L’édito de Fabrice Grosfilley : un ministre peut-il se déhancher ?
Comment peut-on passer en quelques jours d’un pas de danse à une conférence de presse où l’on a des sanglots dans la voix ? Si Sanna Marin avait été Première ministre de la Belgique et non de la Finlande, les choses auraient-elles été si différentes ?
C’est une vidéo que vous allez sûrement voir au JT, sur les sites internet des journaux ou sur les réseaux sociaux : Sanna Marin, la Première ministre finlandaise, a dû tenir une nouvelle conférence de presse aujourd’hui. Elle est revenue sur cette fameuse vidéo où on la voit danser dans une fête relativement animée.
“Je suis un être humain. J’aspire parfois aussi à la joie, à la lumière et au plaisir au milieu de ces nuages sombres”, a donc expliqué cette jeune femme qui est à la tête du gouvernement finlandais. “C’est privé, c’est la vie, mais je n’ai pas manqué un seul jour de travail“, a-t-elle argumenté. Mais ce qu’on retiendra surtout, ce que vous retiendrez si vous regardez cette vidéo, c’est la gorge nouée et les larmes aux bords des yeux de la première ministre. Une femme politique sur le point de craquer, qui a d’ailleurs reconnu qu’elle vivait des journées difficiles. “Je veux croire que les gens regarderont ce que nous faisons au travail plutôt que ce que nous faisons pendant notre temps libre“, a-t-elle ajouté.
Il faut dire que Sanna Marin est dans une passe difficile. Après la divulgation de cette vidéo où on voyait la Première ministre danser, la presse finlandaise a aussi exhumé un cliché où l’on voit deux femmes s’embrasser et exhiber leur poitrine dénudée. Un cliché qui date de juillet, mais qui a été pris dans la résidence officielle de la cheffe de gouvernement. “Cette photo est inappropriée et je m’en excuse”, a reconnu Sanna Marin. Et c’est vrai qu’en Scandinavie, on ne plaisante pas avec l’utilisation des bâtiments publics ou autres facilités mises à dispositions des dirigeants politiques. Et qu’il y a aujourd’hui un très grand décalage entre la légèreté de ces vidéos et l’appréhension de la population finlandaise confrontée à la menace de son grand voisin russe.
Nous ne sommes pas Finlandais, ce n’est donc pas à nous de juger. Mais cette polémique qui enfle est une bonne occasion sans doute de nous poser quelques questions. Sur les réseaux sociaux, des femmes du monde entier ont voulu apporter leur soutien à Sanna Marin ces derniers jours. C’est le cas par exemple de Karine Lalieux (PS), notre ministre des Pensions qui a publié sur Twitter une vidéo où on la voit danser avec plaisir.
https://twitter.com/karinelalieux/status/1562015951658311680
Car l’une des questions que l’affaire Marin pose, c’est bien celle du sexisme. Est-ce qu’on n’est pas plus exigeant avec une jeune femme de 36 ans, qui pratique finalement les loisirs de son âge, qu’on ne le serait avec un homme ? Et on peut par exemple se demander si Jean-Luc Dehaene avec un chapeau de cowboy, Michel Daerden se faisant appeler Papa, ne portaient pas aussi un peu atteinte à l’image de leur fonction. Et si on veut vraiment être rigoureux, un Premier ministre qui visite un chantier non pas en costume, mais avec un gilet jaune et un casque sur la tête, le logo de l’entreprise en prime, est-il encore réellement dans ses habits de Premier ministre, au sens propre et au sens figuré ?
Cette affaire ne pose pas d’ailleurs que des questions au monde politique. Elle en pose à leur entourage : suis-je digne d’une amitié ministérielle si je prends et diffuse de tels clichés ? Évidement, la réponse est non. Elle est aussi un excellent rappel pour nous tous (et en particulier les plus jeunes). La capture de ces moments festifs par un smartphone, cela peut paraitre inoffensif le jour même. Quelques jours ou quelques années plus tard, ça peut être très différent, surtout quand les amitiés se sont défaites et qu’on a changé de vie. Et il n’y a pas besoin d’être Premier ou Première ministre pour se dire qu’on doit y faire attention.