L’édito de Fabrice Grosfilley : réfléchir au procès des attentats
Fabrice Grosfilley revenait sur le verdict du procès des attentats de Bruxelles dans Bonjour Bruxelles ce mardi 19 septembre.
Que retiendrons-nous du procès des attentats du 22 mars ? Maintenant que les peines sont connues, que la lumière des projecteurs est éteinte, que l’attention médiatique se focalise sur autre chose, que garderons-nous en mémoire de cet épisode judiciaire ? Est-ce que la vérité judiciaire clôt le chapitre, referme la parenthèse, permet de passer à autre chose ? Ou au contraire, devrons-nous toujours vivre avec des zones d’ombres, des frustrations, des interrogations qui restent ouvertes ?
Ce procès aura duré 10 mois. Un durée qui est très éloignée de la justice-spectacle. Un temps long qui a permis d’entendre tout le monde, de confronter les points de vue, d’entrer dans les détails. On ne soulignera sans doute jamais assez la vertu de ces procès d’assises qui reposent sur l’instruction d’audience et l’oralité des débats, la présence d’un jury public qui nous représente tous, et veut que l’on redise devant lui l’essentiel de ce qui est dans le dossier et qui permet à l’accusation et à la défense de présenter leur vision des différents éléments.
De ce verdict sur les peines, tombé vendredi soir, on retiendra surtout le sens de la nuance. Si le jury avait précédemment retenu la culpabilité pour tous les accusés, la culpabilité c’est noir ou blanc, soit on est coupable, soit on ne l’est pas, il a été plus fin dans la hauteur des peines.
La cour d’assises n’a ainsi prononcé aucune peine à l’encontre de Salah Abdeslam. Les jurés l’ont renvoyé à la peine prononcée pour la fusillade rue du Dries, soit 20 ans de prison. Même raisonnement pour Sofien Ayari, également condamné à 20 ans lors de ce procès de 2018. Les jurés ont retenu l’argument en droit qui veut que quand deux faits criminels sont liés, la peine de l’un adsorbe l’autre.
Osama Krayem a été condamné à la réclusion à perpétuité et à une mise à disposition du tribunal de l’application des peines (TAP) pendant 10 ans. Le Suédois, qui avait renoncé à se faire exploser dans le métro bruxellois, a été l’un des membres de la cellule terroriste les plus actifs dans la fabrication des bombes a estimé la cour.
Bilal El Makhoukhi a été condamné à la réclusion à perpétuité et à une mise à disposition pendant 10 ans. Il était “l’homme de confiance” de la cellule jouant le rôle à la fois de recruteur et logisticien.
Mohamed Abrini, l’homme au chapeau, a été condamné à 30 ans de prison et à une mise à disposition du tribunal de l’application des peines pendant 5 ans.
Aucun des 8 accusés reconnus coupables en juillet dernier n’a, en revanche, été déchu de la nationalité belge. La cour a souligné “l’hostilité toute particulière à la démocratie” de certains de ces condamnés et “l’atteinte odieuse à la sécurité nationale” qu’ils ont commise, mais elle a considéré que les condamnations prononcées “constituent une sanction suffisante sur leur citoyenneté“.
Ce verdict, que certains pourraient considérer comme clément, rappelle une vérité essentielle : la justice n’est pas la vengeance. Dans un état de droit, la justice est indépendante et offre aux accusés la garantie d’un procès équitable : ce fut le cas ici.
Ce verdict permettra-t-il aux victimes d’avoir eu le sentiment d’obtenir réparation ? Sans doute que non. Les choses sont plus complexes lorsqu’on subit un tel traumatisme. Certaines parties civiles ont fait part de leur satisfaction, d’autre de leur déception. Il aurait sans doute été utile qu’on s’y arrête un peu plus longtemps, pour comprendre la diversité de ces réactions, fruit des personnalités et des parcours de chacun.
Puisque ces victimes touchées au hasard (c’est le principe du terrorisme, d’attaquer des individus pour ce qu’ils représentent et non pour ce qu’ils ont personnellement fait) implique que nous aurions tous pu nous trouver à leur place, il serait utile que nous prenions tous le temps de digérer et de s’approprier ce verdict.
Il nous concerne tous, en tant que Bruxellois, mais ce dénouement, tombé un vendredi soir, est un peu passé inaperçu. Emporté ou éclipsé par un weekend de beau temps, la crise de l’accueil, les inondations en Libyen, les incendies d’écoles et les manifestations contre l’Evras, le déplacement en taxi d’une présidente de parti, toutes ces informations ou toutes ces polémiques qui ont fait l’actualité… et qui font que l’attention médiatique la fin du procès était sans commune mesure avec la mobilisation médiatique observée à son ouverture, quand les débats sur le box ou les conditions de transfert des accusés attiraient les caméras du monde entier.
Et cette versatilité des médias, sur un sujet aussi sensible, on rappellera que les attentats du 22 mars 2016 ont coûté la vie à 35 personnes, on est peut-être en droit, du coté des victimes, de la regretter. Ce qui n’empêchera pas ce verdict d’être désormais inscrit dans notre histoire collective.
Fabrice Grosfilley