L’édito de Fabrice Grosfilley : refus d’obstacle
Je ne sais pas si vous avez déjà regardé un concours hippique. Le « refus d’obstacle », c’est l’expression qu’on emploie quand un cheval se retrouve incapable de franchir la barrière qui se trouve devant lui. Le cavalier a beau éperonner, le cheval se bloque net : il est dans l’incapacité de faire ce qu’on attend de lui. Un refus d’obstacle, c’est le spectacle que nous offre depuis un an la classe politique bruxelloise. L’obstacle à franchir, tout le monde le voit, tout le monde le connaît, tout le monde, rationnellement, sait quelles sont les solutions pour le franchir. Mais notre cheval bruxellois — appelons-le Iris Sauvage — cale net. Avec, comme conséquence, la perte d’équilibre du cavalier, qui se cramponne, mais n’est pas loin de se retrouver par terre.
Pour qu’Iris Sauvage puisse franchir la barre, les règles sont simples : il faut qu’il soit soutenu par un minimum de 45 députés. Et, si possible, que parmi ces 45 parlementaires, on trouve au moins 37 députés du collège francophone, associés à au moins 8 députés néerlandophones. C’est ce qu’on appelle la double majorité. Pour Iris Sauvage, la difficulté, c’est donc de trouver ces parlementaires. Plusieurs formules sont théoriquement possibles. Le problème, c’est qu’il faudrait mettre dans le même gouvernement des partis qui refusent d’être ensemble. Le PS, mais aussi Écolo et DéFI, ne veulent pas de la N-VA. L’Open VLD et le MR exigent, eux, que la N-VA soit de la partie. Le MR ne veut pas du PTB ni de Team Ahidar. Le PS pourrait accepter de travailler avec le PTB et Team Ahidar. DéFI ne veut pas d’une formule qui serait minoritaire côté néerlandophone. Un jour, Les Engagés veulent bien de Team Ahidar, le lendemain, ils n’en veulent plus. Un jour, le CD&V veut bien « dépanner », la semaine suivante, c’est moins clair. Écolo estime qu’il doit aller dans l’opposition, puis finalement considère qu’il va devoir se dévouer. Le PTB veut bien venir, mais pas pour faire des économies. Etc., etc.
Cet après-midi, sept partis se retrouveront à une réunion organisée par le Mouvement Réformateur. Les sept partis qui ont accepté de discuter d’une déclaration de politique générale déposée par GLB et David Leisterh. Certains y vont franchement avec des pieds de plomb, comme Vooruit ou Groen, qui ont été plus que critiques vis-à-vis de la méthode utilisée. Être invité à discuter d’un texte qu’on n’a pas écrit, et dont on vous dit déjà qu’il ne sera négociable qu’à la marge, n’inspire pas confiance. D’autres, comme l’Open VLD ou la N-VA, sont plus enthousiastes et trouvent que le texte déposé va dans la bonne direction. Le problème, c’est que tous ensemble, ces sept partis ne représentent que 39 députés. Il en faut 45. Et que dans le collège francophone, où seuls le MR et Les Engagés seront présents, on n’en compte que 28. Il en faudrait 36 + 1.
Iris Sauvage va donc refuser l’obstacle à nouveau. Et David Leisterh va devoir sérieusement se cramponner s’il veut rester formateur. La question du cavalier va forcément se poser, à un moment ou à un autre. À l’évidence, le MR n’a pas, depuis un an, trouvé la méthode qui lui permettrait de former une majorité. Sans majorité, pas de gouvernement. C’est une lapalissade, mais il faut parfois la rappeler. Un gouvernement ne peut s’installer que s’il a le soutien d’une majorité parlementaire. Vouloir parler d’un programme gouvernemental avant de savoir qui peut le soutenir, c’est mettre la charrue avant les bœufs. Et ça, Iris Sauvage, il n’aime pas ça non plus.
En parallèle à la compétition officielle, il y a donc un second cavalier qui envisage de tenter sa chance. C’est Ahmed Laaouej, qui travaille à une coalition associant les familles socialistes et écologistes à la Team Fouad Ahidar et au PTB. Là, en termes arithmétiques, ça marche : 48 députés au total, et la majorité dans les deux collèges. Là, le problème, c’est que l’équipe n’est pas encore sûre de vouloir se mettre en selle. Les uns se méfient des autres, et inversement. On se parle, mais on ne négocie pas encore pour de vrai.
Ce qui est intéressant dans la métaphore du refus d’obstacle, c’est qu’on n’a pas de certitude sur ce qui pousse le cheval à s’arrêter net. Cela peut être un problème physique : une entorse, une élongation. Cela peut être la peur de se faire mal, le souvenir d’une douleur passée. Mais le plus souvent, c’est un problème de communication. Le cheval n’a pas compris ce que le cavalier lui demandait. Ou il n’en comprend pas le sens. Il faut savoir le dompter, Iris Sauvage. Et pour cela, il faut être capable de dire clairement qu’on veut franchir l’obstacle. Que cette communication soit sincère, et sans arrière-pensées. L’impulsion doit être franche. Le cheval ne doit pas ressentir de stress chez le cavalier. Il faut que le cheval et son cavalier ne fassent qu’un.
Sinon, Iris Sauvage va vite comprendre que tous ceux qui lui donnent des ordres, ils sont là surtout pour eux — et pas pour lui.
Fabrice Grosfilley