabou. Ces cours d’Evras sont fondamentaux. Parce qu’ils ont notamment pour objectif d’aider les jeunes à comprendre le fonctionnement de leur corps, d’accepter qui ils sont. De pouvoir vivre leur sexualité de demain sans un regard moralisateur et castrateur. Et surtout, ces cours ont comme ambition d’apprendre aux jeunes à respecter le corps de l’autre, d’inculquer l’idée qu’une relation sexuelle doit être basée sur le consentement. Leur apprendre aussi à respecter les différences : la liberté pour chacun de choisir d’aimer une fille, ou un garçon, les deux, ou personne.
Hier, une série d’associations musulmanes se sont dit en “totale opposition” avec ce projet. Elles ont parfaitement le droit d’exprimer leur opinion, comme les chrétiens intégristes et comme d’autres groupes conservateurs l’ont d’ailleurs déjà fait. Mais on doit rappeler trois ou quatre petites choses.
1. Le fonctionnement du corps humains c’est de la science. Les bébés ne naissent pas dans les roses, mais à la suite d’une relation sexuelle. On doit l’apprendre à tous les élèves. Que leurs parents soient musulmans, catholiques intégristes, ou bouddhistes.
2. En Belgique chacun a le droit de disposer de son corps comme il l’entend et ne doit pas se soumettre à la contrainte. Que ses parents soient animistes, évangélistes ou bouffeurs de curés.
3. Les femmes et les hommes ont le droit à la contraception. Que leurs parents soient juifs, protestants ou adorateurs des ours polaires.
4. L’homosexualité n’est ni un délit ni une honte. L’homophobie par contre, comme la xénophobie, c’est un délit. Et on doit l’enseigner à tous nos élèves, que leurs parents soient d’accord ou pas. Voilà pourquoi nous avons besoin des cours d’Evras.
En affirmant leur opposition ou leur hostilité à ce projet, les conservateurs et les groupes religieux de tout poil jouent un jeu dangereux. Un jeu dirigé contre l’école, qui est pourtant l’outil d’émancipation par excellence. Sur ces questions, nous ne pouvons concevoir de société à deux vitesses, avec la science et la tolérance pour les uns, et les croyances religieuses pour les autres. Il y a des domaines où la religion doit accepter de se mettre en retrait. C’est une des conditions pour permettre le vivre-ensemble. Et il faut que tout le monde en ait bien conscience.