L’édito de Fabrice Grosfilley : vers le but en or ?

Ce sont donc les négociations de la dernière chance, et la journée d’aujourd’hui pourrait être cruciale. Depuis hier, David Leisterh, le formateur du gouvernement bruxellois, a entamé une série de consultations bilatérales. Il rencontre, dans ce cadre, ce mardi, la famille sociale-chrétienne : Les Engagés côté francophone, le CD&V côté néerlandophone. Cet entretien avec le CD&V doit permettre de clarifier le positionnement de Benjamin Dalle et Sammy Mahdi, respectivement chef de file à Bruxelles et président du parti. David Leisterh le disait d’ailleurs lui-même hier matin sur notre antenne : la position du CD&V reste ambiguë. Pendant cinq mois, Benjamin Dalle a refusé d’entrer dans les négociations, sans que la porte ne soit clairement et définitivement fermée. Cette ambiguïté du CD&V est ce qui permet au Parti socialiste de dire aujourd’hui qu’on n’a pas réellement tout essayé pour se passer de la N-VA. Car si le CD&V dit oui, même du bout des lèvres, alors il deviendra possible de former une autre majorité dans le collège néerlandophone.

Ce que je viens de vous énoncer en quelques phrases pourrait prendre du temps. D’abord, parce qu’il va falloir comprendre la position réelle du CD&V. Ce que dit Benjamin Dalle n’est pas forcément ce que dit Sammy Mahdi, et ce que disent ces deux hommes n’est pas forcément ce qu’ils pensent. Ensuite, dans l’hypothèse où le CD&V accepterait d’entrer en négociation, il faudra alors défaire un pré-accord de négociation qui associe quatre partis néerlandophones entre eux. Cela ne se fera pas d’un coup de baguette magique. Personne n’aura réellement envie de porter la responsabilité d’un renvoi de la N-VA dans l’opposition. Se passer de la N-VA peut être populaire dans une partie de l’électorat francophone, mais cela l’est beaucoup moins dans le camp néerlandophone. Et comme un accord est un accord, il va falloir “habiller” le fait qu’on y renonce et éviter de placer les nationalistes flamands dans une position où ils pourraient se poser en victimes d’une sombre machination francophone, commise avec la complicité de partis néerlandophones qui seraient des traîtres à la cause flamande. On marche sur des œufs. Côté francophone, on n’a peut-être pas encore bien mesuré à quel point la dimension communautaire était soudainement revenue au cœur de ces négociations bruxelloises après plus de vingt ans de relative accalmie.

Vous aurez sûrement remarqué qu’en se donnant quinze jours, David Leisterh s’accorde un calendrier qui reste relativement étendu. Au total, il a dix partis à rencontrer : cinq francophones et cinq néerlandophones. En théorie, cela ne prend pas quinze jours. C’est aussi le signal qu’à côté des rencontres officielles, on se laisse du temps pour des négociations plus informelles. Tout le monde a bien conscience que l’équilibre va être compliqué à établir et qu’il faudra quelques allers-retours pour trouver le bon compromis.

Aujourd’hui, les élections communales sont derrière nous, les négociations fédérales aussi. La confection d’une majorité bruxelloise redevient un enjeu susceptible d’intéresser les états-majors des partis nationaux. Ça aussi, c’est un petit changement. Autrefois, les Bruxellois négociaient entre eux et prenaient de vitesse les autres négociations pour ne pas devenir une monnaie d’échange. Cette fois-ci, c’est l’inverse : les Bruxellois ont raté le coche d’une négociation rapide. Ils ont perdu en autonomie politique et doivent se résoudre à dépendre d’arbitrages qui les dépassent. Les partis nationaux, à l’exception du PS, ont repris la main sur Bruxelles. Cela présente des avantages et des inconvénients.

L’avantage de cette phase de la dernière chance, comme l’a appelé lui-même David Leisterh, c’est qu’elle introduit un peu de dramatisation et qu’elle annonce une deadline. On a jusqu’au 23 février, au maximum, pour enclencher une dynamique de négociation. Cela permet de mettre enfin un peu de pression sur tous les partis bruxellois, francophones et néerlandophones, et de fixer un calendrier pour que les choses ne traînent plus en longueur. Pour les amateurs de football, on pourrait dire que nous sommes entrés dans les arrêts de jeu. Pas des arrêts de jeu après 90 minutes, non : des arrêts de jeu après un long match qui a déjà connu des prolongations et où, pourtant, rien ne se passe. Comme si, pour nos partis politiques, l’objectif n’était pas tellement de gagner, mais plutôt de ne pas perdre. Un match haché, émaillé d’incidents et d’actions d’anti-jeu, où l’on vise l’homme plutôt que le ballon, et où l’action la plus remarquable consisterait à dégager le ballon le plus loin possible pour que l’adversaire l’ait dans les pieds, avec, à son tour, la volonté de ne pas garder la balle trop longtemps. Bref, on s’est neutralisés et on s’est observés sans réellement négocier depuis huit mois. Les états-majors des partis se contentaient d’un match nul où il ne fallait pas perdre. Ils étaient satisfaits du 0-0. Alors que nous, citoyens et observateurs, avions plutôt le sentiment que c’était la démocratie qui était en train de perdre, avec un score de 10-0.

Il reste donc une dizaine de jours pour tout changer. C’est long et c’est très court en même temps. Les amateurs de football se rappellent peut-être de la règle du but en or : le premier qui marque pendant les prolongations a gagné la partie. Aujourd’hui, demain, la semaine prochaine, on espère pour Bruxelles que les négociations se termineront par un but en or. La démocratie, ça ne peut pas ressembler à une séance de tirs au but.