L’édito de Fabrice Grosfilley : Revoter ? Pas si simple…

Est-il possible de revoter ? Et si oui, pourrait-on le faire rapidement, dans les quatre mois par exemple ? Depuis quelques jours, cette possibilité — ou pas — de retourner aux urnes agite une partie du débat public. Après quinze mois sans gouvernement, il est légitime de se poser la question. Et il est important d’y répondre honnêtement : est-il, oui ou non, possible de convoquer de nouvelles élections en Région bruxelloise ?

À ce stade, soyons clairs : la réponse est non. Il n’est pas permis de convoquer des élections anticipées au niveau régional. Ce n’est prévu ni dans la Constitution, ni dans la loi spéciale qui organise les institutions de la Région bruxelloise. Nous sommes donc, a priori, condamnés à garder le même Parlement jusqu’à la fin de la législature, en 2029.

Si l’on veut pouvoir organiser des élections avant terme, il faut modifier nos textes législatifs. La manière la plus évidente serait de modifier, à la Chambre, donc au Parlement fédéral, la loi spéciale de 1989 relative aux institutions bruxelloises. Pour modifier cette loi spéciale, il faut une majorité spéciale : une majorité des deux tiers, plus la majorité dans chacun des groupes linguistiques. Il faut donc qu’une majorité de partis flamands et francophones approuve l’idée. Les constitutionnalistes qui se sont penchés sur la question estiment que ce n’est pas si simple. Je ne vais pas entrer dans toutes les subtilités, mais sachez qu’ils pointent tout de même un certain nombre de difficultés, qu’ils appellent dans leur langage des obstacles constitutionnels.

L’une de ces difficultés, par exemple, c’est l’obligation d’organiser les élections au Parlement bruxellois et au Parlement flamand le même jour. Les électeurs bruxellois qui choisissent de voter pour le collège néerlandophone aux élections régionales désignent aussi leurs représentants au Parlement flamand. Si les élections ne tombent plus le même jour, ça ne marche plus. Voilà un des problèmes connexes à résoudre, qui fait dire à certains constitutionnalistes que cette voie n’est pas praticable, en tout cas, pas à court terme, et que ce genre de réforme doit se prévoir sur la durée — comprenez : au moins un an.

Quand, hier matin, David Leisterh et Frédéric De Gucht ont assuré en interview qu’il était selon eux possible d’organiser les élections dans un délai de quatre mois, ce n’est pas à une modification de la loi spéciale qu’ils pensaient, mais carrément à une modification de la Constitution. Frédéric De Gucht a donc préparé une note à ce sujet, à laquelle le journal Le Soir fait référence ce matin. Il s’agirait d’introduire dans la Constitution un dispositif transitoire qui permettrait d’imposer la dissolution du gouvernement bruxellois et de convoquer des élections. Les auteurs de la note imaginent un délai de deux mois pour modifier la Constitution, puis deux mois pour organiser les élections : cela ferait, en théorie, quatre mois. En réalité, ce serait probablement plus long — et surtout, le procédé pose question.

D’abord, pour changer la Constitution, il faut en théorie ouvrir l’article à révision, et cela se fait sur deux législatures. Ensuite, il faut toujours une majorité des deux tiers au Parlement fédéral. Mais à la différence des lois spéciales, il ne faut pas une majorité dans chacun des groupes linguistiques. C’est là que cela devient interpellant : on pourrait tout à fait imaginer une majorité des deux tiers, largement constituée de partis flamands, qui imposerait donc la dissolution du Parlement bruxellois, alors qu’une majorité de partis francophones s’y opposerait. Et si c’est possible demain pour Bruxelles, on pourrait imaginer que le même dispositif le soit après-demain pour le Parlement wallon, ou pour le Parlement flamand. Ce serait un précédent extrêmement dangereux, notent les constitutionnalistes interrogés par Le Soir. L’un d’eux estime même que “les francophones qui participeraient à cette procédure se tireraient une balle dans le pied.

Si l’on veut qu’un jour le Parlement bruxellois puisse être dissous — après la chute d’un gouvernement, par exemple, ou lorsqu’on n’arrive pas à en former un, comme maintenant — il faudrait que la décision puisse se prendre au départ du Parlement bruxellois ou du gouvernement bruxellois, et non pas au niveau fédéral. C’est comme cela que les choses devraient fonctionner dans un État fédéral qui se respecte. Pour l’instant, on n’y est pas : le législateur ne l’a pas prévu. Si l’on veut corriger cet oubli, c’est un processus qui prend du temps et qui s’apparente à une nouvelle réforme de l’État. Cela ne peut pas se bricoler. Et tant qu’à changer la loi spéciale, retirer l’obligation de double majorité ne serait pas du luxe. Mais ce serait toucher aux équilibres communautaires — et je ne suis pas sûr que le climat se prête à un débat serein sur ces questions.

Et puis, il y a quand même une question qu’il nous faut poser : si les partis politiques et leurs états-majors n’arrivent pas à former un gouvernement, est-ce de la faute des électeurs ? Ou de la faute des partis politiques et de leurs états-majors ? Poser la question, c’est y répondre. Demander à l’électeur de revoter parce qu’on considère qu’il aurait mal voté la première fois, ce n’est pas le message le plus facile à faire passer. Quand on veut lutter contre le vote de rejet ou l’essor des mouvements populistes, on n’est pas sûr que ce soit la meilleure stratégie.

Fabrice Grosfilley 

BX1
Résumé de la politique de confidentialité

Ce site utilise des cookies afin que nous puissions vous fournir la meilleure expérience utilisateur possible. Les informations sur les cookies sont stockées dans votre navigateur et remplissent des fonctions telles que vous reconnaître lorsque vous revenez sur notre site Web et aider notre équipe à comprendre les sections du site que vous trouvez les plus intéressantes et utiles.

Plus d'informations sur nos mentions légales