C’est un événement aussi parce que le pape n’est pas simplement un chef d’État, un tout petit État d’ailleurs, de moins d’un kilomètre carré et avec 500 habitants. Le pape, c’est surtout le chef de l’Église catholique, qui revendique plus d’un milliard de fidèles dans le monde, présents sur tous les continents. Et surtout, le pape exerce une forme de magistère moral qui dépasse la seule Église catholique. Il parle aux autres chrétiens non catholiques, les protestants, les anglicans, même s’il n’est pas leur chef spirituel. Sa parole est écoutée, y compris dans des régions du monde où la religion dominante est l’islam ou l’hindouisme, par exemple.
Cette influence catholique, on la ressent encore très fortement en Belgique. Plus fortement qu’on ne le pense souvent. On peut prendre le débat sur l’avortement, par exemple, où il est clair que l’Église catholique pèse dans ce débat. Si l’on prend l’organisation de notre enseignement, plus d’un élève sur deux fréquente une école du réseau libre, très souvent une école chrétienne. La proportion dépasse même les 60 % quand on parle de l’enseignement secondaire. Présence aussi dans l’université, avec l’UCLouvain et la KU Leuven, dont on fête les 600 ans et qui est le motif principal de ce déplacement papal. Les universités, mais aussi les hôpitaux qui y sont associés. Nous avons aujourd’hui un syndicat chrétien, la CSC, et un parti social-chrétien flamand, le CD&V, qui restent très influents, même s’ils le sont bien moins qu’avant. Sondage après sondage, c’est à peu près la moitié de la population belge qui se dit catholique (43 % précisément, d’après le baromètre Ipsos pour RTL et Le Soir, publié ce matin). Bien sûr, il faudrait s’entendre sur la notion de “catholique”. Est-ce qu’il suffit d’avoir été baptisé et d’aller aux enterrements ou aux mariages à l’église, ou faut-il au contraire avoir une pratique régulière de la religion et fréquenter la messe dominicale ? Suivant la définition qu’on prend, le nombre de fidèles concernés sera évidemment très différent.
Si la visite papale est un événement, c’est surtout parce qu’on attend, ou qu’on attendait, quelque chose de cette présence sur notre territoire. Pas seulement le fait que le pape déplace les foules, mais aussi la parole qu’il pourrait délivrer. Cette capacité à dire quelque chose et que ce quelque chose puisse ensuite résonner dans le cœur des fidèles et peut-être aussi dans le débat public. En termes de prise de parole, ce voyage du pape François ressemble d’ailleurs chez nous à un marathon de la communication. Arrivé ce soir, déjà reçu par le roi et la reine, il s’adressera demain aux corps constitués au Palais royal, premier discours, l’après-midi, il sera à Leuven, où il rencontrera des étudiants. Samedi matin, ce sera à la Basilique de Koekelberg, rencontre avec des fidèles, avec une séance de questions-réponses. L’après-midi, direction Louvain-la-Neuve pour un échange avec les étudiants et les professeurs de l’UCLouvain autour du thème du changement climatique. Dimanche matin, le grand moment : le pape présidera une messe au stade Roi Baudouin, en présence de la famille royale et devant 35 000 spectateurs. La messe sera retransmise en direct à la télévision. Ce sera la dernière occasion pour lui de prendre la parole, puisqu’après la célébration, il repartira à Rome.
Lors de sa visite, François rencontrera également des victimes d’abus sexuels. « Cette rencontre pastorale se déroulera en toute discrétion », peut-on lire dans le programme officiel. A quelques heures de son arrivée question est celle-ci : sur quoi le pape prendra-t-il la parole ? Les victimes d’abus sexuels, mais aussi la guerre au Proche-Orient, le réchauffement climatique, la montée de la violence ou de l’intolérance, les inégalités sociales, l’éducation… La liste des sujets possibles est longue et non exhaustive. Mais ce qu’on sait déjà, c’est que cette prise de parole, qu’on y adhère ou non, sera abondamment commentée.
Fabrice Grosfilley